Les Contemporains. Jules Lemaître
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Название: Les Contemporains

Автор: Jules Lemaître

Издательство: Bookwire

Жанр: Документальная литература

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isbn: 4064066084141

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СКАЧАТЬ actes et les sentiments sont constamment déterminés par ce qui les précède ou par les circonstances extérieures. MM. de Goncourt ont laissé chez leurs malades une bien plus grande part d'inconnu et d'inexpliqué.

      Si Charles Demailly était un pur sensitif et s'il aimait Marthe jusqu'au bout, sa folie finale n'aurait rien de surprenant. Mais Charles est en même temps un analyste très pénétrant, très lucide, très armé de sens critique; de bonne heure il perce Marthe à jour, la voit telle qu'elle est, et de bonne heure il cesse de l'aimer. Dès lors sa folie, sans être inadmissible, n'apparaît pas comme un aboutissement inévitable et unique. Et puisque MM. de Goncourt voulaient nous peindre une folie d'artiste, d'homme de lettres, ils auraient pu observer que le plus souvent ce qui les conduit à Charenton, ce n'est pas une aventure de cœur ou quelque trahison, même atroce, mais plutôt la vanité exaspérée, une soif de gloire ou de jouissances impossibles, et que la folie prend plus volontiers chez eux (on en a vu des exemples dans ces dernières années) la forme de la monomanie des grandeurs. Peut-être, ce genre d'aliénation mentale, s'il leur avait plu de le choisir, eût-il été plus caractéristique du monde qu'ils voulaient décrire; et ainsi l'histoire de Charles Demailly n'aurait pas l'air de faire double emploi avec celle de Coriolis.

      Coriolis a beau être créole, sensuel, indolent, avoir besoin de caresses et être épris du corps de Manette, quand on connaît sa fine et fière nature et quand on le voit, presque dès le début, démêler la sécheresse et la dureté foncière de la juive, puis avoir conscience de la tyrannie que cette femme exerce sur lui, on s'étonne un peu qu'il descende, sans résistance et sachant où il va, jusqu'à l'avilissement complet; que ce gentilhomme subisse la ladrerie de sa maîtresse, que ce sensuel lui sacrifie ses besoins de luxe délicat, que cet artiste passionné lui sacrifie l'art, et que, la haïssant depuis longtemps, il en vienne à l'épouser. Il y a là un mystère, une possession. En tout cas, la chute est peu graduée. D'un chapitre à l'autre on est surpris de retrouver Coriolis beaucoup plus bas qu'on ne l'avait laissé.

      Mme Gervaisais a été élevée par un père imbu des idées du XVIIIe siècle; c'est une femme instruite, presque une femme savante, «une philosophe». Elle est, au commencement, fort tranquille et parfaitement équilibrée. Rien vraiment ne peut faire prévoir son étrange métamorphose. Il semble impossible que la Mme Gervaisais hystérique et fanatique de la fin du livre soit contenue dans celle-là, même en germe. Ajoutez que, dans le progrès de sa transformation imprévue, on pourrait signaler encore plus d'une étape brûlée. Et, ce qui n'est pas moins singulier, cette longue folie se dissipe d'un coup comme elle était venue, sous la colère affectueuse d'un officier retour d'Afrique. Jamais roman n'eut tant de trous.

      Lorsque Henri Mauperin achète le nom de Villacourt, croyant la famille éteinte, Renée, cette adorable Renée qui est un si franc et si honnête garçon, ayant appris qu'il reste encore quelque part un Villacourt, lui envoie sans rien dire un numéro du Moniteur pour l'avertir qu'on lui vole son nom. Elle le fait dans les meilleures intentions du monde, par religion du nom paternel, surtout pour rendre impossible le honteux mariage de son frère. Il n'en est pas moins vrai que ce coup de tête est fort inattendu, qu'il y a là je ne sais quoi qui ressemble à une lâcheté et qui s'accorde mal avec le caractère de Renée tel que nous l'avions cru saisir.

      L'histoire de Germinie Lacerteux, une des plus liées, a pourtant ses sursauts, il y a trop de caprice dans le développement de sa maladie; il ne semble pas qu'elle se révèle assez tôt; elle sommeille quinze ans entre la première souillure involontaire et le premier amour: c'est beaucoup. N'y a-t-il pas encore une solution de continuité entre son premier amour et son premier caprice de débauche, entre Jupillon et Gautruche? Enfin n'y a-t-il pas dans la nature de Germinie certaines parties délicates qui semblaient devoir la préserver quand même de l'ignominie complète?

      La psychologie de sœur Philomène est plus simple et plus claire, et son développement suivi et logique. Sœur Philomène est une des plus charmantes figures que MM. de Goncourt aient créées, et la plus douce, la plus discrète, la plus voilée de pudeur. Je n'ai pas besoin de dire qu'ils n'ont mis dans cette histoire d'une religieuse d'hôpital amoureuse d'un interne, amoureuse sans le savoir, aucune intention grossière, aucun esprit de banale irréligion. La peinture est délicieuse et d'une justesse exquise. Et pourtant, tout à la fin, quand Barnier est mourant, n'y a-t-il pas, dans la démarche désespérée et violente de la sœur auprès du curé de Notre-Dame des Victoires, quelque chose qui détonne avec tout le reste de son attitude, qui rompt brusquement la délicatesse de la peinture? J'aimerais qu'elle continuât de souffrir silencieusement et de prier toute seule. Le dirai-je? La mèche de cheveux dérobée me semble de trop et ne me plaît pas.

      Et Barnier, ce garçon si bon et si tranquille, quelle folie lui traverse le cerveau? Une fois la sottise faite, la forme que prend son repentir, son volontaire abrutissement par l'absinthe, son suicide, tout cela est-il d'accord avec l'idée qu'on nous a donnée de son caractère?—Dans Marthe et dans Manette, telles qu'elles nous sont d'abord présentées et telles qu'elles se montrent un assez long temps, qui pourrait soupçonner la petite créature haineuse et féroce et l'épouvantable juive sous qui succombent la raison de Charles et la dignité et le talent de Coriolis? Un monstre surgit en elles à l'improviste; et la première moitié des deux histoires ne se déroulerait guère autrement si Manette devait être l'ange gardien de Coriolis et Marthe la muse de Demailly.

      Ainsi presque tous les principaux personnages de MM. de Goncourt ne se développent point dans des phases qui se lient et s'engendrent: ils se révèlent, de loin en loin, par des accès. Cette impression tient peut-être, en partie, à ce caprice de composition qui, comme nous l'avons vu, découpe un livre en tableaux presque toujours indépendants les uns des autres: les vides qui séparent les tableaux se répètent dans le processus des caractères. Ainsi un homme qui marche à l'intérieur d'une maison, si nous regardons du dehors, apparaît successivement à chaque fenêtre, et dans les intervalles nous échappe. Ces fenêtres, ce sont les chapitres de MM. de Goncourt. Encore y a-t-il plusieurs de ces fenêtres où l'homme que nous attendions ne passe point.

      J'exagère un peu l'impression, mais elle est réelle. Il y a du hasard dans ce que font et dans ce que deviennent les personnages que j'ai cités. Leur caractère étant donné, ce qui en sort n'en paraît pas sortir nécessairement.—Mais quelques-uns sont des malades, et, en signalant ce qu'ils ont d'inexpliqué, c'est peut-être leur maladie même que nous leur reprochons. Pour les autres, si leur conduite a quelque chose d'inattendu, elle n'a rien, après tout, d'impossible. Ainsi, à peine ai-je formulé mes critiques que je ne suis plus si sûr de leur justesse. Il ne faut pas, quand on juge un roman, même de ceux qui reposent sur l'observation du monde réel, pousser trop loin la superstition de la vraisemblance psychologique. Le vraisemblable en ces matières est peut-être plus large qu'on ne se le figure d'ordinaire. Qui de nous, en y regardant d'un peu près, n'a surpris en soi, ou autour de soi, même chez les personnes qu'il pensait connaître le mieux, des phénomènes qui déroutent, des volontés ou des faiblesses qu'on ne s'explique pas entièrement, des effets dont les causes en partie se dérobent et qui font parler de la fatalité ou des nerfs, deux manières de nommer l'inconnu? Mais il est peut-être vrai aussi qu'un roman doit être plus logique, plus lié, plus clair que la réalité, et que MM. de Goncourt se sont dispensés plus qu'il n'aurait fallu des règles les mieux fondées de la composition, de tout ce qui, dans une œuvre d'art, produit, pour employer leurs expressions «la tranquillité des lignes» et l'air de «santé courante», donne une impression de grandeur et de beauté, délivre de toute inquiétude l'émotion esthétique et mêle à l'admiration un sentiment de sécurité. On a parfois peur de se tromper en se laissant prendre à leurs chefs-d'œuvre décousus, et le plaisir qu'ils font manque de sérénité.

      Non qu'ils ne soient en bien des passages de rares psychologues. Lorsque Romaine, amenée à l'hôpital, reconnaît dans Barnier son ancien amant, est opérée par lui d'un cancer au sein et meurt désespérée et blasphémante, ce qui se passe chez la sœur Philomène, ce qui s'éveille et se glisse d'inconsciente jalousie СКАЧАТЬ