Название: Double-Blanc
Автор: Fortuné du Boisgobey
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
isbn:
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On juge mieux de la beauté d’une femme quand elle ne sait pas qu’on la regarde, et jamais Solange ne lui avait paru si belle.
Elle était pâle et brune comme la nuit; elle avait de grands yeux noirs et des sourcils arqués, le profil sévère d’une statue grecque, la taille élancée et les formes juvéniles d’une nymphe sculptée par Jean Goujon.
Et sa pose alanguie ajoutait à sa beauté ce charme délicat que les italiens appellent la morbidezza.
Elle tenait un livre, mais ce livre ne paraissait pas l’intéresser beaucoup, car elle venait de le poser sur ses genoux. Évidemment, sa pensée était ailleurs. À quoi songeait-elle? Hervé jugea qu’il était temps de s’annoncer.
Au léger bruit qu’il fit en s’approchant, elle tourna la tête et s’écria en rougissant un peu:
– Ah! vous m’avez fait peur! Est-ce qu’il y a longtemps que vous êtes là?
– Je viens d’arriver, mademoiselle, et je vous admirais…
– Sans m’avertir que vous me regardiez. Ce n’est pas de jeu, cela. Si j’avais su, j’aurais pris des attitudes. Je suis sûre que vous m’avez trouvée laide.
Et sans laisser à Hervé le temps de protester, Solange reprit gaiement:
– Pour vous punir, je devrais vous cacher que vous m’avez surprise rêvant manoirs à tourelles, landes fleuries, pierres druidiques et autres curiosités bretonnes.
– Quoi! mademoiselle, dit Hervé, vous pensiez à mon pauvre pays!
– Oui, monsieur, et il me semblait le voir tel que je l’ai vu, l’an dernier, par un ciel pâle qui lui allait à merveille… comme les nuances grises vont aux femmes sentimentales. Et dans le paysage que j’évoquais, vous figuriez en costume de chasse, comme vous étiez le jour où mon père et moi nous vous avons rencontré au bas de l’avenue du château. Vous en souvenez-vous?
– Si je m’en souviens!… Vous aviez une robe bleue à pois blancs.
– Et vous une peau de bique… mais vous la portiez si bien!… j’espère que vous la mettrez pour courir les landes avec moi… Je me ferai faire un costume breton… celui des femmes de Pont-Labbé… c’est le plus joli… et nous nous ferons photographier tous les deux, la main dans la main, au pied de cet énorme dolmen que vous nous avez montré de loin. Vous n’avez pas voulu nous y mener, mais je prétends y aller en pèlerinage dès que nous serons installés à Trégunc. Nous y conduirons Mme de Cornuel, ajouta malicieusement Solange en regardant la dame de compagnie. Je suis sûre qu’elle raffole des monuments druidiques.
– À mon âge, ma chère enfant, répondit en souriant la gouvernante, on ne raffole plus de rien. Quand vous serez mariée, vous irez fort bien sans moi visiter les curiosités bretonnes. Je crois même que je vous gênerais pour les admirer, et votre père sait bien que je n’ai pas le projet de quitter Paris.
– Bon! mais vous viendrez nous voir et je vous promets que vous ne vous ennuierez pas. Je compte faire de Trégunc le plus gai des châteaux. Nous recevrons beaucoup… Nous chasserons à courre dans la forêt de Clohars… Il y a une garnison de cavalerie à Pontivy… Nous inviterons les officiers… il s’en trouvera peut-être qui ont connu M. de Cornuel… n’a-t-il pas commandé un régiment de dragons?
– Oh! il y a si longtemps de cela qu’on ne se souvient plus de lui dans l’armée, répondit la veuve.
Puis à Hervé:
– Vous offrirai-je une tasse de thé, monsieur le baron?
Elle ne manquait jamais de l’appeler par son titre, à l’imitation de Bernage qui baronisait volontiers son futur gendre, et cette fois, elle appuya sur le mot, comme si elle eût voulu rappeler à Solange que la châtelaine de Scaër ne devait pas mener en province la vie d’une cocotte parisienne.
Hervé saisit l’intention et marqua un bon point à la dame, car il n’était pas disposé à accepter intégralement le programme de Mlle de Bernage et il espérait en restreindre l’exécution.
L’allusion au dolmen de Trévic l’avait d’ailleurs un peu troublé, et il se promettait de ne jamais y conduire sa femme.
Il remercia Mme de Cornuel et il dit à la jeune fille:
– Vous me rassurez, mademoiselle. Je m’imaginais que vous vous accoutumeriez difficilement à la Bretagne et je crains encore un peu que vous ne vous illusionniez sur les charmes d’un séjour prolongé à Trégunc. Moi je m’y plais, parce que j’y ai été élevé, mais vous qui n’avez fait qu’y passer et qui avez toujours habité Paris…
– Pardon!… j’ai été sept ans en nourrice et en sevrage, dans une ferme de la Brie… dix ans à Versailles, au pensionnat de la respectable Mme Verdun… j’en ai maintenant dix-neuf… comptez!
– Mais, depuis deux ans que vous allez dans le monde…
– Dans le monde où on s’ennuie, interrompit Solange. Mon père ne voit que des gens sérieux… deux ou trois bals par hiver… cinq ou six fois au spectacle… à l’Opéra, aux Français, ou à l’Opéra-Comique… les autres théâtres, à ce qu’il paraît, ne sont pas convenables et on ne me les permet pas… quelques visites à des amies de pension qui sont mariées et qui me les rendent, quand elles en ont le temps… et puis, c’est tout… Je serai moins isolée à Trégunc que dans cet hôtel… tenez! nous sommes en plein carnaval… et aujourd’hui, dimanche gras, si vous n’étiez pas venu, je n’aurais vu personne. Quand je pense qu’il y a des femmes qui, depuis deux mois, dansent tous les soirs!…
– Vous aimez le bal tant que cela?
– Ce n’est pas le bal que j’aime, c’est le mouvement, c’est le bruit, c’est l’imprévu. J’aimerais encore mieux la chasse, les chevaux, les expéditions périlleuses. Je voudrais m’embarquer pendant une tempête et faire un peu naufrage.
– Si je vous disais que nous avons les mêmes goûts?
– Vrai?… bien vrai?
– J’étais né pour être marin… j’ai manqué à ma vocation… mais avec vous, j’irais volontiers au bout du monde.
– Oh! alors, je serai la plus heureuse des femmes, s’écria Solange en battant des mains.
– Non… c’est moi qui serai le plus heureux des hommes, dit gaiement Hervé.
– Nous voyagerons tout l’été… en Laponie… en Islande… dans des pays où personne ne va… pas en Suisse, par exemple, à moins que ce ne soit pour faire l’ascension du Mont-Blanc; à l’automne, quand nous serons rentrés, nous forcerons des loups… il doit y avoir des loups dans votre forêt de Clohars… et l’hiver, à Paris, nous irons partout… aux petits théâtres… aux cafés-concerts… au bal de l’Opéra… J’ai tourmenté mon père pour qu’il m’y menât… il n’a jamais voulu. Je me demande pourquoi. Une de mes amies de la pension Verdun y va avec son mari… vous y allez, vous…
– Comment! СКАЧАТЬ