Les Contemporains. Jules Lemaître
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Название: Les Contemporains

Автор: Jules Lemaître

Издательство: Bookwire

Жанр: Документальная литература

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isbn: 4064066084141

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СКАЧАТЬ trouve presque point de semblables dans la réalité, on me fera remarquer que le romanesque se confond avec la poésie et que, par exemple, tout le théâtre de Corneille est donc un théâtre romanesque. Et cela est vrai peut-être; mais il faut faire tout de suite une distinction: c'est que le romanesque n'est pourtant pas toute la poésie.

      Car la poésie est évidemment beaucoup plus large; elle a pour matière tout le monde réel, y compris ses laideurs et ses discordances; elle fait résider la beauté moins dans les objets (spectacles de l'univers physique, êtres vivants, sentiments et passions) que dans une vision particulière de ces objets et dans leur expression. Le romanesque, beaucoup plus restreint, est presque tout entier dans l'invention d'une humanité meilleure, et il peut se passer de l'expression plastique. Homère ni Racine ne sont romanesques. La poésie proprement romanesque est de sa nature un peu vague, fuyante, inconsistante. Les personnages qu'elle construit se ressemblent presque tous, n'ont point cette variété et cette abondance de traits individuels et précis que recherche une autre poésie et que fournit seule l'observation de la réalité. Bref, le romanesque est surtout un rêve moral.

      Par suite, l'esprit romanesque, considéré non plus chez l'écrivain, mais chez les lecteurs et chez le commun des hommes, est une tendance à accepter comme vraies ces imaginations d'un monde meilleur et plus beau. C'est alors le don de ne point voir les choses comme elles sont, tristes, décevantes, brutales et immorales, et d'attendre toujours de la vie plus qu'elle ne peut apporter. Faculté bienfaisante ou funeste, selon les cas, mais plutôt bienfaisante si elle est portée à un tel degré que nulle expérience ne la décourage—ou si elle est tempérée par assez de bon sens et par assez de nécessités matérielles pour qu'on ne lui lâche la bride qu'à bon escient et en manière de divertissement passager.

      Si mal que j'aie su distinguer la poésie et le romanesque, on a pu voir que le romanesque doit être principalement la poésie des créatures sentimentales, de celles qui connaissent peu la vie, qui n'éprouvent pas un grand besoin de vérité et pour qui l'art ne consiste pas avant tout dans l'expression: c'est-à-dire la poésie des enfants, des vierges et des jeunes femmes. Et c'est pourquoi le romanesque ne repoussera point, dans sa forme, un idéal de beauté un peu fade et d'élégance un peu convenue; il aimera les cavaliers bruns, les amazones blondes, les ruines, les clairs de lune.—Pour la même raison l'amour lui paraîtra le plus intéressant des sentiments, et de beaucoup, et même le seul digne d'intérêt. Et la vertu ne lui plaira qu'à la condition d'être excessive et héroïque. Amours passionnées, sacrifices sublimes, mœurs et décors aristocratiques, voilà les éléments essentiels du roman romanesque, et vous les retrouverez dans les délicieuses histoires de M. Octave Feuillet. Ce sont rêves de jeune fille très pure: je suis heureux et un peu fier de m'y être plu. Et je souscris pleinement à ce petit discours de la grand'mère de Charlotte d'Erra:

      Ah! mon Dieu! ce n'est pas contre les idées romanesques qu'il faut mettre en garde la génération présente, mon bon monsieur, je vous assure... Le danger n'est pas là pour le moment... Nous ne périssons pas par l'enthousiasme, nous périssons par la platitude... Mais, pour en revenir à notre humble sexe, qui est seul en question, voyez donc les femmes dont on parle à Paris—je dis celles dont on parle trop;—est-ce leur imagination poétique qui les perd? est-ce la recherche de l'idéal qui les égare? Eh! Seigneur! ce sont, pour les trois quarts, les cervelles les plus vides et les imaginations les plus stériles de la création!... Mesdames et mesdemoiselles, croyez-moi, ne vous gênez pas!... soyez enthousiastes, soyez romanesques tout à votre aise...

      Et, comme je serais flatté que les anges enviassent mes larmes, j'approuve tout à fait ces lignes du Journal d'une femme:

      Mais tu me restes, ma fille... J'écris ces dernières lignes auprès de ton berceau... J'espère mettre un jour ces pages dans ta corbeille de jeune femme, mon enfant; elles te feront peut-être aimer ta pauvre mère romanesque... Tu apprendras peut-être d'elle que la passion et le roman sont bons quelquefois avec l'aide de Dieu, qu'ils élèvent les cœurs, qu'ils leur enseignent les devoirs supérieurs, les grands sacrifices, les hautes joies de la vie...—Je pleure, c'est vrai, en te le disant; mais il y a, crois-moi, des larmes qui font envie aux anges!

      II

      Vous vous les rappelez, ces premiers romans de M. Octave Feuillet: le Roman d'un jeune homme pauvre, l'Histoire de Sibylle et plus récemment, par un heureux retour à la manière de ses débuts, le Journal d'une femme? Quelles amours! quelles croyances! quels enthousiasmes! quelles aventures! quelles élégances physiques et morales! Et quels jolis voyages à travers le pays bleu!

      Maxime est beau, spirituel, instruit, excellent cavalier, habile à tous les sports, noble, fier, héroïque; et, s'il se fait appeler Maxime Odiot, il s'appelle aussi Maxime de Champcey d'Hauterive. Dans ces conditions-là ce n'est rien d'être pauvre. Il entre comme intendant chez les Larroque, et tout de suite il trouble profondément Mlle Marguerite. Mais cette jeune fille, horriblement malheureuse d'être riche et craignant toujours qu'on n'en veuille à sa dot, le traite avec la dernière impertinence. En vain il expose sa vie une première fois pour sauver le chien favori de l'orgueilleuse et amère enfant. Une autre fois il se trouve enfermé avec elle, par un accident imprévu, dans une vieille tour en ruines et manque de se casser le cou pour ne point la compromettre. Avant de se précipiter dans le vide, il a juré de ne l'épouser que lorsqu'elle serait aussi pauvre que lui, ou lui aussi riche qu'elle. Sur quoi Marguerite et sa mère sollicitent l'autorisation d'abandonner tous leurs biens à une congrégation religieuse; mais heureusement une vieille demoiselle fort riche meurt en léguant sa fortune à son cousin Maxime. Et c'est exquis, car les princes Charmants ne sont-ils pas créés et mis au monde pour épouser les princesses des Hespérides?

      Mlle Sibylle de Férias, élevée au milieu des bruyères de Bretagne par un grand-père et une grand'mère qui ressemblent à deux pastels fanés et très anciens, veut, à cinq ans, chevaucher un cygne pour aller sur l'eau, apprivoise un fou, catéchise son vieux curé et l'amène à un sentiment plus élevé de sa profession, vient à Paris et, amoureuse d'un beau jeune homme qui s'appelle Raoul, tombe en syncope le jour où il déclare «qu'il a le malheur de ne pas croire». Elle retourne désespérée dans ses landes. Il se déguise en peintre pour se rapprocher d'elle (mais beaucoup moins gaiement que dans le Sicilien de Molière) et vient barbouiller les murs de l'église dont elle est paroissienne. Rencontre, explication passionnée: elle ne comprend point le mariage sans la communauté absolue des croyances et des sentiments. Conclusion: ils ne s'épouseront pas, mais ils seront bons amis. Cependant elle a, sans le dire, offert sa vie à Dieu pour qu'il ramène Raoul au bercail. Tous deux font, à travers la lande, par le brouillard, une promenade sentimentale d'où elle rapporte une pleurésie, et Raoul, subitement touché de la grâce, met sur le front de la mourante le baiser des fiançailles. Et cela est doux comme un rêve blanc de première communiante; et ce roman pieux est un roman troublant; Sibylle est une folle adorable qu'on voudrait rencontrer sur son chemin; et comme on mentirait pour lui prendre son cœur!

      Charlotte d'Erra est venue passer un mois chez la grand'mère de son amie Cécile de Stèle. Il y a là deux jeunes hommes, le commandant d'Eblis—un soldat superbe et doux,—et son ancien compagnon d'armes, Roger de Louvercy, un pauvre infirme qui a le bras gauche mutilé et une jambe rétractée. Charlotte et d'Eblis ne tardent pas à s'aimer; mais Roger étant devenu de son côté amoureux de Charlotte, le commandant se sacrifie en épousant Cécile, et Charlotte s'immole en offrant sa main à l'estropié. Hélas! Cécile s'aperçoit bientôt que son mari ne l'aime pas et, dans une heure de folie, se livre au premier fat qui lui fait la cour. Puis, épouvantée de sa chute, elle s'en vient la raconter à Charlotte et va mourir la nuit dans la neige, en robe de bal. Charlotte, qui est devenue veuve, pourrait alors épouser d'Eblis, mais elle veut sauver au moins la mémoire de sa petite amie, et, bien que Cécile l'ait priée de remettre au commandant un billet où elle confesse sa faute, elle lui laisse croire que sa jeune femme est morte digne de lui, morte de n'être pas assez aimée. Si bien que d'Eblis se croit obligé d'expier et s'en va... Sacrifices СКАЧАТЬ