La troisième jeunesse de Madame Prune. Pierre Loti
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу La troisième jeunesse de Madame Prune - Pierre Loti страница 6

Название: La troisième jeunesse de Madame Prune

Автор: Pierre Loti

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066082413

isbn:

СКАЧАТЬ ils lui donnaient les noms les plus délirants, la pétrissaient de caresses, se fourraient longuement la moustache dans son pelage doux et propre, l'embrassaient à la manger,—tout comme j'étais capable de faire moi-même, quand par hasard je l'attrapais, cette moumoutte, dans un coin propice et sans témoins indiscrets.

      Inutile de dire que je ne vais pas aussi loin avec mademoiselle Pluie-d'Avril en falbalas, qui sans doute serait très choquée du procédé; mais les jeunes chats et elle me causent des sensations du même ordre, c'est incontestable, et il y a des instants où des velléités me prennent de la pétrir,—ce que je pourrais faire d'ailleurs sans plus de trouble intime que si c'était mademoiselle Moumoutte en fourrure grise.

      Je viens donc souvent m'asseoir sur les nattes immaculées, dans les grands appartements vides et sonores de la «Maison de la Grue». On y gèle, par ces froids de décembre, jamais bien sérieux au Japon, il est vrai, mais attristants à subir, entre des parois de papier, loin du clair soleil qui rayonne dehors, et sans autre feu qu'une braise dans un minuscule réchaud.

      Et puis mademoiselle Pluie-d'Avril n'en finit plus à sa toilette. On court la prévenir dès que j'arrive, mais il faut chaque fois compter une heure avant qu'elle paraisse, une heure à s'ennuyer devant la dînette posée par terre, et à échanger de niais propos avec deux ou trois servantes prosternées.

      Quand il entre enfin, mon petit chat habillé, c'est toujours la surprise d'atours nouveaux, d'un dessin extravagant et d'un coloris chimérique. Du fond de la grande salle un peu en pénombre, elle s'avance éclatante, avec une majesté de marionnette; elle est presque une petite naine, mais surtout elle est une petite fée; et le corps, négligeable par lui-même, se noie dans les plis de la robe, qui est garnie en bas d'un bourrelet très dur, pour que la traîne s'étale de tous côtés pompeusement. Ce qui fait surtout l'invraisemblance du personnage, c'est, je crois bien, la longueur du cou et l'extrême petitesse de la tête. Mais le charme, l'air vraiment chat, est dans les yeux; des yeux bridés, retroussés, câlins, spirituels et tout le temps narquois.

      Mademoiselle Matsuko, la guécha, suit à quelques pas derrière, très jolie aussi, mais boudeuse, avec une moue de dignité offensée, ayant trop bien compris que je ne viens point pour elle, et affectant de plus en plus de s'habiller sans recherche, en des nuances éteintes.

      Non seulement elle danse, mais elle chante aussi, mademoiselle Pluie-d'Avril, où elle déclame, tout en exécutant les pas que mademoiselle Matsuko lui joue sur sa longue mandoline. Et ce sont des séries de petits miaulements tout à fait chatiques, mais à peine perceptibles, avec, de temps à autre, en baissant la tête, des sons impayables, tirés du fond du gosier, et visant aux notes de basse-taille,—comme quand les moumouttes sont très en colère.

      Elle m'a exécuté aujourd'hui la «danse des roues de fleurs», qui exige un jeu de plusieurs cerceaux garnis de camélias rouges, et le «pas de la source» avec deux bandes de soie blanche, qu'elle parvenait à agiter d'un continuel et inexplicable mouvement d'ondulation, rappelant l'eau des torrents.

       Table des matières

      27 décembre.

      Malgré la discrétion parfaite avec laquelle la chose m'a été insinuée, il a été clair aujourd'hui pour moi que madame Renoncule me verrait sans déplaisir renouveler mon titre de gendre par une union morganatique avec mademoiselle Fleur-de-Sureau, la plus jeune de ses filles. J'ai feint de ne point entendre, et ma belle-mère, avec son tact habituel, sans insister davantage, m'a conservé ses bonnes grâces. J'ai cru convenable toutefois de prétexter un empêchement de service, le soir de son grand dîner, ne me trouvant vraiment plus assez de la famille pour y prendre part.

       Table des matières

      31 décembre.

      L'immense et formidable escadre qui s'était réunie cet été, de tous les coins du monde, dans le golfe de Petchili, vient forcément de se disperser à l'approche des glaces. Les monstres en fer, qui ne peuvent plus rôder aux abords de Pékin, sont allés s'abriter un peu partout, dans des régions moins froides, pour attendre le printemps, où l'on s'assemblera de nouveau comme une troupe de bêtes de proie.

      Plusieurs de ces monstres ont cherché asile, comme nous, dans la grande baie de Nagasaki, tiède et fermée. Nous sommes là quantités de cuirassés et de croiseurs, immobilisés pour quelques mois, et attendant.

      Des centaines de marins, fort divers d'allure et de langage, animent donc chaque soir de leurs chansons ou de leurs cris les quartiers de la ville où l'on s'amuse, les innombrables bars à l'américaine remplaçant les maisons-de-thé d'autrefois. Les nôtres fraternisent un peu avec ceux de la Russie, mais beaucoup plus avec ceux de l'Allemagne, qui sont d'ailleurs remarquables de bonne tenue et d'élégance. C'était imprévu, cette sympathie entre matelots français et allemands, qui vont par les rues bras dessus bras dessous, toujours prêts à tomber ensemble à coups de poing sur les matelots anglais dès qu'ils les aperçoivent.

      Au milieu de tout ce monde, les petits matelots japonais, vigoureux, lestes, propres, font très bonne figure. Et les cuirassés du Japon, irréprochablement tenus, extra-modernes et terribles, paraissent de premier ordre.

      Combien de temps resterons-nous dans cette baie? Vers quelle patrie serons-nous dirigés ensuite? Et quelle sera la fin de l'aventure?... La guerre d'abord, entre la Russie et le Japon, la guerre s'affirme inévitable et prochaine; sans déclaration peut-être, elle risque d'éclater demain, par quelque bagarre impulsive aux avant-postes, tant elle est décidée dans chaque petite cervelle jaune; le moindre portefaix dans la rue en parle comme si elle était commencée, et compte effrontément sur la victoire.

      Malgré toute l'incertitude de l'avenir, en ce moment nous nous amusons de la vie; après notre séjour sur les eaux chinoises, qui fut si austère, si fatigant et si dur, cette baie nous semble un agréable jardin, où l'on nous aurait envoyés en vacances, parmi des bibelots délicats et des poupées.

      Bien que le retour soit encore si douteux et éloigné, vraiment oui, nous nous amusons de la vie, pendant que notre amiral, amené ici mourant, reprend ses forces de jour en jour, sous ce climat presque artificiel, entre ces montagnes qui arrêtent les rafales glacées. Un soleil, qui a l'air de passer à travers des vitres, surchauffe presque chaque jour les pentes délicieusement boisées entre lesquelles Nagasaki s'enferme. Sur les versants au midi, les oranges mûrissent; les énormes cycas de cent ans, qui, au seuil des vieilles pagodes, semblent des bouquets d'arbres antédiluviens, baignent dans la lumière leurs plumes vertes; contre les murs des jardins, les camélias fleurissent, avec les dernières roses, et on peut s'asseoir dehors comme au printemps, devant les petites maisons-de-thé qui sont perchées au-dessus de la ville, à différentes hauteurs, parmi les temples et les milliers de tombeaux.

      Vers la fin de la journée, quand le soleil s'en va et quand c'est l'heure de rentrer à bord, il fait juste assez froid pour que l'on trouve hospitalière et aimable la petite salle aux murs de tôle, bien chauffée par la vapeur, le «carré» où l'on dîne avec de bons camarades.

      Et aujourd'hui, dernier jour de l'an et du siècle, par un temps tiède, suave, tranquille, je suis allé chez messieurs les horticulteurs nippons qui, de père en fils, torturent longuement les arbres, dans des petits pots, parmi des petites rocailles, pour obtenir des nains vieillots qui se vendent très cher. Au soleil de la Saint-Sylvestre, se chauffaient СКАЧАТЬ