Название: Double-Blanc
Автор: Fortuné du Boisgobey
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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C’était, dans toute la force du terme, la vie désœuvrée, et cette vie-là laisse beaucoup de place à l’imprévu.
Le dernier des Scaër n’en avait pas fini avec les incidents inattendus.
Il s’endormit pourtant comme si rien n’eût menacé sa tranquillité et il ne fit pas de mauvais rêves.
Il revit en songe la fée du dolmen et même Héva Nesbitt, mais il revit aussi Solange de Bernage, radieuse de beauté, qui souriait en lui montrant du doigt le vieux manoir de Trégunc, et les fantômes du passé s’évanouirent.
II. On peut, sans être très vieux, se rappeler les promenades du bœuf gras…
On peut, sans être très vieux, se rappeler les promenades du bœuf gras.
Celle du carnaval de 1870 fut la dernière et, favorisée par un temps superbe, elle charma les Parisiens, les mêmes qui, quatre mois plus tard, criaient: à Berlin! et qui, au commencement de l’année suivante, mangeaient du cheval sous le feu des canons prussiens.
L’après-midi du Dimanche gras, vers quatre heures, la foule inondait les boulevards.
On attendait le cortège.
Il y avait des curieux à toutes les fenêtres et des sonneurs de trompe à toutes les encoignures occupées par des cabarets. Aux fanfares des cuivres répondaient les mugissements des cornets à bouquin. C’était à se boucher les oreilles et les gens paisibles avaient beaucoup de peine à se tirer de cette cohue.
Vu d’en haut, le tableau était amusant.
Hervé, qui était venu très tard déjeuner chez Tortoni, dans le salon du premier étage, s’était accoudé, pour fumer son cigare, à une fenêtre où se pressaient d’autres habitués du célèbre café qui fait l’angle de la rue Taitbout.
Pibrac y avait déjeuné aussi, quoi qu’il se fût abominablement grisé au Grand-Quinze, mais il ne paraissait pas encore très bien remis des excès de ce souper auquel son ami Scaër avait refusé de prendre part, et il parlait fort peu, contre son habitude.
Avant de sortir, Hervé avait écrit à son inconnue, mais il s’était dispensé de lui donner son adresse, parce qu’il ne se fiait qu’à demi à la promesse de ne pas venir le relancer à l’hôtel du Rhin. Il lui avait seulement annoncé qu’il passerait, lui, tous les jours, à quatre heures, au marché aux fleurs de la Madeleine et qu’il ne tiendrait qu’à elle de l’y rencontrer.
La lettre était partie et, pour peu que la dame se hâtât d’aller la réclamer à la poste, elle pourrait, dès le lendemain, se trouver au rendez-vous quotidien qu’il lui assignait.
Quant au fameux carnet, Hervé n’avait pas pu se décider à s’en séparer. Il le portait sur lui, dans une poche de sûreté, bien cachée et bien fermée.
Le sommeil avait modifié ses idées. Il tenait moins à éclaircir un mystère qui, en somme, je ne l’intéressait pas personnellement. Il tenait toujours à revoir la femme au domino blanc qui devait lui donner des nouvelles d’Héva Nesbitt. Mais il n’avait pas oublié sa fiancée et il lui tardait qu’il fût l’heure de se présenter chez elle.
Il pensait même à lui dire qu’il était allé au bal de l’Opéra. M. de Bernage pouvait l’y avoir aperçu, et mieux valait confesser cette innocente fredaine que d’attendre que le père en parlât à sa fille. Ce père ne devait pas être disposé à se vanter de s’être affublé d’un faux nez; mais tout arrive, et Hervé n’avait peut-être pas tort de vouloir prendre les devants.
Le cortège était en vue. De ce pas majestueux et lent qui convient à un triomphateur, le bœuf descendait la pente du boulevard Montmartre.
Il s’avançait, précédé d’un escadron de mousquetaires Louis XIII, montés sur des chevaux de troupe, et suivi par un char monumental qui portait tous les dieux de l’Olympe, y compris le Temps, armé de la faux classique.
Un si beau spectacle avait mis sur pied un bon tiers de la population de la ville-lumière et, à l’approche de la cavalcade, les badauds qui encombraient la chaussée refluaient sur les trottoirs.
Hervé attendait que le torrent se fût écoulé pour s’acheminer vers l’hôtel de Bernage et il allait se retirer de la fenêtre, lorsque Pibrac lui dit en lui poussant le coude:
– Regarde donc, là… au-dessous de nous, ton futur beau-père qui essaie de grimper sur le perron de l’établissement; il nous a vus et il voudrait nous rejoindre… Il aura de la peine à arriver jusqu’ici, à travers cette foule, mais il est capable d’y réussir… et je ne te cacherai pas que ce financier m’ennuie. Tu es obligé de le supporter, mais moi, qui n’épouserai pas sa fille, je vais me réfugier dans le salon du fond. J’y ai aperçu des amis qui ne demandent qu’à me régaler d’un punch au kirsch et j’ai soif.
Il le fit comme il le disait et Scaër ne chercha point à le retenir, car il redoutait les intempérances de langage de ce viveur qui, du reste, n’était pas dans les bonnes grâces de M. de Bernage. Scaër descendit au rez-de-chaussée pour épargner au père de sa promise la peine de monter et il le rencontra au bas de l’escalier.
Ce millionnaire – qui ne l’avait pas toujours été – payait de mine et personne ne l’aurait pris pour un parvenu. Grand, large d’épaules et possédant ce qu’on appelle une belle prestance, il pouvait aussi prétendre en belle tête, comme on disait jadis. Sa physionomie, sans être sympathique, n’était pas déplaisante. Il avait l’air et les façons d’un gentleman d’outre-Manche, quoiqu’il ressemblât beaucoup moins à un Anglais qu’à un Arabe, avec son teint basané, ses dents blanches et ses grands yeux noirs pleins de feu.
Il venait d’atteindre la cinquantaine et ses cheveux commençaient à peine à s’argenter.
Un beau-père doué d’un extérieur si avantageux ne pouvait que faire honneur à Hervé qui, jusqu’alors, n’avait eu qu’à se louer de lui, car cet homme, enrichi par les affaires, n’avait ni marchandé, ni finassé pour traiter celle du mariage de sa fille.
Dès les premiers pourparlers, il s’était montré plus franc et plus désintéressé que bien des pères de noble race. Il lui suffisait, disait-il, que M. de Scaër plût à Solange et la rendît heureuse. Il avait fixé lui-même le chiffre de la dot, sans hésiter et sans autre condition que celle de passer chaque année quelques mois en Bretagne chez ses enfants.
Ce n’était vraiment pas trop exiger, et Hervé ne répugnait pas du tout à habiter pendant l’été avec un homme sérieux qui était resté gai et indulgent.
La fortune de Bernage, contrôlée par le notaire du futur, était solidement assise, en immeubles et en capitaux bien placés, et si elle était de date récente, il ne paraissait pas qu’elle eût été mal acquise. Elle avait un point de départ assez modeste et elle s’était rapidement accrue par d’heureuses spéculations commerciales et industrielles.
Celui qui l’avait faite en était à ce moment psychologique où l’homme qui a su s’enrichir СКАЧАТЬ