La corde au cou. Emile Gaboriau
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Название: La corde au cou

Автор: Emile Gaboriau

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ terrible difformité physique ou morale.

      Quelque vingt ans plus tôt, un des gros propriétaires de Bréchy, ayant fait bâtir, avait fait venir d'Angoulême une demi-douzaine de peintres-décorateurs qui passèrent chez lui presque tout l'été. Un de ces peintres avait mis à mal une pauvre fille de ferme des environs, nommée Colette, qu'avaient affolée sa longue blouse blanche, ses fines moustaches brunes, sa gaieté, ses chansons et ses propos galants.

      Mais les travaux achevés, le séducteur s'était envolé avec ses camarades, sans plus se soucier de la malheureuse que du dernier cigare qu'il avait fumé. Elleétait enceinte, pourtant.

      Lorsqu'elle ne sut plus dissimuler sonétat, elle fut jetée à la porte de la maison où elleétait employée, et ses parents, qui avaient bien du malà se suffire, la repoussèrent impitoyablement. Dès lors, hébétée de douleur, de honte et de regrets, elle erra de ferme en ferme, demandant l'aumône, insultée, raillée, brutalisée même quelquefois.

      C'est au coin d'un bois, un soir d'hiver, que seule, sans secours, elle mit au monde un garçon. Comment la mère et l'enfant n'étaient-ils pas morts de froid, de faim et de misère!… Il est des grâces d'état incompréhensibles.

      Pendant plusieurs années, on les vit traîner leurs haillons autour de Sauveterre, vivant de la générosité, chèrement achetée, des paysans. Puis la mère mourut, abandonnée, comme elle avait vécu. On ramassa son corps un matin, sur le revers d'un fossé. L'enfant restait seul.

      Il avait huit ans, ilétait assez fort pour sonâge; un fermier en eut pitié et le prit pour garder ses vaches. Le petit misérable n'enétait pas capable.

      Tant qu'il avait eu sa mère, on avait attribué à son existence sauvage son mutisme, ses regards effarés, ses allures de bête traquée. Lorsqu'on essaya de s'occuper de lui, on reconnut que nulle intelligence ne s'étaitéveillée en ce pauvre cerveau déprimé. Ilétait idiot, et de plus atteint d'une de ces effroyables maladies nerveuses dont les accès agitent tout le corps, et particulièrement les muscles du visage, de mouvements convulsifs. Il n'était pas muet, mais ce n'est qu'avec des efforts inouïs et en bégayant lamentablement qu'il parvenait à articuler quelques syllabes. Parfois, des paysans en belle humeur lui criaient:

      – Dis-nous comment tu t'appelles, et tu auras un sou.

      Il en avait pour cinq minutes à bégayer, avec toutes sortes de contorsions, le nom de sa mère:

      – Co… co… co… lette.

      De là son surnom.

      On avait constaté qu'il n'était bon à rien; on cessa de s'intéresser à lui; il se remit à vagabonder comme jadis.

      C'est vers cetteépoque que le docteur Seignebos, en allant à ses visites, le rencontra un matin sur la grande route. Cet excellent docteur, entre autres théories surprenantes, soutenait alors que l'imbécillité n'est qu'une façon d'être du cerveau, un oubli de la nature aisément réparable par l'adjonction de certaines substances connues, de phosphore, par exemple. L'occasion d'une expérience mémorableétait trop belle pour qu'il ne s'empressât pas de la saisir.

      Il fit monter Cocoleu près de lui, dans son cabriolet, l'installa dans sa maison et le soumit à un traitement dont le secret est resté entre lui et un pharmacien de Sauveterre, bien connu pour ses opinions avancées.

      Au bout de dix-huit mois, Cocoleu avait considérablement maigri. Il parlait peut-être un peu moins malaisément, mais son intelligence n'avait fait aucun progrès appréciable.

      Découragé, M. Seignebos fit un paquet des quelques nippes qu'il avait données à son pensionnaire, les lui mit dans la main et le poussa dehors en lui défendant de revenir jamais.

      Le médecin avait rendu un triste service à Cocoleu. Désaccoutumé des privations, déshabitué d'aller de porte en porte demander son pain, le pauvre idiot eût péri de besoin si sa bonneétoile ne l'eût amené au Valpinson. Touchés de sa détresse, le comte et la comtesse de Claudieuse résolurent de se charger de lui.

      Seulement, c'est en vain qu'ils essayèrent de le fixer à l'une de leurs métairies, où ils lui avaient fait donner un lit. L'humeur vagabonde de Cocoleu l'emportait sur tout, même sur la faim. L'hiver, par le froid et la neige, on le tenait encore. Mais dès les premières feuilles, il reprenait ses courses sans but à travers les bois et les champs, restant souvent des semaines entières sans reparaître.

      À la longue, pourtant, s'étaitéveillé en lui quelque chose qui ressemblait assez à l'instinct d'un animal domestique patiemment dressé. Son affection pour Mme de Claudieuse se traduisait comme celle d'un chien, par des gambades et des cris de joie dès qu'il l'apercevait. Souvent, quand elle sortait, il l'accompagnait, courant et bondissant autour d'elle, toujours comme un chien. Il aimait aussi les petites filles, et il paraissait souffrir qu'on l'écartât d'elles, car on l'enécartait, redoutant pour des enfants si jeunes la contagion de ses tics nerveux.

      Avec le temps aussi, ilétait devenu capable de rendre quelques petits services. Ilétait certaines commissions faciles dont on pouvait le charger. Il arrosait les fleurs, il allait appeler un domestique, il savait porter une lettre à la poste de Bréchy. Même, ses progrès avaientété assez sensibles pour inspirer des doutes à quelques paysans défiants, lesquels prétendaient que Cocoleu n'était pas si «innocent»qu'il en avait l'air, que c'était «un malin»au contraire, qui faisait la bête pour bien vivre sans travailler.

      – Nous le tenons! crièrent enfin quelques voix; le voilà! le voilà!…

      La foule s'écarta vivement, et presque aussitôt, maintenu et poussé en avant par plusieurs hommes, un jeune garçon parut.

      – Il s'était caché là-bas, derrière une haie, disaient ces hommes, et il ne voulait pas venir, le mâtin!

      Le désordre des vêtements de Cocoleu attestait en effet une résistance opiniâtre.

      C'était un garçon de dix-huit ans, imberbe, très grand, extraordinairement maigre, et si dégingandé qu'il en paraissait contrefait. Une forêt de rudes cheveux roux s'emmêlait au-dessus de son frontétroit et fuyant. Et ses petits yeux, sa large bouche meublée de dents aiguës, son nez, largementépaté, et ses immenses oreilles donnaient à sa physionomie une expressionétrange d'effarement et d'idiotisme, et aussi, pourtant, de ruse bestiale.

      – Qu'est-ce que nous allons en faire? demandèrent les paysans à M. Séneschal.

      – Il faut le conduire au juge d'instruction, mes amis, répondit le maire, là, dans la petite maison où vous avez porté monsieur de Claudieuse…

      – Et il faudra bien qu'il parle, grondèrent les paysans. Tu entends, n'est-ce pas? Allons! arrive…

      4. Mettant leur amour-propre à lutter de flegme et d'impassibilité

      Mettant leur amour-propre à lutter de flegme et d'impassibilité, ni le docteur Seignebos, ni M. Galpin-Daveline n'avaient fait un mouvement pour reconnaître ce qui se passait au-dehors.

      Le médecin s'apprêtait à reprendre son opération, et méthodiquement, tranquille autant que s'il eûtété chez lui, dans son cabinet, il lavait l'éponge dont il venait de se servir et essuyait ses pinces et ses bistouris.

      Le juge d'instruction, lui, debout au milieu de la chambre, les bras croisés, semblait suivre de l'œil, dans le vide, d'insaisissables combinaisons. Peut-être songeait-il que sa bonneétoile l'avait enfin guidé vers cette cause retentissante qu'il avait si longtemps et si inutilement appelée СКАЧАТЬ