L'éducation sentimentale. Gustave Flaubert
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Название: L'éducation sentimentale

Автор: Gustave Flaubert

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ perçait dans ses yeux gris ; et sa longue redingote noire, tout son costume sentait le pédagogue et l’ecclésiastique.

      D’abord, on causa des choses du jour, entre autres du Stabat de Rossini ; Sénécal, interrogé, déclara qu’il n’allait jamais au théâtre. Pellerin ouvrit la boîte de couleurs.

      «Est-ce pour toi, tout cela ? dit le clerc.

      – Mais sans doute !

      – Tiens ! quelle idée !»

      Et il se pencha sur la table, où le répétiteur de mathématiques feuilletait un volume de Louis Blanc. Il l’avait apporté lui-même, et lisait à voix basse des passages, tandis que Pellerin et Frédéric examinaient ensemble la palette, le couteau, les vessies, puis ils vinrent à s’entretenir du dîner chez Arnoux.

      «Le marchand de tableaux ? demanda Sénécal. Joli monsieur, vraiment !

      – Pourquoi donc ?» dit Pellerin.

      Sénécal répliqua :

      «Un homme qui bat monnaie avec des turpitudes politiques»

      Et il se mit à parier d’une lithographie célèbre, représentant toute la famille royale livrée à des occupations édifiantes : Louis-Philippe tenait un code, la reine un paroissien, les princesses brodaient, le duc de Nemours ceignait un sabre ; M. de Joinville montrait une carte géographique à ses jeunes frères ; on apercevait, dans le fond, un lit à deux compartiments. Cette image, intitulée Une bonne famille, avait fait les délices des bourgeois, mais l’affliction des patriotes. Pellerin, d’un ton vexé comme s’il en était l’auteur, répondit que toutes les opinions se valaient ; Sénécal protesta. L’Art devait exclusivement viser à la moralisation des masses ! Il ne fallait reproduire que des sujets poussant aux actions vertueuses ; les autres étaient nuisibles.

      «Mais ça dépend de l’exécution ? cria Pellerin. Je peux faire des chefs-d’oeuvre !

      – Tant pis pour vous, alors ! on n’a pas le droit…

      – Comment ?

      – Non ! monsieur, vous n’avez pas le droit de m’intéresser à des choses que je réprouve ! Qu’avons-nous besoin de laborieuses bagatelles, dont il est impossible de tirer aucun profit, de ces Vénus, par exemple, avec tous vos paysages ? Je ne vois pas là d’enseignement pour le peuple ! Montrez-nous ses misères, plutôt ! enthousiasmez-nous pour ses sacrifices ! Eh ! bon Dieu, les sujets ne manquent pas : la ferme, l’atelier…»

      Pellerin en balbutiait d’indignation, et, croyant avoir trouvé un argument :

      «Molière, l’acceptez-vous ?

      – Soit ! dit Sénécal. Je l’admire comme précurseur de la Révolution française.

      – Ah ! la Révolution ! Quel art ! Jamais il n’y a eu d’époque plus pitoyable !

      – Pas de plus grande, monsieur.»

      Pellerin se croisa les bras, et, le regardant en face :

      «Vous m’avez l’air d’un fameux garde national !»

      Son antagoniste, habitué aux discussions, répondit :

      «Je n’en suis pas ! et je la déteste autant que vous Mais, avec des principes pareils, on corrompt les foules Ça fait le compte du Gouvernement, du reste ! il ne serait pas si fort sans la complicité d’un tas de farceurs comme celui-là.»

      Le peintre prit la défense du marchand, car les opinions de Sénécal l’exaspéraient. Il osa même soutenir que Jacques Arnoux était un véritable coeur d’or, dévoué à ses amis, chérissant sa femme.

      «Oh ! oh ! si on lui offrait une bonne somme, il ne la refuserait pas pour servir de modèle.»

      Frédéric devint blême.

      «Il vous a donc fait bien du tort, monsieur ?

      – A moi ? non ! Je l’ai vu, une fois, au café, avec un ami. Voilà tout.»

      Sénécal disait vrai. Mais il se trouvait agacé, quotidiennement, par les réclames de l’Art industriel. Arnoux était, pour lui, le représentant d’un monde qu’il jugeait funeste à la démocratie. Républicain austère, il suspectait de corruption toutes les élégances, n’ayant d’ailleurs aucun besoin, et étant d’une probité inflexible.

      La conversation eut peine à reprendre. Le peintre se rappela bientôt son rendez-vous, le répétiteur ses élèves ; et, quand ils furent sortis, après un long silence, Deslauriers fit différentes questions sur Arnoux.

      «Tu m’y présenteras plus tard, n’est-ce pas, mon vieux ?

      – Certainement», dit Frédéric.

      Puis ils avisèrent à leur installation. Deslauriers avait obtenu, sans peine, une place de second clerc chez un avoué, pris à l’Ecole de droit son inscription, acheté les livres indispensables, – et la vie qu’ils avaient tant rêvée commença.

      Elle fut charmante, grâce à la beauté de leur jeunesse. Deslauriers n’ayant parlé d’aucune convention pécuniaire, Frédéric n’en paria pas. Il subvenait à toutes les dépenses, rangeait l’armoire, s’occupait du ménage ; mais, s’il fallait donner une mercuriale au concierge, le Clerc s’en chargeait, continuant, comme au collège, son rôle de protecteur et d’aîné.

      Séparés tout le long du jour, ils se retrouvaient le soir. Chacun prenait sa place au coin du feu et se mettait à la besogne. Ils ne tardaient pas à l’interrompre. C’étaient des épanchements sans fin, des gaietés sans cause, et des disputes quelquefois, à propos de la lampe qui filait ou d’un livre égaré, colères d’une minute, que des rires apaisaient.

      La porte du cabinet au bois restant ouverte, ils bavardaient de loin, dans leur lit.

      Le matin, ils se promenaient en manches de chemise sur leur terrasse ; le soleil se levait, des brumes légères passaient sur le fleuve, on entendait un glapissement dans le marché aux fleurs à côté ; – et les fumées de leurs pipes tourbillonnaient dans l’air pur, qui rafraîchissait leurs yeux encore bouffis ; ils sentaient, en l’aspirant, un vaste espoir épandu.

      Quand il ne pleuvait pas, le dimanche, ils sortaient ensemble ; et, bras dessus bras dessous, ils s’en allaient par les rues. Presque toujours la même réflexion leur survenait à la fois, ou bien ils causaient, sans rien voir autour d’eux. Deslauriers ambitionnait la richesse, comme moyen de puissance sur les hommes. Il aurait voulu remuer beaucoup de monde, faire beaucoup de bruit, avoir trois secrétaires sous ses ordres, et un grand dîner politique une fois par semaine. Frédéric se meublait un palais à la moresque, pour vivre couché sur des divans de cachemire, au murmure d’un jet d’eau, servi par des pages nègres ; – et ces choses rêvées devenaient à la fin tellement précises, qu’elles le désolaient comme s’il les avait perdues.

      «A quoi bon causer de tout cela , disait-il, puisque jamais nous ne l’aurons !

      – Qui sait ?» reprenait Deslauriers.

      Malgré ses opinions démocratiques, il l’engageait à s’introduire chez les Dambreuse. L’autre objectait ses tentatives.

      «Bah ! retournes-y ! On t’invitera !»

      Ils СКАЧАТЬ