Mémoires du comte Reynier: Campagne d'Égypte. Berthier Louis-Alexandre
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СКАЧАТЬ un jeune homme élevé pour la guerre loin de ses parens? Dans un gouvernement tout militaire, les chefs ont-ils pensé que des esclaves qui tiennent tout d'eux, qui n'ont aucune famille, et qui les regardent comme leur père, doivent être plus attachés à leurs personnes et moins dangereux dans les emplois de confiance, que ceux qui, ayant la facilité d'appuyer leur autorité de celle de leur famille, pourraient se former des partis et se rendre indépendans?

      Dans un gouvernement militaire et féodal, cet usage de former des esclaves que l'on destine aux premiers emplois, pouvait seul parer aux dangers de l'agrandissement des familles principales. Lorsque l'Europe gémissait sous le régime féodal, les possesseurs de grands fiefs disputaient l'autorité entre eux, ainsi qu'aux rois et empereurs; l'anarchie des États était complète. C'est peut-être cette politique qui a prolongé l'existence des descendans d'Osman; quelques esclaves élevés à des pachalics ont visé à l'indépendance, mais ils ont eu rarement une postérité qui pût suivre leur exemple, et après leur mort tout rentrait dans le devoir. Aucune grande famille n'a pu s'élever assez pour disputer le gouvernement à la famille régnante, ni faire une scission dans l'empire: l'Égypte est la seule province que l'éloignement et l'organisation de son gouvernement aient disposée à former une exception. Le gouvernement ottoman a été plus sage à Constantinople que les chefs de l'Égypte: les janissaires ont souvent déposé des sultans, mais aucun de leurs chefs n'a pu se rendre indépendant; et, par principe, on a toujours écrasé ou appauvri les grandes familles qui auraient pu profiter de leur influence. Le gouvernement a sans cesse évité le danger d'avoir auprès de lui un corps armé toujours avide de pouvoir, disposé à s'en emparer, et qui pouvait servir d'instrument a des ambitieux.

      Des mameloucks, que les califes fathmites avaient achetés pour former leur garde, finirent par s'emparer du gouvernement: les chefs transmirent leur puissance à leurs descendans, mais ceux de Salah-ed-din s'amollirent, augmentèrent, comme les califes, le nombre et la puissance de leurs mameloucks, et furent également supplantés. Les mameloucks n'eurent plus alors de chefs héréditaires: la force ou le choix décida de celui qui prendrait le commandement; sa mort amenait de nouvelles querelles, et les partis s'accordaient pour un même choix, ou se partageaient l'Égypte.

      Sélim II saisit, pour les attaquer, le moment de ces dissensions, et admit l'un des partis à partager le gouvernement: ces mameloucks conservèrent une existence politique, et firent partie des corps de milice: des beys, choisis entre eux par les chefs de ces corps et le pacha, étaient chargés de la police des provinces, et admis aux délibérations du divan, qui servait de contre-poids à l'autorité du pacha. Les grands officiers du gouvernement, voulant augmenter leur puissance, achetèrent des mameloucks. Ibrahim-Kiaya, qui en possédait le plus grand nombre, et qui sut s'attacher les propriétaires des autres, s'en servit pour s'élever, se fit craindre et gouverna l'Égypte. Après sa mort, les beys, qu'il avait accoutumés à l'exercice de l'autorité, voulurent en jouir; Ali-Bey, supérieur en talens et en caractère à tous les autres, devint chef, et se rendit indépendant. La Porte rétablit bien un pacha, mais les mameloucks, habitués à régner sur l'Égypte, ne lui laissèrent que l'apparence de l'autorité.

      Tous les mameloucks achetés par un chef, ou même par un de ses affranchis, sont regardés comme de sa famille et lui donnent le nom de père; c'est ce qui forme les grandes distinctions du corps des mameloucks. Ceux qui parviennent à jouer un rôle à leur tête, et qui y restent assez long-temps pour acheter beaucoup d'esclaves et pour les avancer, deviennent chefs de maison.[17]

      Les affranchis et les esclaves d'un même maître se regardent comme frères; mais, à la mort de leur maître, les principaux sont souvent divisés d'intérêts, la faveur qu'ils ont eue de son vivant déterminant leur richesse et leur pouvoir. Celui qui en a le plus acquiert la plus grande influence, et ceux de ses frères qui ne peuvent pas lui disputer l'autorité le reconnaissent pour chef. Si plusieurs sont égaux en force, ils se font la guerre jusqu'à ce que l'un des deux succombe, ou qu'ils s'accordent par le partage de l'autorité.

      Tous les mameloucks actuels sont de la maison d'Ibrahim-Kiaya; Ali-Bey, et Mohamed-Bey Aboudahab se disputèrent l'autorité, et l'exercèrent successivement. La maison d'Ali-Bey existe encore dans les mameloucks d'Hassan-Bey et d'Osman-Bey Hassan, qui, à l'arrivée des Français, étaient réfugiés dans le Saïd. Ibrahim-Bey et Mourâd-Bey, principaux esclaves de Mohamed-Bey Aboudahab, avaient fini leur longue querelle par gouverner ensemble l'Égypte; ils ont formé depuis deux maisons.

      Des marchands turcs amènent des esclaves de Constantinople en Égypte: on les choisit depuis six jusqu'à seize et dix-sept ans[18]. Achetés par les beys, par les kiachefs et les mukhtesims, ils sont, pendant leur enfance, employés au service personnel; leur éducation est toute militaire, c'est elle qui leur donne l'adresse, la force et la souplesse qui les distinguent dans les exercices du corps, l'équitation et le maniement des armes: devenus assez forts et assez exercés, ils montent à cheval; c'est alors qu'ils sont employés dans les expéditions, et que, suivant le degré d'affection qu'ils inspirent, on les attache à la garde plus particulière de leur maître.

      Lorsque, pour récompenser leurs services, leur maître les affranchit, ils quittent sa maison, reçoivent de lui des propriétés, souvent même il les marie à l'une de ses esclaves; ils ont alors le droit d'acheter des mameloucks, et cessent d'être employés au service intérieur; mais ils sont toujours prêts à obéir à leur maître, et le suivent à la guerre. La permission de laisser croître leur barbe est le signe extérieur de leur liberté. Quoique le nombre des kiachefs fût fixé, et que le corps des beys dût les choisir sous la confirmation du pacha, ceux qui avaient de l'influence nommaient leurs créatures, et les faisaient reconnaître par les autres. Les vingt-quatre beys étaient choisis parmi les kiachefs; lorsqu'une de ces places était vacante, ils en proposaient un au pacha, qui le confirmait; dans les derniers temps c'était une simple formalité, et le chef de maison le plus puissant nommait des beys de sa famille. Mourâd et Ibrahim, lorsqu'ils partagèrent le gouvernement, s'accordèrent pour avoir un nombre à peu près égal de beys.

      Une grande carrière est donc toujours ouverte à l'ambition des mameloucks: d'esclaves ils peuvent devenir beys, chefs de maison, et même souverains de l'Égypte. Leurs moyens de parvenir sont l'attachement, le zèle et l'obéissance; la force et l'adresse dans les exercices militaires, la bravoure dans les combats; ils obtiennent ainsi la faveur de leur maître: des richesses et la liberté. Devenus kiachefs, ils peuvent obtenir des commandemens de provinces ou des expéditions, dans lesquelles ils pressurent les fellâhs et les Arabes: ils accumulent alors l'argent nécessaire pour acheter et entretenir un grand nombre d'esclaves. La considération qu'ils ont acquise, la crainte qu'inspire une force militaire imposante, et les richesses, les conduisent ensuite aux premiers emplois.

      Les guerres entre les mameloucks des différentes maisons, dont les chefs se disputaient le gouvernement, entraînaient la chute d'un parti, qui se retirait dans la Haute-Égypte. Les vaincus étaient proscrits, leurs biens confisqués[19], et leurs beys étaient remplacés au divan par des kiachefs du parti victorieux, qu'on nommait beys à leur place. Le chef de la maison dominante, outre ce qu'il possédait par lui-même, devenait de cette manière possesseur d'une grande partie des villages de ses adversaires; il en obtenait encore par des concessions qu'il forçait les mukhtesims à lui faire, et par la succession des gens de sa maison qui mouraient sans héritiers. Il se servait de toutes ses propriétés pour augmenter ses propres revenus, pour enrichir ses créatures, et pour rendre sa maison plus puissante.

      Les beys et les kiachefs recevaient chaque année le gouvernement de quelque province ou arrondissement. Ils y allaient faire une tournée pour forcer le paiement des impositions dues au gouvernement et aux mukhtesims, soumettre les Arabes et maintenir la police; mais leur intérêt propre les occupait bien davantage que les affaires publiques; ils s'appliquaient à percevoir les droits qui leur étaient alloués, saisissaient toutes les occasions de faire des avanies ou d'ordonner des amendes, forçaient les Arabes à leur offrir des présens, et nourrissaient leurs troupes aux dépens des villages.

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