Название: Double-Blanc
Автор: Fortuné du Boisgobey
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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– Au marché aux fleurs de la Madeleine, tous les jours à quatre heures… et je vous prie de croire que je n’y aurais pas manqué.
– Ni moi non plus… mais rien ne nous empêche maintenant de nous voir chez moi, si vous le voulez.
– Je craindrais d’y rencontrer M. de Bernage.
– Votre futur beau-père. C’était donc vrai, ce que disait au bal de l’Opéra votre ami Pibrac?
– Moi aussi, madame, je vous ai dit que j’allais me marier.
– Vous ne m’avez pas dit avec qui. Alors, vous aimez cette jeune fille?
Hervé se tut. Lancée avec cette brusquerie, la question l’avait choqué. Il se demandait de quel droit la marquise la lui posait et quels desseins elle avait sur lui. Il n’avait eu avec elle qu’un bref entretien et la lettre qu’elle lui avait remise ne contenait que d’énigmatiques allusions à une rencontre en Bretagne. Qu’attendait-elle de lui? Le moment était venu de la prier de s’expliquer.
– Pourquoi ne l’aimeriez-vous pas? reprit doucement la marquise. Elle est charmante et le passé est si loin!…
– De quel passé parlez-vous?
– Ne le savez-vous pas?… Vous avez lu ma lettre…
– Oui… elle ne m’a pas beaucoup renseigné.
– Aviez-vous donc oublié qu’un soir, près du dolmen de Trévic…
– Une femme m’est apparue. Comment l’aurais-je oublié?… il n’y a que trois ans de cela… mais cette femme…
– C’était moi. Je voyageais alors sur le yacht de mon mari. J’ai voulu voir la place où vous vous étiez engagé jadis avec Héva Nesbitt.
– Héva!… vous l’aviez donc connue?
– C’était ma meilleure amie, là-bas, en Amérique, avant qu’elle vînt en France… et pendant le peu de temps qu’elle a passé dans votre pays avec sa mère, elle m’a écrit qu’elle s’était fiancée à vous… et elle m’a si bien décrit la grève de Trévic que je n’ai eu aucune peine à la découvrir… Je ne m’attendais pas à vous y rencontrer.
– Que ne m’avez-vous dit alors ce que vous me dites maintenant!
– À ce moment-là, je ne savais pas que le chasseur qui m’avait surprise au pied du dolmen était le baron de Scaër… je ne l’ai su qu’après… et d’ailleurs, je n’étais pas libre… J’ai dû regagner précipitamment le yacht qui m’avait amenée, mais je me suis souvenue… et dès que j’ai été maîtresse de mes actions, j’ai tout quitté…
– Pas pour vous mettre à ma recherche, je suppose?
– Non, monsieur. Pour chercher ma malheureuse amie. Dix ans se sont écoulés depuis qu’elle a disparu et je ne désespère pas encore de la retrouver… ou de la venger.
– La venger! vous croyez donc qu’on l’a tuée!
– Tuée ou séquestrée, puisqu’elle n’a jamais donné signe de vie.
– Vous ne réussirez pas là où la justice française a échoué.
– La justice française ne savait pas ce que je sais. Elle a perdu la trace des disparues. Moi, je suis certaine qu’on les a amenées à Paris… amenées ou attirées. Qu’y a-t-on fait d’elles?… Je l’ignore, mais je le saurai et, je vous le répète, je les vengerai.
– Je vous y aiderai bien volontiers.
– Vous pensez donc encore à Héva? demanda vivement la marquise.
– Toujours, et si je connaissais les assassins…
– Vous les dénonceriez sans pitié. Ainsi ferai-je quand j’aurai des preuves… et j’en aurai.
– Disposez de moi, madame, si je puis vous servir. Mais qu’avait fait donc cette enfant de quinze ans pour mériter la haine des scélérats qui…
– Elle et sa mère étaient trop riches. On les a supprimées pour les dépouiller d’une somme énorme qu’elles venaient de recueillir… Mais l’heure n’est pas venue de vous apprendre leur histoire… et la mienne. Parlons de vous, monsieur, et puisque vous craignez de vous heurter chez moi à M. de Bernage, faites-moi la grâce de me dire où je pourrais vous voir… Chez vous, ce serait peu convenable…
– Où il vous plaira, madame. Je suis logé à l’hôtel du Rhin, place Vendôme, et j’y attendrai vos ordres… Maintenant, oserai-je vous demander si vous comptez recevoir M. de Bernage?
– Il le faudra bien, puisqu’il m’a promis de m’aider à réaliser mon rêve hospitalier. Pourquoi cette question?
– Parce que je tiens à vous dire qu’il a des projets que vous ne soupçonnez pas et que je désapprouve. Vous êtes propriétaire à Cuba d’une mine qu’il voudrait acheter à vil prix pour le compte d’une Compagnie financière…
– Il a dit cela?
– Oui, madame…, après votre départ.
– C’est singulier. Je ne possède plus un pouce de terre à Cuba. Toute ma fortune est en France. Je ne puis croire que M. de Bernage soit si mal informé et je devine qu’il a pris ce prétexte pour motiver les fréquentes visites qu’il se propose de me faire.
– Alors, vous pensez qu’il veut seulement vous seconder dans la grande œuvre de charité que vous voulez entreprendre?
– Je pense qu’il viendra surtout parce que j’ai eu le malheur de lui plaire. Je m’étonne que vous ne vous en soyez pas aperçu. Il a, n’en doutez pas, l’intention de me faire la cour.
– À son âge!
– Vous ne le connaissez pas, à ce que je vois. Moi, je sais ce qu’il vaut… mais je me tiendrai sur mes gardes… et je vous prie de me pardonner de parler si franchement à son futur gendre.
– Je l’aime mieux galantin suranné que malhonnête… et si, comme je l’avais cru, il pensait à profiter de l’ignorance où vous êtes de la valeur réelle de vos terres, je le tiendrais en médiocre estime.
– Mais vous épouseriez sa fille, quand même. Et pourquoi non, au fait?… Elle ne lui ressemble pas, j’imagine.
Hervé s’abstint de répondre à ce coup de griffe féminin et la marquise, voyant qu’elle venait de le blesser, s’empressa de réparer son tort, en lui tendant la main.
Il la prit et il y mit un baiser, comme s’il eût été dans un salon.
Personne ne le voyait. Perché sur son siège, le cocher de Mme de Mazatlan tournait le dos et pas un passant ne se montrait.
La paix était faite entre la Havane et la Bretagne.
– J’espère, monsieur, que vous ne m’en voulez plus, dit en souriant la marquise. СКАЧАТЬ