L'homme qui rit. Victor Hugo
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу L'homme qui rit - Victor Hugo страница 19

Название: L'homme qui rit

Автор: Victor Hugo

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

Серия:

isbn:

isbn:

СКАЧАТЬ haie; on voit dans la prairie par une crevasse du buisson l’ombre allongée d’une charrette et d’un cheval au soleil couchant, et de temps en temps au-dessus de la haie paraît et disparaît l’extrémité de la fourche chargée de foin. Il n’en faut pas plus pour une chanson.

      Un départ, selon ce qu’on a dans le coeur ou dans l’esprit, est un soulagement ou un accablement. Tous semblaient allégés, un excepté, qui était le vieux de la troupe, l’homme au chapeau sans pipe.

      Ce vieux, qui paraissait plutôt allemand qu’autre chose, bien qu’il eût une de ces figures à fond perdu où la nationalit s’efface, était chauve, et si grave que sa calvitie semblait une tonsure. Chaque fois qu’il passait devant la sainte vierge de la proue, il soulevait son feutre, et l’on pouvait apercevoir les veines gonflées et séniles de son crâne. Une façon de grande robe usée et déchiquetée, en serge brune de Dorchester, dont il s’enveloppait, ne cachait qu’à demi son justaucorps serré, étroit, et agrafé jusqu’au collet comme une soutane. Ses deux mains tendaient à l’entrecroisement et avaient la jonction machinale de la prière habituelle. Il avait ce qu’on pourrait nommer la physionomie blême; car la physionomie est surtout un reflet, et c’est une erreur de croire que l’idée n’a pas de couleur. Cette physionomie était évidemment la surface d’un étrange état intérieur, la résultante d’un composé de contradictions allant se perdre les unes dans le bien, les autres dans le mal, et, pour l’observateur, la révélation d’un à peu près humain pouvant tomber au-dessous du tigre ou grandir au-dessus de l’homme. Ces chaos de l’âme existent. Il y avait de l’illisible sur cette figure. Le secret y allait jusqu’ l’abstrait. On comprenait que cet homme avait connu l’avant-goût du mal, qui est le calcul, et l’arrière-goût, qui est le zéro. Dans son impassibilité, peut-être seulement apparente, étaient empreintes les deux pétrifications, la pétrification du coeur, propre au bourreau, et la pétrification de l’esprit, propre au mandarin. On pouvait affirmer, car le monstrueux a sa manière d’être complet, que tout lui était possible, même s’émouvoir. Tout savant est un peu cadavre; cet homme était un savant. Rien qu’à le voir, on devinait cette science empreinte dans les gestes de sa personne et dans les plis de sa robe. C’était une face fossile dont le sérieux était contrarié par cette mobilité ridée du polyglotte qui va jusqu’à la grimace. Du reste, sévère. Rien d’hypocrite, mais rien de cynique. Un songeur tragique. C’était l’homme que le crime a laissé pensif. Il avait le sourcil d’un trabucaire modifié par le regard d’un archevêque. Ses rares cheveux gris étaient blancs sur les tempes. On sentait en lui le chrétien, compliqué de fatalisme turc. Des nooeds de goutte déformaient ses doigts disséqués par la maigreur; sa haute taille roide était ridicule; il avait le pied marin. Il marchait lentement sur le pont sans regarder personne, d’un air convaincu et sinistre. Ses prunelles étaient vaguement pleines de la lueur fixe d’une âme attentive aux ténèbres et sujette à des réapparitions de conscience.

      De temps en temps le chef de la bande, brusque et alerte, et faisant de rapides zigzags dans le navire, venait lui parler l’oreille. Le vieillard répondait d’un signe de tête. On eût dit l’éclair consultant la nuit.

      III. LES HOMMES INQUIETS SUR LA MER INQUIÈTE

      Deux hommes sur le navire étaient absorbés, ce vieillard et le patron de l’ourque, qu’il ne faut pas confondre avec le chef de la bande; le patron était absorbé par la mer, le vieillard par le ciel. L’un ne quittait pas des yeux la vague, l’autre attachait sa surveillance aux nuages. La conduite de l’eau était le souci du patron; le vieillard semblait suspecter le zénith. Il guettait les astres par toutes les ouvertures de la nuée.

      C’était ce moment où il fait encore jour, et où quelques étoiles commencent à piquer faiblement le clair du soir.

      L’horizon était singulier. La brume y était diverse.

      Il y avait plus de brouillard sur la terre, et plus de nuage sur la mer.

      Avant même d’être sorti de Portland-Bay, le patron, préoccupé du flot, eut tout de suite une grande minutie de manoeuvres. Il n’attendit pas qu’on eût décapé. Il passa en revue le trelingage, et s’assura que la bridure des bas haubans était en bon état et appuyait bien les gambes de hune, précaution d’un homme qui compte faire des témérités de vitesse.

      L’ourque, c’était là son défaut, enfonçait d’une demi-vare par l’avant plus que par l’arrière.

      Le patron passait à chaque instant du compas de route au compas de variation, visant par les deux pinnules aux objets de la côte, afin de reconnaître l’aire de vent à laquelle ils répondaient. Ce fut d’abord une brise de bouline qui se déclara; il n’en parut pas contrarié, bien qu’elle s’éloignât de cinq pointes du vent de la route. Il tenait lui-même la barre le plus possible, paraissant ne se fier qu’à lui pour ne perdre aucune force, l’effet du gouvernail s’entretenant par la rapidité du sillage.

      La différence entre le vrai rumb et le rumb apparent étant d’autant plus grande que le vaisseau a plus de vitesse, l’ourque semblait gagner vers l’origine du vent plus qu’elle ne faisait réellement. L’ourque n’avait pas vent largue et n’allait pas au plus près, mais on ne connaît directement le vrai rumb que lorsqu’on va vent arrière. Si l’on aperçoit dans les nuées de longues bandes qui aboutissent au même point de l’horizon, ce point est l’origine du vent; mais ce soir-là il y avait plusieurs vents, et l’aire du rumb était trouble; aussi le patron se méfiait des illusions du navire.

      Il gouvernait à la fois timidement et hardiment, brassait au vent, veillait aux écarts subits, prenait garde au lans, ne laissait pas arriver le bâtiment, observait la dérive, notait les petits chocs de la barre, avait l’oeil à toutes les circonstances du mouvement, aux inégalités de vitesse du sillage, aux folles ventes, se tenait constamment, de peur d’aventure, à quelque quart de vent de la côte qu’il longeait, et surtout maintenait l’angle de la girouette avec la quille plus ouvert que l’angle de la voilure, le rumb de vent indiqué par la boussole étant toujours douteux, à cause de la petitesse du compas de route. Sa prunelle, imperturbablement baissée, examinait toutes les formes que prenait l’eau.

      Une fois pourtant il leva les yeux vers l’espace et tâcha d’apercevoir les trois étoiles qui sont dans le baudrier d’Orion; ces étoiles se nomment les trois Mages, et un vieux proverbe des anciens pilotes espagnols dit: Qui voit les trois mages n’est pas loin du sauveur.

      Ce coup d’oeil du patron au ciel coïncida avec cet apart grommelé à l’autre bout du navire par le vieillard:

      – Nous ne voyons pas même la Claire des Gardes, ni l’astre Antarès, tout rouge qu’il est. Pas une étoile n’est distincte.

      Aucun souci parmi les autres fugitifs.

      Toutefois, quand la première hilarité de l’évasion fut passée, il fallut bien s’apercevoir qu’on était en mer au mois de janvier, et que la bise était glacée. Impossible de se loger dans la cabine, beaucoup trop étroite et d’ailleurs encombrée de bagages et de ballots. Les bagages appartenaient aux passagers, et les ballots à l’équipage, car l’ourque n’était point un navire de plaisance et faisait la contrebande. Les passagers durent s’établir sur le pont; résignation facile à ces nomades. Les habitudes du plein air rendent aisés aux vagabonds les arrangements de nuit; la belle étoile est de leurs amies; et le froid les aide à dormir, à mourir quelquefois,

      Celle nuit-là, du reste, on vient de le voir, la belle étoile était absente.

      Le languedocien et le génois, en attendant le souper, se pelotonnèrent près des femmes, au pied du mât, sous des prélarts que les matelots leur jetèrent.

      Le СКАЧАТЬ