L'éducation sentimentale. Gustave Flaubert
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Название: L'éducation sentimentale

Автор: Gustave Flaubert

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ sans attendre sa réponse, il demanda bas à Hussonnet :

      «Comment l’appelez-vous, votre ami ?»

      Puis tout haut :

      «Prenez donc un cigare, sur le cartonnier, dans la boîte.»

      L’Art industriel, posé au point central de Paris, était un lieu de rendez-vous commode, un terrain neutre où les rivalités se coudoyaient familièrement. On y voyait ce jour-là, Anténor Braive, le. portraitiste des rois ; Jules Burrieu, qui commençait à populariser par ses dessins les guerres d’Algérie ; le caricaturiste Sombaz, le sculpteur Vourdat, d’autres encore, et aucun ne répondait aux préjugés de l’étudiant. Leurs manières étaient simples, leurs propos libres. Le mystique Lovarias débita un conte obscène ; et l’inventeur du paysage oriental, le fameux Dittmer, portait une camisole de tricot sous son gilet, et prit l’omnibus pour s’en retourner.

      Il fut d’abord question d’une nommée Apollonie, un ancien modèle que Burrieu prétendait avoir reconnue sur le boulevard, dans une daumont. Hussonnet expliqua cette métamorphose par la série de ses entreteneurs.

      «Comme ce gaillard-là connaît les filles de Paris ! dit Arnoux.

      – Après vous, s’il en reste, sire», répliqua le bohème, avec un salut militaire, pour imiter le grenadier offrant sa gourde à Napoléon.

      Puis on discuta quelques toiles, où la tête d’Apollonia avait servi. Les confrères absents furent critiqués. On s’étonnait du prix de leurs oeuvres ; et tous se plaignaient de ne point gagner suffisamment, lorsque entra un homme de taille moyenne, l’habit fermé par un seul bouton, les yeux vifs, l’air un peu fou.

      «Quel tas de bourgeois vous êtes ! dit-il. Qu’est-ce que cela fait, miséricorde ! Les vieux qui confectionnaient des chefs-d’oeuvre ne s’inquiétaient pas du million. Corrège, Murillo…

      – Ajoutez Pellerin», dit Sombaz.

      Mais sans relever l’épigramme, il continua de discourir avec tant de véhémence, qu’Arnoux fut contraint de lui répéter deux fois :

      «Ma femme a besoin de vous, jeudi. N’oubliez pas !»

      Cette parole ramena la pensée de Frédéric sur Mme Arnoux. Sans doute, on pénétrait chez elle par le cabinet près du divan ? Arnoux, pour prendre un mouchoir, venait de l’ouvrir ; Frédéric avait aperçu, dans le fond, un lavabo. Mais une sorte de grommellement sortit du coin de la cheminée ; c’était le personnage qui lisait son journal, dans le fauteuil. Il avait cinq pieds neuf pouces, les paupières un peu tombantes, la chevelure grise, l’air majestueux – et s’appelait Regimbart.

      «Qu’est-ce donc, citoyen ? dit Arnoux.

      – Encore une nouvelle canaillerie du Gouvernement !»

      Il s’agissait de la destitution d’un maître d’école.

      Pellerin reprit son parallèle entre Michel-Ange et Shakespeare. Dittmer s’en allait. Arnoux le rattrapa pour lui mettre dans la main deux billets de banque. Alors, Hussonnet, croyant le moment favorable :

      «Vous ne pourriez pas m’avancer, mon cher patron ?…»

      Mais Arnoux s’était rassis et gourmandait un vieillard d’aspect sordide, en lunettes bleues.

      «Ah ! vous êtes joli, père Isaac ! Voilà trois oeuvres décriées, perdues ! Tout le monde se fiche de moi ! On les connaît maintenant ! Que voulez-vous que j’en fasse ? Il faudra que je les envoie en Californie !… au diable ! Taisez-vous !»

      La spécialité de ce bonhomme consistait à mettre au bas de ces tableaux des signatures de maîtres anciens. Arnoux refusait de le payer ; il le congédia brutalement. Puis, changeant de manières, il salua un monsieur décoré, gourmé, avec favoris et cravate blanche.

      Le coude sur l’espagnolette de la fenêtre, il lui parla pendant longtemps, d’un air mielleux. Enfin il éclata :

      «Eh ! je ne suis pas embarrassé d’avoir des courtiers, monsieur le comte !»

      Le gentilhomme s’étant résigné, Arnoux lui solda vingt-cinq louis, et, dès qu’il fut dehors :

      «Sont-ils assommants, ces grands seigneurs !

      – Tous des misérables !» murmura Regimbart.

      A mesure que l’heure avançait, les occupations d’Arnoux redoublaient ; il classait des articles, décachetait des lettres, alignait des comptes ; au bruit du marteau dans le magasin, sortait pour surveiller les emballages, puis reprenait sa besogne et, tout en faisant courir sa plume de fer sur le papier, il ripostait aux plaisanteries. Il devait dîner le soir chez son avocat, et partait le lendemain pour la Belgique.

      Les autres causaient des choses du jour : le portrait de Cherubini, l’hémicycle des Beaux-Arts l’exposition prochaine. Pellerin déblatérait contre l’Institut. Les cancans, les discussions s’entrecroisaient. L’appartement, bas de plafond, était si rempli, qu’on ne pouvait remuer ; et la lumière des bougies roses passait dans la fumée des cigares comme des rayons de soleil dans la brume.

      La porte, près du divan, s’ouvrit, et une grande femme mince entra, – avec des gestes brusques qui faisaient sonner sur sa robe en taffetas noir toutes les breloques de sa montre.

      C’était la femme entrevue, l’été dernier, au Palais Royal. Quelques-uns, l’appelant par son nom, échangèrent avec elle des poignées de main. Hussonnet avait enfin arraché une cinquantaine de francs ; la pendule sonna sept heures ; tous se retirèrent.

      Arnoux dit à Pellerin de rester, et conduisit Mlle Vatnaz dans le cabinet.

      Frédéric n’entendait pas leurs paroles ils chuchotaient. Cependant, la voix féminine s’éleva :

      «Depuis six mois que l’affaire est faite, j’attends toujours !»

      Il y eut un long silence, Mlle Vatnaz reparut. Arnoux lui avait encore promis quelque chose.

      «Oh ! oh ! plus tard, nous verrons !

      – Adieu, homme heureux !» dit-elle, en s’en allant.

      Arnoux rentra vivement dans le cabinet, écrasa du cosmétique sur ses moustaches, haussa ses bretelles pour tendre ses sous-pieds ; et, tout en se lavant les mains :

      «Il me faudrait deux dessus de porte, à deux cent cinquante la pièce, genre Boucher, est-ce convenu ?

      – Soit , dit l’artiste, devenu rouge.

      – Bon ! et n’oubliez pas ma femme !»

      Frédéric accompagna Pellerin jusqu’au haut du faubourg Poissonnière, et lui demanda la permission de venir le voir quelquefois, faveur qui fut accordée gracieusement.

      Pellerin lisait tous les ouvrages d’esthétique pour découvrir la véritable théorie du Beau, convaincu, quand il l’aurait trouvée, de faire des chefs-d’oeuvre. il s’entourait de tous les auxiliaires imaginables, dessins, plâtres, modèles, gravures ; et il cherchait, se rongeait ; il accusait le temps, ses nerfs, son atelier, sortait dans la rue pour rencontrer l’inspiration, tressaillait de l’avoir saisie, puis abandonnait son oeuvre et en rêvait une autre qui devait être plus belle. Ainsi tourmenté par des convoitises СКАЧАТЬ