Mémoires du comte Reynier: Campagne d'Égypte. Berthier Louis-Alexandre
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СКАЧАТЬ Ils fuient dans le désert plutôt que de se soumettre entièrement. Redoutés des cultivateurs, et bravant le gouvernement dans leurs fuites et leurs retours faciles, ils forcent toujours les fellâhs d'acheter leur protection.

      Le titre de cheik arabe est très vénéré en Égypte. Aussitôt que les cheiks de village sont assez riches pour entretenir une maison et un certain nombre de cavaliers, ils se procurent une généalogie qui les fait descendre de quelque ancienne famille arabe, et prennent le titre de cheik-el-arab.

      Si les querelles et les haines invétérées des tribus arabes ne s'opposaient pas à leur réunion, elles pourraient rassembler quarante mille cavaliers, et seraient maîtresses de l'Égypte; mais l'esprit de division qui les domine en préserve le pays.

      Les familles arabes qui habitent les villages, notamment les Aouarahs, dans la Haute-Égypte, paraissent descendre de ceux qui en firent la conquête sous les successeurs de Mahomet; mais l'établissement des autres tribus est plus moderne; je n'ai pu en découvrir l'époque, non plus que celle de la distinction de leurs arrondissemens. Les vieillards et les tribus établies près des terres cultivées, font remonter leur émigration au onzième ou douzième siècle. Dans tous les temps, le Nil a attiré sur ses rives les habitans du désert: du côté de la Charkiëh sont les tribus venues de l'Arabie; celles de la Barbarie s'arrêtent dans le Bahirëh, à l'ouest du Nil: elles sont plus belliqueuses et mieux armées que les autres. Il en arrive fréquemment de nouvelles des parties occidentales.

      Outre les alliances entre les tribus, il existe encore chez les Arabes de grands partis ou ligues, dont les cheiks puissans sont les chefs: chaque famille ou chaque tribu tient à l'une de ces ligues, celles qui sont du même parti se soutiennent réciproquement dans leurs guerres. Lorsqu'il s'élève une rixe entre deux tribus du même parti, celle qui n'est pas soutenue par le reste de la ligue passe momentanément dans le parti opposé. Je n'ai pu découvrir l'origine de ces ligues; elles sont très anciennes, et se retrouvent chez tous les Arabes. Dans la Basse-Égypte, l'un des partis est nommé Sath, l'autre Haran; en Syrie, Kiech et Yemani; les familles de fellâhs et les villages sont attachés à l'une ou à l'autre de ces ligues. Les beys, dans leurs dissensions, s'en appuyaient lorsqu'il y avait deux partis principaux dans le gouvernement. À l'arrivée de l'armée française, Ibrahim-Bey, était Sath, et Mourâd-Bey, Haran. En général le parti sath était attaché au gouverneur du Kaire.

      Les Arabes paraissent en quelque sorte former un cadre dans lequel la population de l'Égypte est enchâssée; ils constituent un gouvernement hors du gouvernement. Je me suis un peu étendu sur leur état politique, parce qu'on en trouve des traces dans toutes les autres classes.

       Table des matières

      Les fellâhs, ou cultivateurs de l'Égypte, tiennent beaucoup des Arabes, et sont probablement un mélange de leurs premières immigrations avec les anciens habitans. On retrouve chez eux la même distinction en familles; lorsqu'elles sont réunies dans un même village, elles forment une espèce de tribu. Les haines entre les familles ou les villages sont aussi fortes; mais l'extrême dépendance détruit chez eux l'esprit altier et libre qui distingue l'Arabe. Les fellâhs végètent sous un gouvernement féodal d'autant plus rigoureux qu'il est divisé, et que leurs oppresseurs font partie de l'autorité qui devrait les protéger; ils cherchent cependant toujours à se rapprocher de l'indépendance des Arabes, et s'honorent de les citer pour ancêtres.

      Les fellâhs sont attachés par familles aux terres qu'ils doivent cultiver; leur travail est la propriété des mukhtesims ou seigneurs de villages, dont nous parlerons plus bas; quoiqu'ils ne puissent être vendus, leur sort est aussi affreux qu'un véritable esclavage. Ils possèdent et transmettent à leurs enfans la propriété des terres allouées à leur famille; mais ils ne peuvent les aliéner, à peine peuvent-ils les louer, sans la permission de leur seigneur: si, excédés de misère et de vexations, ils quittent leur village, le mukhtesim a le droit de les faire arrêter. L'hospitalité, exercée par les fellâhs comme par les Arabes, leur ouvre un asile dans d'autres villages, où ils louent leurs services et où ils demeurent si leur propriétaire n'est pas assez puissant pour les y poursuivre. Ils sont aussi reçus chez les Arabes. Ceux qui restent dans le village sont encore plus malheureux; ils doivent supporter tout le travail et payer les charges des absens: réduits enfin au désespoir, ils finissent par tout abandonner, et deviennent domestiques des Arabes du désert, s'ils ne peuvent se réfugier ailleurs. On voit plusieurs villages abandonnés, dont les terres sont incultes, parce que les habitans ont ainsi puni des propriétaires trop avides.

      Les mukhtesims ou propriétaires de villages peuvent être comparés aux seigneurs du régime féodal; ils perçoivent la plus grande partie du produit des cultures, dont ils forment ensuite deux portions inégales; la plus faible, sous le nom de miry, est l'impôt territorial dû au grand-seigneur, et ils réservent pour eux la plus forte, sous les noms de fays, de barani, etc., etc. Outre ces droits, ils ont, ainsi que les seigneurs féodaux, la propriété immédiate d'une terre nommée oussieh, que les fellâhs doivent cultiver par corvées outre celles qu'ils possèdent.

      Un village n'appartient pas toujours à un seul propriétaire, souvent il en a plusieurs. Pour établir clairement cette division des droits, on le suppose divisé en vingt-quatre parties, qu'on nomme karats, et chaque mukhtesim en a un nombre déterminé. Chaque portion du village cultivé par une ou plusieurs familles, a pour cheik un des chefs de ces familles, nommé par le mukhtesim. Celui de ces cheiks qui possède le plus de richesses, qui peut entretenir des cavaliers, et qui a la principale influence dans les querelles et dans les guerres, est reconnu pour cheik principal et traite des affaires générales; mais il n'a d'autorité que dans sa famille; ses avis ne sont suivis dans le reste du village, qu'en raison de la crainte ou de l'estime qu'il inspire.

      Outre les cheiks, il y a dans les villages quelques autres fonctionnaires; l'oukil, chargé par les propriétaires du soin des récoltes de l'oussieh; le chahed et le kholi, espèce de notables, dépositaires du petit nombre d'actes qui se font dans les villages; le méchaid, le mohandis, espèces d'arpenteurs, etc., etc.

      Le muckhtesim établit quelquefois un kaimakan, ou commandant de village chargé de le représenter, d'entretenir la police, de suivre les cultures, et de veiller au paiement des contributions. Lorsque cet homme est assez bien escorté pour se faire obéir, qu'il ne cherche pas uniquement sa fortune, et que le propriétaire connaît assez ses intérêts pour n'en pas faire l'instrument de ses vexations, il est utile aux villages, parce que les querelles sont plus facilement apaisées, et que la police étant mieux observée, les fellâhs se livrent entièrement à la culture.

      Les fellâhs étant cultivateurs et propriétaires, ont plus de sujets de querelles que les Arabes: leurs cheiks n'ayant d'autorité réelle que dans leur famille, il n'existe aucune puissance municipale centrale; si l'un d'eux ne prend pas de prépondérance, si les mukhtesims ne s'accordent pas pour entretenir un kaimakan avec une force armée imposante, l'anarchie s'empare du village, et chaque famille veut venger elle-même ses querelles. Le besoin de s'occuper de la culture des terres les force cependant à des accommodemens; ils cherchent des arbitres ou des juges; mais il n'existe aucune force chargée de faire exécuter ces arrêts. Souvent l'une des parties qui se croit lésée par le jugement s'y soustrait, à moins que quelque homme puissant ne la force à s'y soumettre.

      Les kadis, établis dans chaque province pour juger les différends, d'après le Koran, n'ont qu'un faible ascendant d'opinion. On ne s'adresse à eux que pour quelques affaires générales entre plusieurs villages, et pour des discussions d'intérêt où il faut présenter des pièces judiciaires. Les mukhtesims, qui trouvent plus convenable à СКАЧАТЬ