Les Contemporains. Jules Lemaître
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Название: Les Contemporains

Автор: Jules Lemaître

Издательство: Bookwire

Жанр: Документальная литература

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isbn: 4064066084141

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СКАЧАТЬ l'on se sent si incapable d'une telle sublimité de conduite qu'on entre en confusion et qu'un peu d'irritation se mêle à notre émerveillement.

      Et là-dessus des doutes vous viennent sur la justesse des propos de la vieille douairière prêchant le romanesque aux jeunes gens et aux jeunes filles. Dans la réalité, Maxime se casserait le cou la seconde fois s'il ne se noyait la première, et Mlle Marguerite serait bien avancée! Si Mlle Sibylle n'était pas une jeune personne aussi romanesque, elle ne mourrait point et elle épouserait son Raoul, qui ferait un excellent mari et qui n'aurait d'ailleurs aucune répugnance à l'accompagner à la messe. Et voyez comme le romanesque réussit à Charlotte et au commandant d'Eblis: ce sont eux les vrais meurtriers de la pauvre Cécile. Ainsi grogne en nous Sancho Pança. Mais qu'importe que notre vertu nous soit peut-être une source aussi abondante de souffrances que nos instincts mauvais et nos passions intéressées! La douleur qui nous vient du sacrifice accompli porte d'ailleurs avec soi sa consolation. Et, si ce sont là actions pures, au moins nous avons vécu pendant une heure au milieu d'une humanité plus belle et plus noble, ce qui est un grand plaisir pour ceux qui n'aiment pas la réalité ou qui ne savent pas la voir. Ce plaisir, on le trouve un peu puéril et on a quelque peine à le goûter tout d'abord quand on s'est laissé corrompre par d'autres livres où le besoin de la vérité, même triste, surtout triste, s'étale avec quelque chose de maladif et d'outré; mais, avec un peu d'effort, on s'affranchit de cette impression première; on sent se réveiller au fond de son âme, sous les tristesses d'une expérience morose, sous le positivisme et le pessimisme acquis, cet amour des fables et des fictions, ce goût de l'irréel qu'apporte tout homme venant en ce monde. Les romans de M. Octave Feuillet apparaissent alors comme de ravissants mensonges, et peut-être comme les plus gracieux qu'on ait imaginés en ce siècle pour bercer les âmes jeunes et enchanter les esprits innocents.

      III

      Heureusement, du reste, parmi ces histoires si souvent chimériques et surtout dans les livres dont je n'ai pas encore parlé, circulent, piaffent, caracolent, pleurent, souffrent et meurent des femmes bien vivantes, d'un charme singulier et dangereux. On les voit, on les aime, on voudrait les étreindre, et on éprouve, à les découvrir là, un peu du plaisir qu'on sentirait à rencontrer des créatures de chair, élastiques et désirables, dans les clairières bleues du pays des ombres.

      Car les autres personnages, s'ils ont plus de consistance que les «mânes» fabuleux, n'ont pourtant pas un relief assez fort pour rester longtemps dans l'esprit; et leurs physionomies sont si faiblement individuelles que la mémoire les confond les uns avec les autres et ne tarde pas à brouiller leurs noms. Il y a d'abord les beaux ténébreux tels que Maxime Odiot et le commandant d'Eblis; puis M. de Camors et les sous-Camors tels que Philippe et M. de Vaudricourt; les jeunes gens élégants et insignifiants comme M. de Bévallans et d'autres dont le nom m'échappe; les vieux gentilshommes un peu maniaques comme M. des Rameures ou M. de Courteheuse; les vieilles femmes aimables et charitables comme Mme de Férias ou Mme de Louvercy; les vieilles femmes évaporées comme Mme de Combaleu ou venimeuses comme Mme de la Roche-Jugan.

      M. de Camors mis à part, presque toutes ces figures s'effacent et se mêlent un peu après qu'on les a vues. Mais les yeux des amoureuses nous suivent longuement, nous tiennent, nous hantent; et nous les revoyons toujours. C'est Mme de Palme, c'est Marguerite, c'est Sibylle, c'est la comtesse des Amours de Philippe, c'est Julia, c'est Sabine, c'est Mme de Campvallon. À vrai dire, elles aussi se ressemblent entre elles: ce sont variétés d'un même type. Mais ce type est saisissant, séduisant, vraiment féminin, et l'on peut dire qu'il appartient presque en propre à M. Octave Feuillet. Si l'on en voulait chercher les origines, je crois bien qu'il faudrait remonter aux femmes de Racine et, par delà, jusqu'à la Phèdre d'Euripide. Mais les femmes de M. Octave Feuillet sont plus singulières; leur détraquement nous est moins expliqué. C'est peut-être avec la mystérieuse Amélie de René qu'on leur trouverait, à la rigueur, le plus de ressemblance.

      Ces amoureuses ne ressemblent point à celles de George Sand, qui sont, en général, de tempérament sanguin, ni à celles de Balzac, qui sont plutôt des «cérébrales». Les femmes de M. Octave Feuillet sont des nerveuses. Étranges, capricieuses, se connaissant mal elles-mêmes, elles vont, d'une marche inégale et folle, jusqu'au bout de leur passion. Elles effrayent et elles attirent, et, comme elles cachent une âme démente, mue par des forces aveugles et irrésistibles, dans des corps délicieux de patriciennes, elles sont à la fois redoutables et charmantes. Elles ont toutes ceci de commun, qu'elles procèdent par à-coups, sous l'impulsion subite d'un sentiment ou d'un désir plus fort qu'elles, si bien que leur conduite a presque toujours quelque chose de décousu et d'incohérent, et que souvent le lien échappe entre leurs démarches successives. Elles ont la parole brève, hardie, directe et comme involontaire. Elles ne sont ni tendres ni même sentimentales. Elles sont extrêmement sensuelles, quelquefois sans le savoir. Elles subissent profondément les influences de la température: elles s'abandonnent plus volontiers les jours d'orage. Quand elles ont rencontré l'homme qu'elles doivent aimer, elles passent généralement par trois phases principales. Elles éprouvent d'abord à son endroit une sorte d'antipathie et de peur physique, comme si elle pressentaient vaguement qu'elles lui appartiendront tout entières et qu'elles souffriront par lui dans leur chair et dans leur cœur. Puis le désir s'allume en elles, et elles dardent alors sur l'homme, comme une arme mortelle, une coquetterie agressive, insolente, haletante, diabolique. Vient enfin la période soit de l'abandon complet et furieux, soit du désespoir et du suicide.—Quoi! ces jolis monstres dans le «Musset des familles»?—Je vous assure qu'ils y sont. Je suis moi-même étonné que les traits communs à ces aimables créatures, ramassés avec scrupule, finissent par composer un petit animal aussi inquiétant. Mais est-ce ma faute si le plus aristocratique des romanciers est aussi un peintre de femmes des plus audacieux, je dirais presque des plus brutaux, en dépit de la parfaite politesse et des grâces de sa forme?

      Notez, du reste, qu'aucune de ces femmes ne pourrait guère être définie plus longuement que je n'ai fait; qu'aucune, par exemple, ne fournirait matière à une analyse comme celle que peuvent supporter Mme Bovary ou Mme de Raynal. Le charme des amoureuses de M. Octave Feuillet est dans leur étrangeté, et leur étrangeté vient de ce qu'elles nous sont très peu expliquées. Et ce n'est point certes un reproche que je lui adresse. Il n'y a point de psychologie des névrosées, et ce sont bien des névrosées que nous présente M. Octave Feuillet—des hystériques, dirait quelque mal appris. Seulement il n'étale pas leur cas pathologique, comme l'ont fait des romanciers d'une autre école. Ce sont des névropathes décentes et d'une élégance irréprochable. Et c'est pourquoi elles se ressemblent si fort. Comme elles n'ont que des apparences d'âmes dans leurs corps de jeunes possédées, comme elles ne sont presque jamais poussées que par la détente de leurs nerfs, on ne saurait dire qu'elles soient bonnes ou mauvaises. Elles diffèrent d'âge, de situation et d'éducation; il y en a qui meurent, il y en a qui se tuent et d'autres qui tuent ou qui tueraient; mais, malgré la diversité des dénouements, on a cette impression que la petite comtesse qui meurt après la souillure est la même femme que Julia de Trécœur qui se tue avant; que Julia est à son tour la même femme que Mme de Campvallon, qui demeure triomphante dans son crime, et que Mme de Maurescamp ou Mme d'Hermany, c'est encore Mme de Campvallon. Ce sont des êtres mystérieux tout pleins d'inconnu, dont on peut tout attendre et dont on ne sait jamais au juste ce qui va sortir. Si bien que ce qui se dégage des histoires du plus spiritualiste et du mieux élevé de nos romanciers, et surtout de quelques-unes de ses figures de femmes, c'est, qu'il le veuille ou non, une conception purement déterministe de l'animal féminin.

       La Petite Comtesse, Julia de Trécœur, Monsieur de Camors sont, à mon avis, les trois romans de M. Feuillet où cet animal est le plus bizarre et le plus «alliciant», dirait M. Paul Bourget.—La petite comtesse de Palme s'éprend d'un jeune homme mélancolique et austère qui l'a brutalisée. Elle le provoque, le harcèle, le supplie enfin de la sauver en l'épousant. À peine a-t-il refusé qu'elle se donne désespérément à un autre (pourquoi?) СКАЧАТЬ