La main froide. Fortuné du Boisgobey
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Название: La main froide

Автор: Fortuné du Boisgobey

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ d’autant plus le ciel qui avait inspiré au vicomte de Servon l’idée d’emmener ses amis.

      – Te voilà, joli lâcheur, lui cria Mirande, du plus loin qu’il l’aperçut. Était-elle bonne la soupe de ta maman? Et le bouilli? Et le petit ginglet pour arroser tout ça? Si tu étais venu avec nous, tu aurais mangé de la bisque et bu du Clicquot. Demande plutôt à ces dames. Mais je te tiens, maintenant, et tu vas finir ta nuit avec nous… nous souperons chez Baratte, aux Halles.

      Cormier admirait à part lui les effets du vin de Champagne qui inspirait de tels projets au dernier rejeton d’une famille de la vieille-roche et il était assez disposé à prendre la chose gaiement. Mirande, ce soir-là, ne pouvait lui être bon à rien et Paul n’était pas pressé de s’acquitter de la commission dont l’avait chargé le père Bardin, emporté par son zèle matrimonial.

      Il craignait seulement que le bal ne finît pas sans bataille. Mirande, quand il se mettait dans ces états-là, avait le louis facile et le coup de poing aussi. Pour peu qu’on l’agaçât, il en venait aux voies de fait et il arrivait que la fête se terminait au violon.

      Paul, qui n’avait pas envie de l’y suivre, méditait déjà de le calmer et de le ramener tout doucement à son domicile du boulevard Saint-Germain où il pourrait se coucher et cuver son vin jusqu’au lendemain.

      Le diable c’était que le reste de la bande avait perdu toute notion du respect qu’on doit à l’autorité qui veille sur la tranquillité des bals publics. Ces dames avaient déjà failli se faire mettre à la porte en levant la jambe plus haut que le casque du municipal de service. Véra, la nihiliste, poussait des cris séditieux. Il est vrai qu’elle les poussait en russe et que personne ne les comprenait, mais les étudiants qui complétaient le cortège de Jean bousculaient tout le monde et faisaient un tapage infernal.

      Paul, malgré tout, espérait encore que la soirée s’achèverait pacifiquement. Il comptait sans le pochard qui l’avait déjà interpellé du fond de la tonnelle qu’il occupait avec trois créatures. Elles avaient essayé de le contenir, mais il s’était arraché de leurs pattes et il vint se planter devant Paul Cormier, les bras croisés, le chapeau rejeté sur la nuque et les cheveux en coup de vent.

      – D’où sort-il celui-là? grommela Mirande en toisant l’intrus qui lui dit brusquement:

      – Ce n’est pas à vous que j’ai affaire… c’est à celui-ci.

      – A moi? demanda Paul, stupéfait.

      – Oui, à vous. Pourquoi vous faites-vous appeler le marquis de Ganges?

      Paul pâlit et ne répondit pas. Il comprenait que cet homme avait entendu les présentations, mais il ne devinait pas en quoi elles pouvaient l’avoir offensé.

      – Êtes-vous fou? demanda Mirande à l’ivrogne, dont l’attitude agressive commençait à l’irriter.

      – Je ne suis pas fou et je suis parfaitement sûr d’avoir bien entendu. Encore une fois, pourquoi, vous, le petit blond, pourquoi avez-vous pris un nom qui ne vous appartient pas?

      Êtes-vous le marquis de Ganges, oui ou non?

      – Qu’est-ce que ça vous fait? riposta Mirande, exaspéré par cette insistance tenace qui est particulière aux gens ivres.

      – Ce que ça me fait? Vous voulez le savoir? C’est moi qui suis le marquis de Ganges.

      – Possible! ricana Jean. Vous n’en avez pas l’air.

      – Je ne vous parle pas. Je parle à cet homme qui s’obstine à ne pas me répondre… et je lui répète qu’il s’est permis de prendre mon nom, que je veux savoir pourquoi et que s’il persiste à refuser de me le dire, je vais le souffleter.

      Paul leva le bras, pour prendre les devants, mais Mirande fut plus prompt que lui.

      – Après moi, s’il en reste, cria-t-il en appliquant sur la joue du réclamant une maîtresse gifle.

      Ce fut le signal d’un tumulte effroyable. Les filles qui buvaient tout à l’heure avec le souffleté s’enfuirent en criant comme si elles avaient reçu le soufflet. Les amis et les amies de Jean arrivèrent pour lui prêter main-forte au cas où le battu essaierait de rendre coup pour coup. Jean s’était mis en posture de boxer et tout faisait prévoir qu’un combat acharné allait s’engager entre ces deux hommes, ivres tous les deux et aussi furieux l’un que l’autre.

      On accourait de tous les côtés du jardin et il y avait déjà des gens qui montaient sur des chaises pour mieux voir. Pour un peu ils auraient fait: Kss!… kss!…

      Le plus ennuyé de tous les acteurs de cette scène, c’était Paul Cormier, qui était la cause de la querelle et qui, faute de présence d’esprit, avait laissé son ami usurper le premier rôle, un rôle qui pouvait le mener sur le terrain.

      Mais ceux qui comptaient sur le spectacle d’une belle lutte à coups de poing furent complètement volés.

      Soit que le souffleté vît qu’il ne serait pas le plus fort, soit qu’il trouvât au-dessous de sa dignité d’engager un pugilat, il s’abstint de se jeter sur son adversaire, et il lui dit avec un sang-froid surprenant:

      – Maintenant, monsieur, ce n’est plus à votre ami que j’ai à faire, c’est à vous et vous me rendrez raison de l’outrage.

      Le soufflet l’avait non seulement dégrisé, mais transfiguré. L’ivrogne avait maintenant l’attitude et le ton d’un gentleman, brutalement offensé.

      – Quand il vous plaira, répliqua Mirande. Je vais vous donner ma carte.

      – Pas ici, je vous prie. Voici les sergents de ville qui arrivent. Je ne veux pas être mis au poste et je suppose que vous tenez aussi à éviter ce dénouement ridicule. Veuillez sortir avec moi et vos amis… y compris monsieur…– le souffleté désignait Paul— j’ai un autre compte à régler avec lui. Mais venez avant qu’on nous entoure… nous nous expliquerons dehors.

      – Je ne demande pas mieux.

      Trois des étudiants qui escortaient Mirande s’esquivèrent. Ceux-là, comme Panurge, craignaient les coups naturellement. Les trois autres restèrent. Les femmes s’étaient perdues dans la foule, aussitôt après la gifle. Mirande ouvrit la marche et on lui fit place. Son encolure et ses biceps imposaient le respect aux curieux et les sergents de ville, enchantés de n’avoir pas à intervenir, laissèrent passer le groupe, subitement apaisé.

      Une paix provisoire ou plutôt une trêve, commandée par la crainte de la police, qui n’est pas tendre aux étudiants.

      Le Monsieur, dégrisé, était un homme jeune et élégamment tourné, dont les traits distingués semblaient avoir été altérés par des débauches prolongées. L’ivresse habituelle y avait mis sa marque. Ce n’était pas la physionomie d’un raffiné de vices comme le vicomte de Servon. Il y avait de cela avec un peu d’abrutissement en plus. Paul se représentait ainsi le pâle Rolla d’Alfred de Musset, ce Rolla qui n’était autre que le poète lui-même.

      D’où venait cet homme, évidemment tombé de haut dans de crapuleuses habitudes? Qu’était-il venu faire à ce bal avec des filles de bas étage? Et quel vertige l’avait poussé à planter là des créatures pour apostropher Paul, à propos d’un nom prononcé, un nom qui ne devait jouir d’aucune notoriété à la Closerie des Lilas?

      Avait-il СКАЧАТЬ