Название: La Niania
Автор: Gréville Henry
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066084264
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--Craignez-vous la misère? dit-il à Antonine.
Elle répondit d'un signe de tête avec un sourire plein d'orgueil et de confiance.
--Et vos parents opposeront-ils une résistance sérieuse?
--Probablement, répondit-elle.
--Alors?...
--Rien ne nous désunira, dit Antonine à voix basse, en inclinant la tête.
--On voudra nous faire attendre.....
--Nous attendrons.
Dournof se rassit et poussa un soupir.
Antonine parlait d'attendre; en effet, pour elle, attendre n'était pas si dur; elle vivait dans la maison paternelle, où régnait l'aisance; elle travaillait suivant ses goûts, entourée d'objets de son choix... la vie lui était facile... Mais pour lui. Dournof, c'était une autre existence. Il regarda à terre, et dans son cerveau fatigué du voyage et de bien de tristes pensées, il vit apparaître l'image de sa vie solitaire.
C'était une chambre triste, où rien ne parlait de la présence d'une femme aimée; les meubles,--des meubles de garni, c'est tout dire,--n'avaient rien d'agréable au regard ni au toucher. Pas de souvenirs sur ces murailles tapissées d'un papier banal, à peine peut être la photographie d'Antonine. Le repas solitaire, le lever solitaire, la solitude partout, et dans le travail surtout... le travail qui aurait été si doux auprès d'elle! Combien la présence d'Antonine n'eut-elle pas embelli ce triste intérieur! D'ailleurs, toute pensée d'intérêt mise de côté, la petite fortune de la jeune fille aurait apporté le bien-être dans leur union. Ce n'était plus la chambre louée au mois qu'ils eussent habitée ensemble, mais un petit intérieur modeste où la main de l'épouse met partout son empreinte délicate et sacrée.
Antonine ne se doutait guère de cette différence de vie; elle n'en connaissait que la poésie. La pauvreté des paysans de son village lui était cependant familière, et elle en adoucissait les chagrins par tous les moyens en son pouvoir. Mais la pauvreté d'un homme de son monde devait être, et était, en effet, une chose bien différente; celle-ci lui paraissait tout ensoleillée par l'étude, les joies de l'intelligence, et par leur amour mutuel.
Dournof poussa un second soupir et releva la tête; Antonine le regardait tristement.
--Que faire? dit-il en s'efforçant de sourire; nous attendrons. Mais si vos parents persistent à refuser?
--Ce ne sont pas des loups, dit Antonine avec une gaieté feinte. Ils m'aiment et finiront par consentir. Et puis, qui sait? ils consentiront peut-être tout de suite!
Dournof ne le croyait pas, et il n'eut pas besoin de le dire. D'ailleurs, entre ces deux êtres graves et fiers, les mensonges, même ceux qu'ils auraient pu se faire par charité, pour s'épargner mutuellement un souci, étaient inconnus. Leur amour était cimenté d'une estime sans bornes, et c'est là ce qui le rendait si fort.
--Antonine, dit le jeune homme après un silence, je regrette de vous avoir attachée à moi; j'aurais dû comprendre que je n'avais pas le droit de parler tant que je n'aurais pas un nid à vous offrir... mais j'étais trop jeune pour savoir...
--Je ne le regrette pas, moi! fit Antonine en lui tendant la main.
Il la prit et la serra, mais sans la porter à ses lèvres. Se sentant sûrs l'un de l'autre et craignant de s'amollir, ils évitaient les caresses.
Une voiture s'arrêta sous les fenêtres et s'éloigna après avoir déposé ses hôtes.
--C'est ma mère, dit Antonine; elle a fait des visites avec mon père aujourd'hui. Voulez-vous leur parler?
Dournof étendit les bras, et la tête d'Antonine s'appuya un moment sur son épaule.
--Quoi qu'il arrive, pour toujours? dit-il.
--Pour toujours! répondit fermement Antonine.
On sonna. La Niania accourut dans le salon, afin de prévenir les jeunes gens, mais ceux-ci ne craignaient pas les surprises.
M. et madame Karzof entrèrent l'instant d'après dans le salon et témoignèrent leur satisfaction en revoyant le jeune homme après sa longue absence.
Madame Karzof était une femme de quarante-cinq ans, plutôt petite, rondelette, active, intelligente et bornée à la fois, comme beaucoup de femmes russes de sa classe; intelligente pour ce qui était de son ressort, pour tout ce qui l'entourait et se mêlait à sa vie, absolument bornée dès qu'il s'agissait de sortir du particulier pour passer au général. Elle était bonne et tracassière, généreuse et parfois rapace, capable de se priver de tout pour soulager une infortune, et également capable de laisser mourir de faim devant sa porte un pauvre à la pauvreté duquel elle ne croirait pas,--quitte ensuite à le faire enterrer à ses frais et à déplorer son erreur,--mais incapable de se corriger grâce à cette leçon.
Madame Karzof aimait sa fille et la persécutait sans cesse; Antonine aimait le bleu, sa mère lui faisait porter du rose, sous prétexte que le rose va à toutes les jeunes filles. La mode venait-elle des coiffures plates, elle obligeait Antonine à lisser ses cheveux avec soin, sans s'inquiéter de l'air de son visage, auquel cette coiffure ne convenait pas; de même que l'année suivante, elle faisait crêper sans pitié ses cheveux, longs d'un mètre, que personne ne pouvait plus décrêper ensuite et qu'il fallait couper,--le tout parce que quelque brave dame de ses amies lui avait dit que c'était la mode, et qu'on ne pouvait se coiffer autrement pour aller au bal.
Antonine détestait le monde guindé et malveillant des employés de classe moyenne où la conduisait sa mère; en revanche, elle aimait la liberté de bon ton qui régnait chez madame Frakine. Madame Karzof eût désiré le contraire; mais si elle la contraignait souvent à aller au bal, elle ne lui défendait jamais de se rendre aux samedis de la bonne dame. Seulement, s'ennuyant elle même près de celle-ci, trop simple et trop franche d'ailleurs pour elle, elle y envoyait Antonine avec sa bonne. La jeune fille était loin de s'en plaindre. Elle y trouvait Dournof l'année précédente, mais le deuil de celui-ci et son absence l'en avaient écarté cet hiver, au grand regret de toute la jeunesse, car Dournof, avec sa manière de voir sérieuse en toute chose, était à ses heures le plus joyeux boute-en-train de la bande.
C'est ainsi que madame Karzof avait accoutumé sa fille à ne pas faire grand cas de ses décisions; bien qu'Antonine n'eût jamais cessé de donner à sa mère les témoignages extérieurs du respect, celle ci se sentait gênée par le jugement de sa fille; elle le lui avait dit plus d'une fois, non sans aigreur; Antonine avait toujours répondu avec douceur et politesse, mais une fermeté inébranlable se cachait sous sa déférence apparente, et madame Karzof, qui le sentait, revenait de ses escarmouches plus décidée que jamais à rendre sa fille heureuse malgré elle, à l'amuser malgré elle, à l'habiller au rebours de ses désir? le tout pour son bien.
M. Karzof était un brave homme, c'est tout ce qu'on peut en dire, attendu que jamais oreille humaine n'avait ouï СКАЧАТЬ