La confession d'un abbé. Louis Ulbach
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Читать онлайн книгу La confession d'un abbé - Louis Ulbach страница 15

Название: La confession d'un abbé

Автор: Louis Ulbach

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066086688

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СКАЧАТЬ avec audace; je revenais hardiment au château, espérant la rencontrer seule, la voir, m'enhardir à lui parler simplement, sans les éclats de rire qui entrecoupaient toujours les conversations, aux heures où tous les invités étaient réunis, à établir entre nous une intimité d'amis, qui résistait à mon grand désir et qui me semblait, tour à tour, souhaitée ou redoutée par elle.

      Mais toute ma hardiesse consistait dans cette désertion de la chasse. Arrivé au château, si je la rencontrais, je cherchais des excuses, sans donner la raison vraie de mon retour.

      Elle paraissait étonnée de ma désertion, m'en raillait, se refusait à empêcher le repos que j'étais venu chercher, ne me laissait pas bénéficier une minute du tête-à-tête paisible que je m'étais ménagé, ou bien, paraissant tout à coup me deviner, me donnait, en riant, un rendez-vous pour le lendemain, à la chasse, où elle irait, afin de m'empêcher de m'y ennuyer.

      Ces jours-là, elle affectait de me retenir auprès d'elle; mais c'était pour m'emmener, au grand galop, à travers la forêt, ne me laissant pas le temps de lui dire un mot dans les haltes rapides que nous faisions, se fatiguant avec une sorte de colère contre elle-même; puis, au plus beau moment de son exaltation d'écuyère, tournant bride, cherchant à rejoindre les chasseurs, les dissuadant de continuer, proposant une course à fond de train jusqu'au château et galopant à la tête de cette meute d'hommes déchaînés qui criaient, hurlaient, jouaient des fanfares et faisaient se pâmer d'aise la vieille marquise, assise sur le perron du château, du côté Louis XIII, et souriant au seul tapage qu'elle pût encore provoquer.

      Au retour, après un baiser qui effleurait les rides de sa grand'mère, Reine allait s'enfermer dans sa chambre, en traversant la bibliothèque; souvent, quelques instants après elle, j'y allais prendre un livre que je ne lisais pas, mais pour m'accouder à l'angle d'une table et regarder sur le parquet la petite trace, l'esquisse des contours, que son pied nerveux faisait avec la poussière de la forêt, en marchant vivement, nerveusement, en frappant le plancher.

      Elle ne sortait de chez elle qu'à l'heure du dîner, fatiguée de son repos, presque maussade, presque triste, plus belle sous ce voile de gravité descendu sur sa mutinerie.

      Dans la soirée, si la marquise ne restait pas dehors, pendant que les hommes fumaient dans les allées du parc, Reine se mettait au piano, déchiffrait de la musique difficile, s'oubliait à la bien jouer.

      Elle avait une belle voix: elle se laissait aller à chanter des notes sans paroles. Mais, dès qu'elle s'apercevait qu'on l'écoutait avec attention, avec émotion, elle fermait bruyamment le piano, à moins qu'elle ne proposât un chœur comique, grotesque, dans lequel chacun faisait sa partie, et la journée folle qui n'avait eu qu'un intervalle de raison, s'achevait par cette folie.

      Ces caprices me tourmentaient comme des symptômes de douleur.

      D'un autre côté, cette liberté de paroles, d'attitude de cette belle jeune fille, qui m'avait surpris à notre première rencontre, m'effrayait. Je redoutais toujours que la gaieté ne fît éclore un mot équivoque dans cette réunion d'hommes provoqués à rire. Mais mademoiselle de Chavanges n'était hardie que parce qu'elle se savait forte de sa volonté. Si un mot trivial, emprunté à l'argot des théâtres, échappait à quelque étourdi, elle se redressait, rougissait d'un peu de dépit, plutôt que de honte, et, d'un ton bref, de commandement, avec un geste précis, comme si elle eût donné de la cravache sur les doigts de l'impertinent, elle le mettait à sa place et le réduisait au silence.

      Entre jeunes gens, le soir, quand invités par un beau clair de lune, nous prolongions la veillée plus tard que ces dames, dans le jardin, on parlait de Reine de Chavanges; on essayait d'expliquer son caractère. Moi, je me taisais ou je me récusais. Gaston disait toujours:

      —C'est une bonne fille qui s'ennuie et que nous n'amusons pas.

      C'était le jugement le plus favorable; je l'acceptais. Personne n'avouait qu'il était disposé à l'aimer, parmi tous ces soupirants empressés à la recevoir pour femme.

      Quelques-uns la trouvaient folle, coquette, et ceux qui se retenaient de dire des inconvenances devant elle, se dédommageaient, en en disant à propos d'elle.

      Combien de fois ne fus-je pas tenté de bondir, de menacer, ou de souffleter même celui qui la calomniait si lâchement? Mais ces lâchetés-là n'avaient prise sur personne; on les tolérait comme les badinages nécessaires entre hommes.

      Je rentrais furieux, rugissant dans ma chambre; je passais la nuit à étouffer ma colère, à retourner dans tous les sens le problème que je me donnais à résoudre, d'amener à la simplicité, à la tranquillité, à l'apaisement vrai, à une franchise moins intermittente et moins brutale, cette enfant isolée dans un milieu mesquin, qui avait sans doute peur du monde, qui le narguait, ne sachant comment le dominer, le piétiner définitivement et s'en affranchir.

      Le lendemain, je retournais écouter les méchancetés qu'on débitait sur son compte; j'en nourrissais ma piété; je voulais en faire des moyens de la connaître mieux, en la défendant contre des exagérations grossières. Il était si visible qu'on la méconnaissait, que ces vilenies me faisaient mépriser mes camarades, sans entamer l'estime que je voulais garder pour elle.

      J'ai dit que personne entre nous ne se posait en amoureux, et que cela n'empêchait pas de se poser en prétendant. Il fallait bien alors, devant mademoiselle de Chavanges, affecter des petites attentions, prendre des airs de soupirant.

      Elle riait, démasquait la tactique, et avec une autorité de femme, singulière dans une si jeune fille, elle dénonçait tout haut à nos châtiments le félon qui rompait le pacte de bonne camaraderie.

      Je me serais bien gardé de jouer un pareil jeu avec elle, quand même il n'eût pas répugné à mon caractère. Je l'aimais trop. Je l'observais, mais je m'observais moi-même, et rien ne me ravissait plus que quand, dans le salon, ou à la promenade, n'étant pas assez empressé pour lui rendre un petit service, lui cueillir une rose qu'elle ne pouvait détacher de la branche, lui avancer un siège de jardin, elle me disait:

      —Savez-vous, monsieur d'Altenbourg, que vous n'êtes pas galant?

      Elle avait un bon sourire de sœur indulgente qui paraissait me remercier de ce que je méritais ce reproche de sa part, et quand la familiarité amena la substitution de mon prénom à mon nom de famille, quand elle m'appela Louis, tout court, je me crus bien près d'être aimé…

      Je suis tenté de déchirer ces pages. Pourquoi ne pas m'en tenir à des faits? A quoi bon raconter tout cela? Ne puis-je pas dire en quelques lignes ce qui advint de tous ces beaux sentiments? Est-ce bien ma confession que je fais? Suis-je un romancier malgré moi? Vous qui me lisez et qui savez que ce mémoire est l'œuvre d'un vieillard, d'un prêtre, d'un homme qui se débat dans la plus poignante angoisse, je vous en conjure, pardonnez-moi ces détails; ne me méprisez pas, si je prends dans l'herbier, dans le cercueil de ma jeunesse ces fleurs séchées que mes larmes ne peuvent faire revivre. Il faut que vous compreniez mon erreur. Il faut que vous sachiez quelle terrible destinée se préparait pour l'orpheline, à demi gâtée, sans être corrompue, par ces frivolités mondaines, et pour l'orphelin que sa chasteté ardente rendait inhabile à juger, à deviner cette âme fière dans ce corps enfiévré à son insu par sa jeunesse!…

      J'ai dit que, quand je le pouvais, j'allais m'installer dans la bibliothèque du château; c'était là que j'étais libre d'écrire à mon vieux maître, l'abbé Cabirand.

      Plus tard, il m'a raconté, malgré son inexpérience des passions, qu'il avait deviné dans ces lettres littéraires, poétiques, sentimentales, СКАЧАТЬ