La main froide. Fortuné du Boisgobey
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Название: La main froide

Автор: Fortuné du Boisgobey

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ qu’il n’aurait pas osé tenir chez sa mère, et encore moins chez la baronne Dozulé, où il avait joué le rôle d’un seigneur qu’on attendait.

      Et le fait était que Paul se sentait revivre à l’idée de se retrouver sur le sable des allées de la Closerie des Lilas, où il pourrait, à son choix, rêver à Jacqueline, ou bien se distraire en joyeuse compagnie, et où personne ne le prendrait plus pour le marquis de Ganges.

      Au bout de la rue des Tournelles, il sauta dans un fiacre découvert, après avoir allumé un cigare, et il se fit conduire au célèbre jardin où tant de générations des Écoles de droit et de médecine ont fait leurs premiers pas.

      Il y arriva, juste à l’heure où la fête bat son plein et, comme c’était dimanche, la foule était énorme: une vraie cohue où dominaient les étudiants, mais où il y avait aussi des amateurs venus de la rive droite, en transfrétant la Séquane, a écrit le maître Rabelais.

      Ceux-là, blasés sur les quadrilles payés que la Goulue et Grille d’égout dansent tous les soirs au Jardin de Paris, venaient se retremper aux sources du cancan, alléchés par l’espoir de voir exécuter, bon jeu bon argent, des pas fantastiques, inventés par la belle jeunesse française.

      Il a été de mode, un temps fut, dans les grands clubs, de s’offrir ce divertissement, comme on allait jadis voir la descente de la Courtille.

      C’est un genre de sport que messieurs les Copurchies se permettent encore quelquefois.

      Mais Paul Cormier ne s’attendait guère à rencontrer à Bullier la fine fleur de l’élégance parisienne.

      Il venait y chercher Jean de Mirande et sa suite, car il supposait qu’après un plantureux dîner chez Foyot, la bande avait dû éprouver le besoin d’aller gigotter à la Closerie.

      Le difficile c’était de les rencontrer, au milieu de ce flot de promeneurs, de danseurs et de consommateurs, car à Bullier tous les plaisirs sont réunis. On circule dans un jardin éclairé au gaz, on danse dans une salle immense, aux sons d’une musique endiablée, on boit sur les longues estrades qui l’entourent en la dominant et aussi dans les bosquets.

      Ce soir-là, il y avait du monde partout, et justement une valse échevelée tournoyait d’un bout à l’autre de la salle couverte, refoulant les curieux et bousculant les gêneurs.

      Paul, qui ne tenait pas à faire là des études de chorégraphie moderne, se rabattit sur le jardin où il comptait attendre que les évolutions circulaires des valseurs eussent pris fin.

      Alors seulement, il pourrait se mettre en quête de Jean, avec quelque chance de le trouver.

      Le jardin était fort encombré aussi. On s’y disputait les tables encastrées dans des massifs de verdure et les garçons de café, portant à bout de bras des plateaux chargés de bocks, fendaient impitoyablement les groupes qui se permettaient d’empêcher la circulation en stationnant dans les allées.

      Paul, la veille encore, aurait trouvé charmante cette fête dominicale. Maintenant, il la voyait avec d’autres yeux. La joie de ces jeunes gens lui semblait grossière; les femmes lui semblaient laides et mal habillées.

      Et ce n’était pas l’argent gagné au jeu qui changeait ainsi son optique; c’était l’image de Jacqueline qu’il avait sans cesse devant ses yeux et qui, par l’effet de la comparaison, lui faisait prendre en dégoût les pitoyables drôlesses du quartier.

      Il n’était pas l’amant de cette merveilleuse marquise; et tout au plus espérait-il le devenir; mais il était déjà son complice, puisqu’il partageait avec elle un secret qu’elle était intéressée à cacher.

      C’était assez pour qu’il se crût fait d’un autre bois que les camarades;

      Jean de Mirande, excepté.

      Celui-là était du même monde que madame de Ganges; il ne le fréquentait pas, ce monde aristocratique, mais il y était né et quoi qu’il affectât d’en faire fi, il était homme à comprendre certaines nuances qui échappaient complètement aux autres habitués de la Closerie.

      Paul le cherchait donc, quoique bien décidé à ne pas lui faire de confidences, et ce ne fut pas lui qu’il rencontra.

      Au détour d’une allée, Paul se trouva presque nez à nez avec un monsieur qui venait en sens inverse et qui s’écria:

      – Vous, ici, monsieur le marquis!

      Ce monsieur, c’était le vicomte de Servon, aussi étonné de la rencontre que Paul Cormier l’était de le trouver là.

      Le vicomte, toujours poli, aborda courtoisement son heureux adversaire du baccarat, mais sa figure exprima un autre sentiment que l’étonnement. Ses yeux disaient clairement: «Eh bien?… et votre femme?»

      Paul comprit. Il y avait dans le regard qui tomba sur lui toute une série d’interrogations que le vicomte était trop bien appris pour formuler en paroles.

      Il voulait dire, ce regard clair et légèrement ironique: «Quoi! vous êtes arrivé ce soir, d’un long voyage; vous avez à peine eu le temps de voir votre charmante femme et au lieu de passer la soirée avec elle, vous venez vous divertir dans un bal d’étudiants!»

      Paul était même tenté d’y lire quelque chose comme ceci: «Très bien. On pourra essayer de la consoler cette belle marquise que vous délaissez ainsi».

      Mais il ne s’agissait pas de deviner les intentions de M. de Servon; il s’agissait de se tirer immédiatement d’une situation plus qu’embarrassante et Paul ne pouvait s’en tirer que par un mensonge.

      Il lui en coûtait, car jusqu’alors, il n’avait pas menti, dans le sens littéral du mot. Il s’était laissé traiter de marquis de Ganges et présenter comme tel par la baronne Dozulé, mais il n’avait rien dit qui pût faire croire que ce nom et ce titre lui appartenaient.

      Maintenant, il se trouvait pris dans un engrenage. Sous peine de passer pour l’amant de Jacqueline, il fallait mentir, non plus en se taisant, mais en inventant une explication de sa présence à Bullier.

      Le diable s’en mêlait. Il maudissait ce vicomte qui s’était avisé de traverser les ponts au lieu de chercher à se refaire en taillant un baccarat dans les salons de son club. Mais il était obligé de répondre, et il répondit, en allant au-devant des questions qu’il prévoyait.

      – Vous ne vous attendiez pas à me rencontrer ici, surtout ce soir, n’est-ce pas, monsieur? commença-t-il d’un ton dégagé. Je pourrais vous dire, comme le doge de Gênes, à Versailles… ce qui m’étonne le plus, c’est de m’y voir. Figurez-vous que ma femme, qui ne savait pas que j’arriverais à Paris aujourd’hui, avait accepté une invitation à dîner chez une de ses amies. Elle voulait lui écrire pour se dégager. J’ai exigé qu’elle y allât. Elle y passera la soirée. J’ai dîné seul… au restaurant… et ne sachant que faire après, je suis venu, en me promenant et en fumant d’innombrables cigares, jusque dans ce quartier excentrique. J’ai entendu la musique de ce bal et l’envie m’a pris d’y entrer. Je crois que je n’y resterai pas longtemps.

      Pour une explication improvisée, celle-là n’était pas trop mauvaise, et Paul s’empressa d’essayer d’une diversion.

      – Mais vous-même, monsieur, reprit-il, par quel hasard?…

      – Mon Dieu! c’est СКАЧАТЬ