Les Contemporains. Jules Lemaître
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Название: Les Contemporains

Автор: Jules Lemaître

Издательство: Bookwire

Жанр: Документальная литература

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isbn: 4064066084141

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СКАЧАТЬ de ses aventures: la nature complexe de cet étourdissant et très sympathique raté est merveilleusement démêlée. Rappelons quelques passages caractéristiques:

      Anatole était le vivant exemple du singulier contraste qu'il n'est pas rare de rencontrer dans le monde des artistes. Il se trouvait que ce farceur, ce paradoxeur, ce moqueur enragé des bourgeois avait, pour les choses de l'art, les idées les plus bourgeoises, les religions d'un fils de Prudhomme... Il avait le tempérament non point classique, mais académique comme la France[13]...

      ... Ce tableau était, en un mot, la lanterne magique des opinions d'Anatole, la traduction figurative et colorée de ses tendances, de ses aspirations, de ses illusions... Cette sorte de veulerie tendre qui faisait sa bienveillance universelle, le vague embrassement dont il serrait toute l'humanité dans ses bras, sa mollesse de cervelle à ce qu'il lisait, le socialisme brouillé qu'il avait puisé çà et là dans un Fourier décomplété et dans des lambeaux de papiers déclamatoires, de confuses idées de fraternité mêlées à des effusions d'après boire, des apitoiements de seconde main sur les peuples, les opprimés, les déshérités, un certain catholicisme libéral et révolutionnaire, le Rêve de bonheur de Papety entrevu à travers le phalanstère, voilà ce qui avait fait le tableau d'Anatole[14]...

       Anatole présentait le curieux phénomène psychologique d'un homme qui n'a pas la possession de son individualité, d'un homme qui n'éprouve pas le besoin d'une vie à part, d'une vie à lui, d'un homme qui a pour goût et pour instinct d'attacher son existence à l'existence des autres par une sorte de parasitisme naturel, etc.

      Il avait au suprême point le sens de l'invrai. Une prodigieuse imagination du faux le sauvait de l'expérience, lui gardait l'aveuglement et l'enfance de l'espérance... et ne faisait tomber sur lui que le coup inattendu des malheurs, etc.

      Anatole trouvait dans la misère les coudées franches de sa nature, la libre expansion, l'occasion de développement de goûts inavoués qui portaient ses familiarités vers les inférieurs[15]..., etc.

      Anatole est une des plus divertissantes figures de MM. de Goncourt, et des plus vraies. Mais combien d'autres, originales aussi et vivantes! Dans Charles Demailly, la rédaction du Scandale, surtout le forban de lettres Nachette; Giroust le dessinateur, toujours plein de bière et obsédé par le moderne; et la table du Moulin rouge: Masson, qui est sans doute Théophile Gautier; Boisroger, qui ressemble à Banville; Franchemont, qui rappelle Barbey d'Aurevilly.—Dans Manette Salomon, Chassagnol le noctambule, le toqué d'art, avec ses monologues ahurissants; Garnotelle, le type inoubliable du peintre académicien, de la médiocrité correcte armée de savoir-faire; la kyrielle variée des amis d'Anatole, depuis M. Alexandre, l'artiste qui joue au Cirque «le malheureux général Mélas» jusqu'au sergent de ville Champion, ancien gendarme des colonies; et le paysagiste Crescent, et son excellente femme la mère aux bêtes, et tant d'autres!—Dans Sœur Philomène, la petite Céline; dans Germinie Lacerteux, la monstrueuse mère Jupillon et son digne fils; dans Madame Gervaisais, la mystique comtesse Lomanossow et le terrible père Sibilla; dans Renée Mauperin, l'abbé Blampoix, confesseur des salons et directeur des consciences bien nées; Henri Mauperin, le jeune homme sérieux et pratique, économiste et doctrinaire à vingt ans, «médiocre avec éclat et ténacité» (une des plus remarquables études de MM. de Goncourt, et de celles qui ont le plus de portée); et ce charmant Denoisel, à qui MM. de Goncourt ont évidemment prêté beaucoup d'eux-mêmes, comme à Charles et à Coriolis; et M. et Mme Mauperin, et les Bourjot, et tout le monde enfin!...

      Car si MM. de Goncourt ont la plume trop inquiète, trop prompte aux soubresauts, trop dédaigneuse des transitions pour nous présenter avec suite l'évolution d'un caractère, du moins ils excellent dans les portraits. Ils y mettent non seulement toute l'acuité de leur observation et tout le relief de leur style, mais encore (étant à cent lieues de l'impassibilité de Flaubert) une rage de verve, beaucoup d'esprit, et un esprit agité qui insiste, qui redouble, qui s'amuse, qui jouit de lui-même. Renée Mauperin est un livre ravissant, un des plus spirituels qui soient. Sur Garnotelle, dans Manette Salomon, ils sont inépuisables:

      ... Presque toute la critique, avec un ensemble qui étonnerait Coriolis, célébrait ce talent honnête de Garnotelle. On le louait avec des mots qui rendent justice à un caractère. On semblait vouloir reconnaître dans sa façon de peindre la beauté de son âme. Le blanc d'argent et le bitume dont il se servait étaient le blanc d'argent et le bitume d'un noble cœur. On inventait la flatterie des épithètes morales pour sa peinture; on disait qu'elle était «loyale et véridique», qu'elle avait la «sérénité des intentions et du faire». Son gris devenait de la sobriété. La misère de coloris du pénible peintre, du pauvre prix de Rome, faisait trouver et imprimer qu'il avait des «couleurs gravement chastes[16]», etc.

      Tout le portrait de ce pauvre Garnotelle, vingt fois repris et complété, est une merveille de finesse, d'ironie, de férocité. On y sent l'entrain d'une vengeance personnelle contre l'artiste philistin.

      De l'esprit, MM. de Concourt en ont tant qu'ils veulent, et parfois aussi tant qu'ils peuvent, du plus subtil, du plus tourmenté; un esprit qui est souvent, à l'origine, un esprit de pénétration aiguë et rapide, un esprit d'analystes, mais qui est plus souvent encore un esprit de stylistes, une coquetterie de l'imagination en quête d'expressions rares, d'alliances de mots imprévues, d'enfilades de synonymes d'un relief croissant; une coquetterie à qui la justesse ne suffit point, qui ne s'en tient pas au brillant, qui va d'elle-même au raffiné, au singulier, à l'extravagant, qui renchérit sans cesse sur ses trouvailles et qui s'excite à ce jeu. Les exemples seraient innombrables: voyez seulement dans Manette Salomon la définition de la blague[17] et la description de la danse d'Anatole[18]. Il y a là (et ces débauches sont fréquentes chez MM. de Goncourt et constituent presque leur ordinaire) l'ivresse d'une rhétorique particulière, un soûlerie de mots, une orgie de virtuosité. Ils sont intempérants et agités entre tous les stylistes.

      Ils prêtent à leurs personnages lettrés, comme il est naturel, ce style et cet esprit. Je n'ai guère rencontré, pour ma part, des bohèmes et des petits journalistes aussi spirituels que ceux de la rédaction du Scandale. Mais, cet heureux mensonge signalé, il faut reconnaître que les conversations qui abondent dans ces romans ont au plus haut point l'allure et le ton de la conversation contemporaine, parisienne, boulevardière, de la conversation de café ou d'atelier, avec son laisser-aller, son débraillé, ses façons sans-gêne et touche-à-tout, ses hardiesses, son hyperbolisme, son tour sceptique et paradoxal, avec ses prétentions aussi et ses affectations, son ironie tournée au tic, sa manie de feux d'artifice. Manette Salomon, Charles Demailly et Renée Mauperin (avec Denoisel) sont, à ce point de vue surtout, trois livres ultra-parisiens, qui pourront, dans cent ans, donner à nos descendants une idée assez juste de la façon dont conversaient les plus spirituels et les plus blasés de leurs pères dans la seconde moitié du XIXe siècle. Pour le XVIIIe nous avons les conversations rapportées par Diderot dans les lettres à Mlle Volland. Le rapprochement pourrait être fertile en aperçus.

      Tout l'esprit de MM. de Goncourt, étant moins une fleur de bon sens qu'une fleur d'imagination, et ayant ses origines dans leur extrême impressionnabilité, ne les empêche pas de nous émouvoir, et même assez souvent. Leurs fins de livre sont navrantes. Plusieurs de leurs tableaux sont d'une tristesse qui prend aux nerfs, qui fait mal, et d'autant plus qu'elle sort des choses et non plus, comme dans l'ancien roman dit idéaliste, d'une situation morale, généralement d'une lutte intérieure entre des sentiments contraires, exposée sous forme d'effusion solitaire ou de dialogues. Dans la nouvelle école, le pathétique se dégage plutôt de descriptions en grande partie matérielles. Ce n'est plus la «douce terreur» et la «pitié charmante» dont parlait Boileau: c'est quelque chose de plus désolé et de plus poignant; c'est ce que je voudrais appeler une émotion pessimiste, une compassion qui, par delà les souffrances particulières, va à la grande misère humaine, une sensation des fatalités cruelles. Voyez dans Sœur Philomène, l'agonie de Romaine, à qui l'on СКАЧАТЬ