La confession d'un abbé. Louis Ulbach
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Читать онлайн книгу La confession d'un abbé - Louis Ulbach страница 16

Название: La confession d'un abbé

Автор: Louis Ulbach

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066086688

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СКАЧАТЬ à comprendre?

      J'aimais, je le répète, cette belle salle boisée, cette bibliothèque d'intention, où les livres étaient rares, et, plus d'une fois depuis, je l'avoue, en entrant dans une sacristie pour passer mon surplis, avant de monter en chaire, quand je devais prêcher, si je regardais les moulures, les ornements des grandes armoires où l'on enferme les habits sacerdotaux, une morsure au cœur m'avertissait d'une évocation sacrilège. Je revoyais les grandes armoires de chêne du château de Chavanges; je tournais la tête au bruit lent d'une porte qu'on ouvrait doucement; je croyais voir passer, légère et imposante cependant dans sa grâce, cette belle jeune fille si pure et si hardie, si fière, qui traversait la grande salle, en l'effleurant à peine, qui dans les premiers temps me saluait d'un mouvement de tête, pour me dire:—Ne vous dérangez pas, travaillez!—et qui, plus tard, s'arrêtait, causait, en voulant visiblement me déranger de mon travail.

      La porte qui ajoutait une évocation à celle des armoires de la sacristie, communiquait avec l'église; la robe blanche qui entrait était un surplis; la robe sombre était celle d'un prêtre qui m'avertissait de monter en chaire, et, le cœur dévoré par cette vision, j'allais parler de l'amour de Dieu, de l'amour du prochain, selon l'Évangile, à ces âmes dévotes, auxquelles j'aurais révélé avec plus d'éloquence le véritable amour humain, que je portais tout entier, pur et débordant en moi…

      A la fin de notre séjour au château, je n'étais pas plus avancé que lors de ma rencontre avec Reine, à la vente de charité; sinon que cet amour subit s'était enraciné en moi par toutes mes fibres, et que je n'aurais pu y renoncer, mais qu'il ne m'avait communiqué aucune révélation certaine sur le caractère de la jeune fille, et que, si je sentais bien que j'étais pour quelque chose dans ses variations d'humeur, j'ignorais si elle m'aimait, si elle était près de m'aimer, si elle pouvait m'aimer, si je n'étais pas seulement pour elle un être original, curieux à observer, une couleur tranchée dans l'harmonie banale des êtres qui l'entouraient, mais, avant tout, un importun qui la gênait, qui l'ennuyait.

      Il était impossible que, dans cette situation, n'ayant pas de confident, me défendant contre la curiosité de Gaston, je ne me prisse pas moi-même, pour ainsi dire, pour unique dépositaire de mon secret.

      Si jamais la poésie fut le duo mystérieux de l'âme qui s'interroge et qui se répond, ce fut bien dans les vers qui me sollicitaient par fragments, par bribes d'hémistiches, et qui, un jour, m'obligèrent à les écrire, à les corriger, à les revoir, à me les réciter.

      C'était deux jours avant notre départ. Il pleuvait à torrents. On n'avait organisé ni chasse, ni promenade. Le château bruissait intérieurement de voix, de rires, de tapotements de piano, de chocs de billes sur le tapis du billard.

      J'avais pu, après le déjeuner, quitter la compagnie joyeuse et enfermée qui n'avait pas besoin de moi, monter à la chère bibliothèque, m'y installer, prendre un livre, essayer de lire, et, au bout d'un quart d'heure, distrait de ma lecture par la pensée qui ne me laissait pas me distraire, attirer du papier, des plumes, et griffonner des vers.

      J'entendais par instants, au loin, au-dessous de moi, dans un silence relatif qui s'établissait au salon, Reine, chantant ou jouant, puis des applaudissements. Je prenais une sorte de plaisir cruel à humer, à travers les murs, cette vie qui coulait en moi comme une sève nouvelle dont mon être s'enivrait et s'exaltait.

      Je me défendais de descendre. J'aurais été, ce jour-là, plus maladroit que d'habitude, plus ridicule, plus triste dans cette gaieté, triste comme le temps dont on se moquait. Il pleuvait dans mon cœur, comme dans le ciel. J'avais de grosses larmes aux yeux et je les laissais tomber sur le papier. Je n'aurais pu les retenir devant elle; peut-être bien qu'elle eût ri, pour amuser ses hôtes.

      Ah! si j'écrivais pour le public, comme j'aurais plaisir à retracer cette phase délicieuse d'un amour ardent et innocent, ce bonheur des larmes, qui est la rosée des illusions printanières et qui garde le secret du rajeunissement, quand plus tard, homme vieilli, on se sent suffoquer.

      Mais, encore une fois, je ne fais pas un livre.

      Peu à peu, le travail auquel je me livrais, cette gymnastique de la versification qui n'éteint pas l'enthousiasme, qui le rythme dans l'esprit, en même temps qu'il le rythme prosodiquement, m'avait absorbé. Je percevais encore un bourdonnement vague; je ne l'écoutais plus.

      Il y avait bien deux heures que j'étais là, la tête soutenue par une main et penchée sur le papier. Je n'entendis pas ouvrir la porte; je n'entendis pas quelqu'un s'avancer. Tout à coup, une voix qui me fit tressaillir, me dit:

      —Aurez-vous bientôt fini d'écrire?

      Je levai la tête, et instinctivement, comme lorsque j'étais écolier et que j'avais peur de laisser surprendre mes manuscrits, je croisai mes mains sur mon papier.

      Reine se mit à rire:

      —Oh! n'ayez pas peur! je ne veux pas lire vos lettres!

      Elle rayonnait de gentillesse, de malice, de bonté, et tout en disant qu'elle ne voulait pas lire, elle se tenait légèrement penchée sur la table, pour s'y accouder.

      Je la vois… je me souviens de la couleur, des plis de sa robe qui se creusait sur la poitrine dans ce mouvement en avant.

      La table était large; sans cela, j'aurais eu le souffle de sa bouche sur la mienne, le rayon de ses yeux dans les miens. Mais il s'exhalait de cette jolie tête lumineuse, tout ensemble un arôme et une clarté qui m'enivraient. J'écartai doucement les mains et laissai voir les lignes inégales que j'avais écrites.

      —Ce n'est pas une lettre! répondis-je avec un sourire suppliant, subitement décidé à tout dire.

      Je souriais; mais elle devait voir que j'avais pleuré.

      Elle le vit, en effet, mais, chose singulière, cette sincérité la fâcha, au lieu de l'attendrir. Elle se redressa un peu, se renversa en arrière; son corsage se tendit et la tentation de sa beauté se faisait plus réelle, en même temps que sa figure prenait un air plus sérieux.

      —Ah! c'est vrai! murmura-t-elle, vous faites des vers!

      Je ne répliquai pas. J'avançai doucement les feuilles griffonnées. Mais Reine se reculait, avec un dédain visible. Elle était debout. La compassion se mêla sur sa bouche à l'ironie qui la plissait.

      —Vous avez donc du chagrin?

      —Non.

      —Si je vous demandais de nous lire vos vers?

      Je m'effrayai:

      —A tout le monde?

      Elle rougit légèrement:

      —Sans doute… dans le salon.

      —C'est que je ne les ai pas faits pour qu'ils fussent lus devant tout le monde.

      —Ah! pour vous seul alors?

      Je sentis que ma bouche blêmissait et tremblait.

      —Vous les destiniez à quelqu'un? ajouta Reine de Chavanges.

      —Oui.

      Il y eut un silence de quelques secondes, silence terrible. Je devais être bien pâle; tout mon être frémissait. СКАЧАТЬ