Les Contemporains. Jules Lemaître
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Название: Les Contemporains

Автор: Jules Lemaître

Издательство: Bookwire

Жанр: Документальная литература

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isbn: 4064066084141

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СКАЧАТЬ dans la mer du haut de la falaise. (La vision de ce suicide équestre est, soit dit en passant, une très belle chose.)—Mlle Charlotte de Luc d'Estrelles, orpheline pauvre, s'est offerte un jour sans succès à son cousin Louis de Camors; peu après, elle épouse pour sa fortune le général de Campvallon, puis ressaisit son beau cousin, l'oblige à se marier pour détourner les soupçons de son vieux mari, continue d'être à lui, est surprise une nuit par le général qui tombe foudroyé du coup, reprend et garde son amant épouvanté et qui ne l'aime plus, et tout cela sans l'ombre d'un remords.—Certes ce sont là, Bathilde, Julia et Charlotte, trois grandes amoureuses: elles aiment absolument, elles aiment furieusement. Mais quand on a dit cela, on a tout dit. Il est remarquable que Julia qui a quinze ans, aime exactement de la même façon que Mme de Campvallon, qui en a trente. Qu'importe? C'est bien l'amour, l'amour des sens, ne vous déplaise, la «Vénus à sa proie attachée». Et, comme elles aiment, nous les aimons, même folles, même criminelles, et cela est terrible.

      IV

      Le contraste que forment ces amours fatales et effrénées avec des restes de romanesque innocent et avec un spiritualisme chrétien de plus en plus décidé, ou, si vous voulez, le contraste de certaines peintures de M. Octave Feuillet avec ses intentions, ou bien encore un mélange de réalité quelquefois brutale et de convention souvent insupportable: voilà ce qui rend, à partir de Monsieur de Camors, l'œuvre de M. Octave Feuillet très curieuse et un peu déconcertante. Je persiste à préférer ses premiers romans, que je trouve plus harmonieux et plus parfaits dans leur genre; mais quelles combinaisons surprenantes dans les derniers!

      Les données de ses romans, réduites à leurs termes essentiels, continuent d'être à peu près les mêmes. Toujours l'histoire de la séduction de l'homme par la femme. Toujours une femme très nerveuse et très énigmatique, et très passionnée ou très perverse. Quelquefois, en face du démon, un ange. Ainsi dans Monsieur de Camors, dans les Amours de Philippe, dans la Morte. Mais, à mesure que M. Octave Feuillet avance dans son œuvre, on dirait que, subissant indirectement, malgré lui et comme par contre-coup, l'influence de l'école naturaliste, il a été pris d'un besoin croissant d'être vrai (ce qui est bien), de frapper fort (ce qui est moins heureux), et aussi, par un mouvement contraire et en manière de protestation, d'un besoin d'être moral (ce qui lui a moins réussi).

      Le premier besoin nous a valu les meilleures, on pourrait presque dire les seules analyses de sentiments que M. Feuillet ait écrites: toute la première moitié d'un Mariage dans le monde, où sont démêlées très finement et avec un choix très sûr de détails les causes qui doivent finir par éloigner l'un de l'autre une jeune femme pour qui le mariage est un commencement et un homme fatigué pour qui le mariage est une fin; la plus grande partie de la Veuve, où la série des sophismes et des séductions par où un homme d'honneur peut être amené à violer un serment, est très délicatement graduée; et encore la seconde partie du roman de la Morte, qui nous fait assister aux lents progrès du malaise et de la désunion entre un mari incroyant et une femme très pieuse qui a entrepris de le ramener à Dieu.

      L'envie d'être fort et hardi tout en restant le romancier mondain par excellence, le caprice de combiner le vitriol et l'opoponax éclate un peu partout et, s'il faut donner un exemple, dans l'Histoire d'une Parisienne. Je rappelle le drame en deux mots. Jeanne Bérengère (quel joli nom!) a été mariée étourdiment par sa mère à M. de Maurescamp, une nature grossière qui ne comprend point les délicatesses de sa jeune femme. Rebuté par cet ange, il finit par «se retirer sous sa tente». Jeanne, esseulée, cherche des consolations dans l'amitié de Jacques de Lerne, un viveur mélancolique et séduisant dont on peut se demander s'il est converti à l'amour immatériel ou s'il en joue en attendant mieux; mais, provisoirement, il n'est qu'un adorateur platonique, un frère. Le mari de Jeanne Bérengère n'en croit rien et le lui tue en duel. Alors, pour se venger, elle se compromet avec un officier de chasseurs très fort à l'épée, l'affole en lui tendant, un soir, après dîner, un cigare qu'elle a mouillé de ses lèvres, et fait embrocher son mari par le chasseur.

      L'histoire a du montant. Certains épisodes ne manquent pas non plus de saveur. Il y a une Mme d'Hermany qui reçoit, la nuit, un bellâtre dans le salon d'un hôtel de bains, et qui, surprise par Jeanne Bérengère, lui fait la plus jolie profession de nihilisme moral. «Elle s'est résignée à déchoir, à accepter les seuls plaisirs réels dont ce monde dispose.»—Jacques de Lerne raconte à Jeanne son premier amour, si pur, si poétique! Une nuit, il se trouvait dans la chambre de la bien aimée, moins résigné que de coutume aux scrupules qu'on lui opposait; mais la pauvre femme se jette à ses genoux, le suppliant d'être honnête homme: il cède à ses pleurs et s'en va comme il était venu. «Adieu, imbécile!» lui crie-t-elle par la fenêtre.—La vieille Mme de Lerne voudrait que son fils, pour se ranger, devînt l'amant de Mme de Maurescamp, et la bonne dame s'y emploie avec le plus grand zèle...

      Je m'arrête: voilà qui est assez complet. Mais savez-vous ce qui arrive? Pour peu qu'on soit de méchante humeur, quelques-unes des élégances artificielles qui recouvrent ce fond grossier étonnent comme un contresens, ou comme une naïveté, ou comme une hypocrisie. Ou plutôt non, ce n'est point la vraie raison de notre énervement, car j'admets très bien qu'il se joue entre des personnages excessivement select des drames d'une brutalité hardie. Mais c'est qu'on se lasse de tout, et qu'ils sont un peu trop «distingués» à la fin! Jeanne, qui est «une belle fleur», avec des «yeux magnifiques», est «souverainement intelligente», encore qu'elle entende sans rire les tirades de Jacques de Lerne. Celui-ci, avec «son beau visage fatigué et hautain», a tous les talents et compose des valses et des symphonies «d'un mérite tout à fait supérieur». M. de Maurescamp a tout au moins un torse remarquable. Le décor n'est pas moins «distingué»: bals, chasses à courre, plage aristocratique. Et l'on adore, dans ce monde-là, les «grandes scènes dramatiques de la nature». De «magnifiques éclairs» et «les jeux de la foudre sur l'Océan» accompagnent les cascades de Mme d'Hermany. Et le style est «distingué» à l'égal des personnages et du décor. Jacques trouve que «le divorce, dont on parle beaucoup cette année, enlève au mariage le sentiment de l'infini». Il enseigne à Jeanne, comme un simple Bellac, «le sens divin des choses». Je lis ailleurs que «l'amour de M. de Maurescamp ne contenait aucun élément impérissable: c'était, pour employer une expression de ce temps, «un amour naturaliste».

      Voyez-vous le sourire dédaigneux et pincé? Mais je voudrais bien savoir si les trois quarts des amours que nous conte M. Feuillet ne sont pas des amours «naturalistes»! Le monde où ils sa déroulent, il est vrai, et le style qui les enveloppe sont essentiellement aristocratiques; mais aussi ils s'en piquent trop! et, affectation pour affectation, celle de M. Feuillet n'est guère moins irritante que celle de M. Zola. C'est étonnant comme certains salons me font aimer le coron de Germinal. Pour Dieu! montrez-nous une héroïne qui ne soit pas splendidement belle et mirifiquement intelligente! Montrez-nous un amoureux qui ne soit pas un homme supérieur! Montrez-nous en un au moins qui ne sache pas monter à cheval! Vraiment? tous les hommes et toutes les femmes sont comme cela au faubourg Saint-Germain? Nous sommes forcés de vous croire sur parole, ne pouvant y aller voir, et cela nous dépite. L'étalage continuel de ce monde inaccessible a quelque chose d'impertinent et de désobligeant: vous nous faites bien durement sentir que nous ne sommes pas «nés». Notre revanche, c'est que vos personnages, ne frayant pas avec nous, nous passionnent parfois médiocrement. Ce sont des «hommes du monde»: nous voudrions des hommes dessous. L'étrange affectation de ne regarder comme intéressante que la classe sociale la plus restreinte, et celle justement où l'originalité des individus a le plus de chances de s'effacer ou de s'atténuer! Ouvrez les yeux: le monde est vaste, l'humanité infiniment variée, et il y a sur terre des hommes et des femmes autrement vivants et dignes d'attention que ceux qui vont à cheval au bois le matin ou celles qui ont leur loge à l'Opéra.

      En même temps que le besoin de nous étonner à la fois par ses hardiesses et par sa distinction, des préoccupations de moraliste chrétien se trahissent de plus en plus dans l'œuvre de M. Octave Feuillet. Son spiritualisme СКАЧАТЬ