Le Journal d'une Femme de Chambre. Octave Mirbeau
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Название: Le Journal d'une Femme de Chambre

Автор: Octave Mirbeau

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066087357

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СКАЧАТЬ moins, elle ne serait pas trop mal... Son pire défaut est qu'elle n'éveille en vous aucune sympathie, qu'elle n'est femme en rien... Mais elle a des traits réguliers, de jolis cheveux naturellement blonds, et une belle peau... une peau trop fraîche, par exemple, et comme si elle souffrait d'une mauvaise maladie intérieure... Je connais ces types de femmes et je ne me trompe point à l'éclat de leur teint. C'est rose dessus, oui, et dedans, c'est pourri... Ça ne tient debout, ça ne marche, ça ne vit qu'au moyen de ceintures, de bandages hypogastriques, de pessaires, un tas d'horreurs secrètes et de mécanismes compliqués... Ce qui ne les empêche pas de faire leur poire dans le monde... Mais oui! C'est coquet, s'il vous plaît... ça flirte dans les coins, ça étale des chairs peintes, ça joue de la prunelle, ça se trémousse du derrière; et ça n'est bon qu'à mettre dans des bocaux d'esprit de vin... Ah! malheur!... On n'a guères d'agrément avec elles, je vous assure, et ça n'est pas toujours ragoûtant de les servir...

      Soit tempérament, soit indisposition organique, je serais bien étonnée que Madame fût portée sur la chose... Aux expressions de son visage, aux gestes durs, aux flexions raides de son corps, on ne sent pas du tout l'amour, et, jamais, le désir, avec ses charmes, ses souplesses et ses abandons, n'a passé par là... Des vieilles filles vierges, elle garde, en toute sa personne, je ne sais quoi d'aigre et de suri, je ne sais quoi de desséché, de momifié, ce qui est rare chez les blondes... Ce n'est pas Madame qu'une belle musique comme Faust—ah! ce Faust!—ferait tomber de langueur et s'évanouir de volupté entre les bras d'un beau mâle... Ah, non, par exemple! Elle n'appartient pas à ce genre de femmes très laides, sur les figures de qui l'ardeur du sexe met parfois tant de vie radieuse, tant de séductions et tant de beauté... Après tout, il ne faut pas se fier à des airs comme celui de Madame... J'en ai connu de plus sévères et de plus grincheuses, qui éloignaient toute idée de désir et d'amour, et qui étaient de fameuses gourgandines, et qui faisaient les quatre cent dix-neuf coups, avec leur valet de chambre ou leur cocher...

      Par exemple, bien que Madame se force pour être aimable, elle n'est sûrement pas à la coule, comme des fois j'en ai vu... Je la crois très méchante, très moucharde, très ronchonneuse; un sale caractère et un méchant coeur... Elle doit être, sans cesse, sur le dos des gens, à les asticoter de toutes les manières... Et des «savez-vous faire ceci?»... Et des «savez-vous faire cela?» Ou bien encore: «Êtes-vous casseuse?... Êtes-vous soigneuse?... Avez-vous beaucoup de mémoire? Avez-vous beaucoup d'ordre?» Ça n'en finit pas... Et aussi: «Êtes-vous très propre?... Moi, je suis exigeante sur la propreté... je passe sur bien des choses... mais sur la propreté, je suis intraitable...» Est-ce qu'elle me prend pour une fille de ferme, une paysanne, une bonne de province?... La propreté?... Ah! je la connais, cette rengaine. Elles disent toutes ça... et, souvent, quand on va au fond des choses, quand on retourne leurs jupes et qu'on fouille dans leur linge... ce qu'elles sont sales!... Quelquefois à vous soulever le coeur de dégoût...

      Aussi, je me méfie de la propreté de Madame... Lorsqu'elle m'a montré son cabinet de toilette, je n'y ai remarqué ni petit meuble, ni baignoire, ni rien de ce qu'il faut à une femme soignée et qui la pratique dans les coins... Et ce que c'est sommaire, là-dedans, en fait de bibelots, de flacons, de tous ces objets intimes et parfumés que j'aime tant à tripoter... Il me tarde de voir Madame, toute nue, pour m'amuser un peu... Ça doit être du joli...

      Le soir, comme je mettais le couvert, Monsieur est entré dans la salle à manger... Il revenait de la chasse... C'est un homme très grand, avec une large carrure d'épaules, de fortes moustaches noires, et un teint mat... Ses manières sont un peu lourdes, un peu gauches, mais il paraît bon enfant... Évidemment, ce n'est pas un génie comme M. Jules Lemaître, que j'ai tant de fois servi, rue Christophe-Colomb, ni un élégant comme M. de Janzé.—ah, celui-là! Pourtant, il est sympathique... Ses cheveux drus et frisés, son cou de taureau, ses mollets de lutteur, ses lèvres charnues, très rouges et souriantes, attestent la force et la bonne humeur... Je parie qu'il est porté sur la chose, lui... J'ai vu cela, tout de suite, à son nez mobile, flaireur, sensuel, à ses yeux extrêmement brillants, doux en même temps que rigolos... Jamais, je crois, je n'ai rencontré, chez un être humain, de tels sourcils, épais jusqu'à en être obscènes, et des mains si velues... Ce qu'il doit en avoir un dessus de malle, le gros père!... Comme la plupart des hommes peu intelligents et de muscles développés, il est d'une grande timidité.

      Il m'a examinée d'un air tout drôle, d'un air où il y avait de la bienveillance, de la surprise, du contentement... quelque chose aussi de polisson sans effronterie, de déshabilleur, sans brutalité. Il est évident que Monsieur n'est pas habitué à des femmes de chambre comme moi, que je l'épate, que j'ai fait, sur lui, du premier coup, une grande impression... Il m'a dit, avec un peu d'embarras:

      —Ah!... ah!... c'est vous, la nouvelle femme de chambre?...

      J'ai tendu mon buste en avant, j'ai baissé légèrement les yeux, puis, modeste et mutine, à la fois, de ma voix la plus douce, j'ai répondu simplement:

      —Mais oui, Monsieur, c'est moi...

      Alors, il a balbutié:

      —Ainsi, vous êtes arrivée?... C'est très bien... c'est très bien...

      Il aurait voulu parler, encore... cherchait quelque chose à dire, mais, n'étant pas éloquent ni débrouillard, il ne trouvait rien... Je m'amusais vivement de sa gêne... Après un court silence:

      —Comme ça, a-t-il fait, vous venez de Paris?

      —Oui, Monsieur...

      —C'est très bien... c'est très bien.

      Et s'enhardissant:

      —Comment vous appelez-vous?

      —Célestine... Monsieur...

      Par manière de contenance, il s'est frotté les mains, et il a repris:

      —Célestine!... Ah! ah!... C'est très bien... Un nom pas commun... un joli nom, ma foi!... Pourvu que Madame ne vous oblige pas à le changer... elle a cette manie...

      J'ai répondu, digne et soumise:

      —Je suis à la disposition de Madame...

      —Sans doute... sans doute... Mais c'est un joli nom...

      J'ai manqué éclater de rire... Monsieur s'est mis à marcher dans la salle, puis, tout d'un coup, il s'est assis sur une chaise, il a allongé ses jambes et, mettant dans son regard comme une excuse, dans sa voix, comme une prière, il m'a demandé:

      —Eh bien, Célestine... car moi, je vous appellerai toujours Célestine... voulez-vous m'aider à retirer mes bottes?... Ça ne vous ennuie pas, au moins?

      —Certainement, non, Monsieur...

      —Parce que, voyez-vous... ces sacrées bottes... elles sont très difficiles... elles glissent mal...

      Dans un mouvement que j'essayai de rendre harmonieux et souple, et même provocant, je me suis agenouillée en face de lui. Et pendant que je l'aidais à retirer ses bottes, qui étaient mouillées et couvertes de boue, j'ai parfaitement senti que son nez s'excitait aux parfums de ma nuque, que ses yeux suivaient, avec un intérêt grandissant, les contours de mon corsage et tout ce qui se révélait de moi, à travers la robe... Tout à coup, il murmure:

      —Sapristi! Célestine... Vous sentez rudement bon... fumet de fauve, pénétrant et chaud... qui ne m'est pas désagréable.

      Quand ses bottes eurent été retirées, et pour le laisser СКАЧАТЬ