L'éducation sentimentale. Gustave Flaubert
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Название: L'éducation sentimentale

Автор: Gustave Flaubert

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ style="font-size:15px;">      Frédéric, devenu blême, jura qu’il ne cachait rien.

      «C’est qu’on ne vous connaît pas de maîtresse», reprit Arnoux.

      Frédéric eut envie de citer un nom, au hasard. Mais l’histoire pouvait lui être racontée. Il répondit qu’effectivement, il n’avait pas de maîtresse.

      Le marchand l’en blâma.

      «Ce soir, l’occasion était bonne ! Pourquoi n’avez-vous pas fait comme les autres, qui s’en vont tous avec une femme ?

      – Eh bien, et vous ? dit Frédéric, impatienté d’une telle persistance.

      – Ah ! moi ! mon petit c’est différent ! Je m’en retourne auprès de la mienne !»

      Il appela un cabriolet, et disparut.

      Les deux amis s’en allèrent à pied. Un vent d’est soufflait. Ils ne parlaient ni l’un ni l’autre. Deslauriers regrettait de n’avoir pas brillé devant le directeur d’un journal, et Frédéric s’enfonçait dans sa tristesse. Enfin, il dit que le bastringue lui avait paru stupide.

      «A qui la faute ? Si tu ne nous avais pas lâchés pour ton Arnoux !

      – Bah ! tout ce que j’aurais pu faire eût été complètement inutile !»

      Mais le Clerc avait des théories. Il suffisait pour obtenir les choses, de les désirer fortement.

      «Cependant, toi-même, tout à l’heure…

      – Je m’en moquais bien ! fit Deslauriers, arrêtant net l’allusion. Est-ce que je vais m’empêtrer de femmes !»

      Et il déclama contre leurs mièvreries, leurs sottises bref, elles lui déplaisaient.

      – Ne pose donc pas ! dit Frédéric.

      Deslauriers se tut. Puis, tout à coup :

      «Veux-tu parier cent francs que je fais la première qui passe ?

      – Oui ! accepté !»

      La première qui passa était une mendiante hideuse ; et ils désespéraient du hasard, lorsqu’au milieu de la rue de Rivoli, ils aperçurent une grande fille, portant à la main un petit carton.

      Deslauriers l’accosta sous les arcades. Elle inclina brusquement du côté des Tuileries, et elle prit bientôt par la Place du Carrousel ; elle jetait des regards de droite et de gauche. Elle courut après un fiacre ; Deslauriers la rattrapa. Il marchait près d’elle, en lui parlant avec des gestes expressifs. Enfin elle accepta son bras, et ils continuèrent le long des quais. Puis, à la hauteur du Châtelet, pendant vingt minutes au moins, ils se promenèrent sur le trottoir, comme deux marins faisant leur quart. Mais, tout à coup, ils traversèrent le pont au Change, le marché aux Fleurs, le quai Napoléon. Frédéric entra derrière eux. Deslauriers lui fit comprendre qu’il les gênerait, et n’avait qu’à suivre son exemple.

      «Combien as-tu encore ?

      – Deux pièces de cent sous.

      – C’est assez ! bonsoir.»

      Frédéric fut saisi par l’étonnement que l’on éprouve à voir une farce réussir «Il se moque de moi», pensa-t-il. Si je remontais ? Deslauriers croirait, peut-être, qu’il lui enviait cet amour ? Comme si je n’en avais pas un, et cent fois plus rare, plus noble, plus fort !» Une espèce de colère le poussait. Il arriva devant la porte de Mme Arnoux.

      Aucune des fenêtres extérieures ne dépendait de son logement. Cependant, il restait les yeux collés sur la façade, – comme s’il avait cru, par cette contemplation, pouvoir fendre les murs. Maintenant, sans doute, elle reposait, tranquille comme une fleur endormie, avec ses beaux cheveux noirs parmi les dentelles de l’oreiller, les lèvres entre-closes, la tête sur un bras.

      Celle d’Arnoux lui apparut. Il s’éloigna, pour fuir cette vision.

      Le conseil de Deslauriers vint à sa mémoire ; il en eut horreur. Alors, il vagabonda dans les rues.

      Quand un piéton s’avançait, il tâchait de distinguer son visage. De temps à autre, un rayon de lumière lui passait entre les jambes, décrivait au ras du pavé un immense quart de cercle ; et un homme surgissait, dans l’ombre, avec sa hotte et sa lanterne. Le vent, en de certains endroits, secouait le tuyau de tôle d’une cheminée ; des sons lointains s’élevaient, se mêlant au bourdonnement de sa tête, et il croyait entendre, dans les airs, la vague ritournelle des contredanses. Le mouvement de sa marche entretenait cette ivresse ; il se trouva sur le pont de la Concorde.

      Alors, il se ressouvint de ce soir de l’autre hiver, – où, sortant de chez elle, pour la première fois, il lui avait fallu s’arrêter, tant son coeur battait vite sous l’étreinte de ses espérances. Toutes étaient mortes, maintenant !

      Des nues sombres couraient sur la face de la lune. Il la contempla, en rêvant à la grandeur des espaces, à la misère de la vie, au néant de tout. Le jour parut ; ses dents claquaient ; et, à moitié endormi, mouillé par le brouillard et tout plein de larmes, il se demanda pourquoi n’en pas finir ? Rien qu’un mouvement à faire ! Le poids de son front l’entraînait, il voyait son cadavre flottant sur l’eau ; Frédéric se pencha. Le parapet était un peu large, et ce fut par lassitude qu’il n’essaya pas de le franchir.

      Une épouvante le saisit. Il regagna les boulevards et s’affaissa sur un banc. Des agents de police le réveillèrent, convaincus qu’il «avait fait la noce».

      Il se remit à marcher. Mais comme il se sentait grand faim, et que tous les restaurants étaient fermés, il alla souper dans un cabaret des Halles. Après quoi, jugeant qu’il était encore trop tôt, il flâna aux alentours de l’hôtel de ville, jusqu’à huit heures et un quart.

      Deslauriers avait depuis longtemps congédié sa donzelle ; et il écrivait sur la table, au milieu de la chambre. Vers quatre heures, M. de Cisy entra.

      Grâce à Dussardier, la veille au soir, il s’était abouché avec une dame ; et même il l’avait reconduite en voiture, avec son mari, jusqu’au seuil de sa maison, où elle lui avait donné rendez-vous. Il en sortait. On ne connaissait pas ce nom-là !

      «Que voulez-vous que j’y fasse ?» dit Frédéric.

      Alors le gentilhomme battit la campagne ; il parla de Mlle Vatnaz, de l’Andalouse, et de toutes les autres. Enfin, avec beaucoup de périphrases, il exposa le but de sa visite : se fiant à la discrétion de son ami, il venait pour qu’il l’assistât dans une démarche, après laquelle il se regarderait définitivement comme un homme ; et Frédéric ne le refusa pas. Il conta l’histoire à Deslauriers, sans dire la vérité sur ce qui le concernait personnellement.

      Le Clerc trouva qu’ «il allait maintenant très bien.» Cette déférence à ses conseils augmenta sa bonne humeur.

      C’était par elle qu’il avait séduit, dès le premier jour, Mlle Clémence Daviou, brodeuse en or pour équipements militaires, la plus douce personne qui fût, et svelte comme un roseau, avec de grands yeux bleus, continuellement ébahis. Le Clerc abusait de sa candeur, jusqu’à fui faire croire qu’il était décoré, il ornait sa redingote d’un ruban rouge, dans leurs tête-à-tête, mais s’en privait en public, pour ne point humilier son patron, disait-il. Du reste, il la tenait à distance, СКАЧАТЬ