L'éducation sentimentale. Gustave Flaubert
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Название: L'éducation sentimentale

Автор: Gustave Flaubert

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ passait des heures à regarder, du haut de son balcon, la rivière qui coulait entre les quais grisâtres, noircis, de place en place, par la bavure des égouts, avec un ponton de blanchisseuses amarré contre le bord, où des gamins quelquefois s’amusaient, dans la vase, à faire baigner un caniche. Ses yeux délaissant à gauche le pont de pierre de Notre-Dame et trois ponts suspendus, se dirigeaient toujours vers le quai aux Ormes, sur un massif de vieux arbres, pareils aux tilleuls du port de Montereau. La tour Saint-Jacques, l’hôtel de ville, Saint-Gervais, Saint-Louis, Saint-Paul se levaient en face, parmi les toits confondus, – et le génie de la colonne de Juillet resplendissait à l’orient comme une large étoile d’or, tandis qu’à l’autre extrémité le dôme des Tuileries arrondissait, sur le ciel, sa lourde masse bleue. C’était par derrière, de ce côté-là, que devait être la maison de Mme Arnoux.

      Il rentrait dans sa chambre ; puis, couché sur son divan, s’abandonnait à une méditation désordonnée plans d’ouvrage, projets de conduite, élancements vers l’avenir. Enfin, pour se débarrasser de lui-même, il sortait.

      Il remontait, au hasard, le quartier latin, si tumultueux d’habitude, mais désert à cette époque, car les étudiants étaient partis dans leurs familles. Les grands murs des collèges, comme allongés par le silence, avaient un aspect plus morne encore ; on entendait toutes sortes de bruits paisibles, des battements d’ailes dans des cages, le ronflement d’un tour, le marteau d’un savetier ; et les marchands d’habits, au milieu des rues, interrogeaient de l’oeil chaque fenêtre, inutilement. Au fond des cafés solitaires, la dame du comptoir bâillait entre ses carafons remplis ; les journaux demeuraient en ordre sur la table des cabinets de lecture ; dans l’atelier des repasseuses, des linges frissonnaient sous les bouffées du vent tiède. De temps à autre, il s’arrêtait à l’étalage d’un bouquiniste ; un omnibus, qui descendait en frôlant le trottoir, le faisait se retourner ; et, parvenu devant le Luxembourg, il n’allait pas plus loin.

      Quelquefois, l’espoir d’une distraction l’attirait vers les boulevards. Après de sombres ruelles exhalant des fraîcheurs humides, il arrivait sur de grandes places désertes, éblouissantes de lumière, et où les monuments dessinaient au bord du pavé des dentelures d’ombre noire. Mais les charrettes, les boutiques recommençaient, et la foule l’étourdissait, – le dimanche surtout, – quand, depuis la Bastille jusqu’à la Madeleine, c’était un immense flot ondulant sur l’asphalte, au milieu de la poussière, dans une rumeur continue ; il se sentait tout écoeuré par la bassesse des figures, la niaiserie des propos, la satisfaction imbécile transpirant sur les fronts en sueur ! Cependant, la conscience de mieux valoir que ces hommes atténuait la fatigue de les regarder.

      Il allait tous les jours à l’Art industriel ; – et pour savoir quand reviendrait Mme Arnoux, il s’informait de sa mère très longuement. La réponse d’Arnoux ne variait pas ; «le mieux se continuait», sa femme, avec la petite, serait de retour la semaine prochaine. Plus elle tardait à revenir, plus Frédéric témoignait d’inquiétude, – si bien qu’Arnoux, attendri par tant d’affection, l’emmena cinq ou six fois dîner au restaurant.

      Frédéric, dans ces longs tête-à-tête, reconnut que le marchand de peinture n’était pas fort spirituel. Arnoux pouvait s’apercevoir de ce refroidissement ; et puis c’était l’occasion de lui rendre, un peu, ses politesses.

      Voulant donc faire les choses très bien, il vendit à un brocanteur tous ses habits neufs, moyennant la somme de quatre-vingts francs ; et, l’ayant grossie de cent autres qui lui restaient, il vint chez Arnoux le prendre pour dîner. Regimbart s’y trouvait. Ils s’en allèrent aux Trois Frères Provençaux.

      Le Citoyen commença par retirer sa redingote, et, sur de la déférence des deux autres, écrivit la carte. Mais il eut beau se transporter dans la cuisine pour parler lui-même au chef, descendre à la cave dont il connaissait tous les coins, et faire monter le maître de l’établissement, auquel il «donna un savon», il ne fut content ni des mets, ni des vins, ni du service ! A chaque plat nouveau, à chaque bouteille différente, dès la première bouchée, la première gorgée, il laissait tomber sa fourchette, ou repoussait au loin son verre ; puis s’accoudant sur la nappe de toute la longueur de son bras, il s’écriait qu’on ne pouvait plus dîner à Paris ! Enfin, ne sachant qu’imaginer pour sa bouche, Regimbart se commanda des haricots à l’huile, «tout bonnement», lesquels, bien qu’à moitié réussis, l’apaisèrent un peu. Puis il eut, avec le garçon, un dialogue, roulant sur les anciens garçons des Provençaux : «Qu’était devenu Antoine ? Et un nommé Eugène ? Et Théodore, le petit, qui servait toujours en bas ? Il y avait dans ce temps-là une chère autrement distinguée, et des têtes de Bourgogne comme on n’en reverra plus»

      Ensuite, il fut question de la valeur des terrains dans la banlieue, une spéculation d’Arnoux, infaillible. En attendant, il perdait ses intérêts. Puisqu’il ne voulait vendre à aucun prix, Regimbart lui découvrirait quelqu’un ; et ces deux messieurs firent, avec un crayon, des calculs jusqu’à la fin du dessert.

      On s’en alla prendre le café, passage du Saumon, dans un estaminet, à l’entresol. Frédéric assista, sur ses jambes, à d’interminables parties de billard, abreuvées d’innombrables chopes ; – et il resta là, jusqu’à minuit, sans savoir pourquoi, par lâcheté, par bêtise, dans l’espérance confuse d’un événement quelconque favorable à son amour.

      Quand donc la reverrait-il ? Frédéric se désespérait. Mais, un soir, vers la fin de novembre, Arnoux lui dit :

      «Ma femme est revenue hier, vous savez !»

      Le lendemain, à cinq heures, il entrait chez elle. Il débuta par des félicitations, à propos de sa mère, dont la maladie avait été si grave.

      «Mais non ! Qui vous l’a dit ?

      – Arnoux !»

      Elle fit un «ah» léger, puis ajouta qu’elle avait eu d’abord, des craintes sérieuses, maintenant disparues.

      Elle se tenait près du feu, dans la bergère de tapisserie. Il était sur le canapé, avec son chapeau entre ses genoux ; et l’entretien fut pénible, elle l’abandonnait à chaque minute il ne trouvait pas de joint pour y introduire ses sentiments. Mais, comme il se plaignait d’étudier la chicane, elle répliqua : «Oui… . je conçois… . les affaires… !» en baissant la figure, absorbée tout à coup par des réflexions.

      Il avait soif de les connaître, et même ne songeait pas à autre chose. Le crépuscule amassait de l’ombre autour d’eux.

      Elle se leva, ayant une course à faire, puis reparut avec une capote de velours, et une mante noire, bordée de petit-gris. Il osa offrir de l’accompagner.

      On n’y voyait plus ; le temps était froid, et un lourd brouillard, estompant la façade des maisons, puait dans l’air. Frédéric le humait avec délices ; car il sentait à travers la ouate du vêtement la forme de son bras ; et sa main, prise dans un gant chamois à deux boutons, sa petite main qu’il aurait voulu couvrir de baisers, s’appuyait sur sa manche. A cause du pavé glissant, ils oscillaient un peu ; il lui semblait qu’ils étaient tous les deux comme bercés par le vent, au milieu d’un nuage.

      L’éclat des lumières, sur le boulevard, le remit dans la réalité. L’occasion était bonne, le temps pressait. Il se donna jusqu’à la rue de Richelieu pour déclarer son amour. Mais, presque aussitôt, devant un magasin de porcelaines, elle s’arrêta net, en lui disant :

      «Nous y sommes, je vous remercie ! A jeudi, n’est-ce pas, comme d’habitude ?»

      Les dîners recommencèrent ; et plus il fréquentait Mme Arnoux, plus ses langueurs augmentaient.

      La СКАЧАТЬ