Название: La Niania
Автор: Gréville Henry
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066084264
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Antonine et son fiancé avaient résolu de ne s'écrire qu'à la dernière extrémité, en cas de danger ou de besoin pressant; mais, la séparation se prolongeant, il fallut recourir à la correspondance, et la jeune fille se décida à mettre sa vieille bonne dans la confidence de son secret.
Personne ne savait plus le nom de la bonne, on l'appelait du nom générique Niania. Née dans la maison de la mère de madame Karzof, elle avait trente-sept ans lors du mariage de celle-ci; la jeune mariée l'avait reçue en cadeau de sa mère, comme un des meubles, et non le moins précieux, de son trousseau. La Niania avait vu naître les nombreux enfants de sa maîtresse, elle les avait tous soignés, et peu après couchés dans le cercueil à l'exception de Jean et d'Antonine, seuls restés vivants. Elle adorait ces deux êtres, comme elle adorait Dieu; et s'il lui eût fallu choisir entre son salut éternel et la vie de l'un des deux, elle se fût damnée sans hésitation.
Mais c'était à Antonine qu'elle s'était plus particulièrement vouée; c'était une petite fille, et par conséquent les soins devaient être plus minutieux et plus absorbants, et puis Antonine était restée à la maison, tandis que Jean faisait ses études au gymnase et ne rentrait qu'à quatre heures.
Depuis la naissance d'Antonine, c'est la Niania qui l'avait conduite à la promenade, habillée, levée, couchée; en un mot, elle marchait derrière Antonine comme son ombre dans l'intérieur de la maison. Ce qu'elle avait fait chasser de femmes de chambre, ce qu'elle avait lassé de gouvernantes qui avaient pris le parti de s'en aller, puisqu'on ne pouvait pas la faire renvoyer, ce qu'elle avait mis de querelles, de luttes et d'inimitiés dans la maison ferait un gros volume.
Tout être, quel qu'il fût, qui dérangeait ou ennuyait Antonine devenait bon à mettre au rebut, et il n'était pas de moyen qui ne semblât convenable à la Niania, pourvu qu'il arrivât au résultat désiré.
Les professeurs et institutrices finissaient par lâcher pied, et Antonine en vint de la sorte à se former un caractère très-résolu. Si elle ne devint pas despote, c'est qu'elle avait un sens inné du juste et de l'injuste qui la préserva. Mais pour tout le reste, elle se fit une loi de sa propre volonté.
Cette fermeté la sauva du caprice, défaut ordinaire de ses compatriotes, qui, sans cesse adulés, ne trouvent point de limites à leur fantaisie, n'ont plus de règle pour leur existence. Si Antonine devint fort entêtée, au moins ne le fut-elle qu'à bon escient.
Si persuadée qu'elle fût de la tendresse aveugle de sa Niania, elle tremblait intérieurement le jour où elle lui fit l'aveu de son amour pour Dournof. La vieille servante l'écoutait, les mains pendantes, comme il convient en présence des maîtres, la tête baissée, l'air respectueux.
--Eh bien, quoi? dit-elle, lorsque Antonine eut cessé de parler, tu aimes ce jeune homme? Pourquoi pas, si c'est un homme de bien?
--Mais ma mère ne voudra peut être pas! fit Antonine, surprise de ne pas rencontrer d'autre résistance.
--Si tu l'aimes, ça ne fait rien, ta mère ne voudra pas faire de peine à son enfant chéri. Seulement, ma belle petite, sois bien sage, ne laisse pas approcher ton amoureux......
Antonine jeta un regard si sévère à Niania que celle-ci perdit toute envie de la morigéner.
--C'est bon, c'est bon, reprit-elle. Pourvu que tu te maries à celui que ton coeur a choisi, c'est tout ce qu'il faut. Ta mère, que Dieu conserve, n'était pas si contente quand elle a épousé ton père... elle a bien pleuré!...
--Tu te le rappelles? fit vivement Antonine.
--Certes! elle en aimait un autre, un joli officier avec des petites moustaches, qui venait à la maison...
--Eh bien?
--Eh bien, que veux-tu que je te dise! elle s'est consolée... ton père est un brave homme, pour cela, il n'y a rien à dire, et ta mère a été toujours choyée comme la prunelle de ses yeux. Elle a toujours fait ce qu'elle a voulu.
Antonine garda au fond de son coeur l'espérance que sa mère, empêchée dans sa jeunesse d'épouser l'homme qu'elle aimait, serait compatissante à sa situation; cependant elle se contenta d'espérer en silence. Niania fut chargée de mettre à la poste et de retirer la correspondance des deux fiancés, et elle s'en acquitta avec beaucoup de zèle et d'adresse. Le matin du jour où Antonine se montrait si impatiente elle avait reçu un mot de Dournof lui annonçant son retour pour le jour même. Aussi les heures lui paraissaient elles longues.
II
La sonnette retentit dans l'antichambre; la Niania courut ouvrir, et, par la porte restée entr'ouverte, Antonine entendit ces paroles:
--Vous voilà revenu, Féodor Ivanitch, notre faucon, notre aigle blanc! Que Dieu vous donne une bonne santé! La demoiselle mourait d'impatience!
--Est-elle à la maison? répondit la voix grave de Dournof.
--Oui, oui, elle est à la maison, elle vous attend seule dans le salon.
Dournof fit rapidement les quelques pas qui le séparaient de la porte, l'ouvrit toute grande, et resta sur le seuil. Antonine debout, immobile, tournant le dos à une fenêtre, éclairée par une lumière luisante qui mettait une raie d'or sur chaque contour, l'attendait, en effet, sans oser faire un pas vers lui. Jusque-là elle n'avait touché que sa main. Comment contenir l'impulsion irrésistible qui la jetait dans les bras de son fiancé?
Elle n'eut pas le temps de réfléchir, elle sentit soudain deux bras l'étreindre avec tant de force qu'ils lui firent mal; sa tête se trouva sur la poitrine de Dournof, et ses cheveux furent couverts de baisers. La vieille bonne referma la porte du salon et sortit en murmurant une bénédiction sur eux.
--Ma lumière, ma vie! disait Dournof à voix basse, en serrant contre lui la tête d'Antonine qu'il caressait d'une main presque paternelle dans sa douceur, que j'ai souffert sans toi! Il l'écarta un peu pour la mieux regarder et ne dit rien, mais son sourire témoigna combien elle lui était chère.
--Comment avez vous passé ce long temps d'absence? dit-il ensuite en la conduisant vers un fauteuil où elle s'assit, pendant qu'il prenait une chaise en face d'elle.
--Je n'en sais rien, répondit Antonine; c'était comme une longue nuit. J'ai beaucoup travaillé.
--A quoi?
--A nos travaux d'école; j'ai préparé des leçons pour les enfants du village; ce n'est pas facile d'expliquer même les choses les plus simples à ces intelligences peu développées. J'ai eu bien de la peine à rendre claires quelques notions... Mais nous en reparlerons. Et vous, qu'avez-vous fait?
Dournof passa la main sur son front pour en chasser les soucis.
--J'ai eu des paperasses, donné des signatures, lutté contre la mauvaise foi des uns et l'obséquiosité des autres... j'ai arraché à grand'peine à toutes ces mains rapaces les bribes de mon patrimoine, j'ai installé ma mère et mes soeurs dans une demeure passable, et me voici... mais, Antonine, écoutez-moi bien: je ne veux plus vous quitter:
Elle le regarda, et СКАЧАТЬ