Название: L'homme qui rit
Автор: Victor Hugo
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
isbn:
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Il se tut, ouvrit de plus en plus son oeil avec un redoublement d’attention sur ce qu’il voyait, et reprit:
– Cela vient de loin, mais cela sait ce que cela fait.
Le segment de l’espace où plongeaient le rayon visuel et la pensée du docteur, étant opposé au couchant, était éclairé par la vaste réverbération crépusculaire presque comme par le jour. Ce segment, fort circonscrit et entouré de lambeaux de vapeur grisâtre, était tout simplement bleu, mais d’un bleu plus voisin du plomb que de l’azur.
Le docteur, tout à fait retourné du côté de la mer et sans regarder le patron désormais, désigna de l’index ce segment aérien, et dit:
– Patron, vois-tu?
– Quoi?
– Cela.
– Quoi?
– Là-bas.
– Du bleu. Oui.
– Qu’est-ce?
– Un coin du ciel.
– Pour ceux qui vont au ciel, dit le docteur. Pour ceux qui vont ailleurs, c’est autre chose.
Et il souligna ces paroles d’énigme d’un effrayant regard perdu dans l’ombre.
Il y eut un silence.
Le patron, songeant à la double qualification donnée par le chef à cet homme, se posa en lui-même cette question: Est-ce un fou? Est-ce un sage?
L’index osseux et rigide du docteur était demeuré dressé comme en arrêt vers le coin bleu trouble de l’horizon.
Le patron examina ce bleu,
– En effet, grommela-t-il, ce n’est pas du ciel, c’est du nuage.
– Nuage bleu pire que nuage noir, dit le docteur. Et il ajouta:
– C’est le nuage de la neige.
– La nube de la nieve, fit le patron comme s’il cherchait mieux comprendre en se traduisant le mot.
– Sais-tu ce que c’est que le nuage de la neige? demanda le docteur.
– Non.
– Tu le sauras tout à l’heure.
Le patron se remit à considérer l’horizon.
Tout en observant le nuage, le patron parlait entre ses dents.
– Un mois de bourrasque, un mois de pluie, janvier qui tousse et février qui pleure, voilà tout notre hiver à nous autres asturiens. Notre pluie est chaude. Nous n’avons de neige que dans la montagne. Par exemple, gare à l’avalanche! l’avalanche ne connaît rien; l’avalanche, c’est la bête.
– Et la trombe, c’est le monstre, dit le docteur,
Le docteur, après une pause, ajouta;
– La voilà qui vient.
Il reprit:
– Plusieurs vents se mettent au travail à la fois. Un gros vent, de l’ouest, et un vent très lent, de l’est.
– Celui-là est un hypocrite, dit le patron.
La nuée bleue grandissait.
– Si la neige, continua le docteur, est redoutable quand elle descend de la montagne, juge de ce qu’elle est quand elle croule du pôle.
Son oeil était vitreux. Le nuage semblait croître sur son visage en même temps qu’à l’horizon.
Il reprit avec un accent de rêverie:
– Toutes les minutes amènent l’heure. La volonté d’en haut s’entr’ouvre.
Le patron de nouveau se posa intérieurement ce point d’interrogation: Est-ce un fou?
– Patron, repartit le docteur, la prunelle toujours attachée sur le nuage, as-tu beaucoup navigué dans la Manche?
Le patron répondit:
– C’est aujourd’hui la première fois.
Le docteur, que le nuage bleu absorbait, et qui, de même que l’éponge n’a qu’une capacité d’eau, n’avait qu’une capacit d’anxiété, ne fut pas, à cette réponse du patron, ému au del d’un très léger dressement d’épaule.
– Comment cela?
– Seigneur docteur, je ne fais habituellement que le voyage d’Irlande. Je vais de Fontarabie à Black-Harbour ou à l’île Akill, qui est deux îles. Je vais parfois à Brachipult, qui est une pointe du pays de Galles. Mais je gouverne toujours par del les îles Scilly. Je ne connais pas cette mer-ci.
– C’est grave. Malheur à qui épelle l’océan! La Manche est une mer qu’il faut lire couramment. La Manche, c’est le sphinx. Méfie-toi du fond.
– Nous sommes ici dans vingt-cinq brasses.
– Il faut arriver aux cinquante-cinq brasses qui sont au couchant et éviter les vingt qui sont au levant.
– En route, nous sonderons.
– La Manche n’est pas une mer comme une autre. La marée y monte de cinquante pieds dans les malines et de vingt-cinq dans les mortes eaux. Ici, le reflux n’est pas l’èbe, et l’èbe n’est pas le jusant. Ah! tu m’avais l’air décontenancé en effet.
– Cette nuit, nous sonderons.
– Pour sonder, il faut s’arrêter, et tu ne pourras.
– Pourquoi?
– Parce que le vent.
– Nous essaierons.
– La bourrasque est une épée aux reins.
– Nous sonderons, seigneur docteur.
– Tu ne pourras pas seulement mettre côté à travers.
– Foi en Dieu.
– Prudence dans les paroles. Ne prononce pas légèrement le nom irritable.
– Je sonderai, vous dis-je.
– Sois modeste. Tout à l’heure tu vas être souffleté par le vent.
– Je veux dire que je tâcherai de sonder.
– Le choc de l’eau empêchera le plomb de descendre et la ligne cassera. Ah! tu viens dans ces parages pour la première fois!
– Pour la première fois.
– Eh bien, en ce cas, écoute, patron.
L’accent СКАЧАТЬ