Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 2. Charles Athanase Walckenaer
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СКАЧАТЬ ordres dépendissent de lui et non de Mazarin. Bussy, malgré ses pressantes sollicitations, n'obtenait point l'exécution des promesses qui lui avaient été faites. Il attribuait le défaut de succès de ses démarches au peu de crédit dont il jouissait près de Turenne, et il ne se trompait pas. Quoique Mazarin fût jaloux de Turenne, il lui rendait justice; il savait apprécier ses services et ses talents, et il le ménageait. Si Bussy avait pu obtenir l'appui de ce grand capitaine, Mazarin n'aurait pas osé lui manquer si souvent de parole.

      A tous ces mécomptes de l'ambition Bussy joignait une conduite propre à lui faire beaucoup d'ennemis: il ne se contentait pas d'une seule maîtresse, mais toutes les femmes qui lui plaisaient devenaient les objets de ses poursuites; et comme il réussissait souvent, il avait contre lui beaucoup d'envieux et de jaloux et un plus grand nombre de rivaux. Ce qu'il y avait pour lui de plus triste et de plus désastreux, c'est qu'il n'avait ni ordre dans ses affaires ni économie dans ses dépenses; son faste, son goût pour les plaisirs lui en faisaient faire d'excessives, et de très-disproportionnées à sa fortune. Les sommes qu'il avait empruntées au surintendant pour payer sa charge eussent exigé de lui qu'il fît des épargnes, afin de pouvoir en opérer le remboursement et en servir les intérêts; mais, bien loin de pouvoir y parvenir, il avait contracté de nouvelles dettes. Dans son marché avec Fouquet, il s'était engagé d'obtenir avant trois ans un grade supérieur à celui de mestre de camp dans la cavalerie214, et de céder cette dernière charge au surintendant, qui voulait la faire passer dans sa famille. Pour sûreté de cette condition, Bussy avait remis d'avance à Fouquet la démission de sa charge; mais comme Bussy ne put obtenir d'avancement dans les délais déterminés, Fouquet refusa de lui compter les sommes stipulées en cas d'exécution de cette clause de leur contrat. Bussy voulut alors ravoir la démission souscrite par lui: pour forcer le surintendant à la lui rendre, il se servit de l'influence de l'abbé Fouquet, alors brouillé avec son frère, mais en grande faveur auprès de la reine mère et de Mazarin. Par le moyen d'une si puissante intervention, Bussy parvint à se faire rendre la démission qu'il avait donnée; mais il s'attira l'inimitié du surintendant215.

      Pour qu'aucun travers, aucune cause de ruine ne manquât à Bussy, il était joueur: il est vrai que, si on l'en croit, il était heureux au jeu. Cependant il y a lieu de penser qu'il aimait à se vanter de ce qu'il gagnait, et se taisait sur ses pertes. Il fait mention dans ses Mémoires des gains considérables qu'il fit pendant qu'il était à l'armée de Catalogne. Ils lui suffirent pour défrayer toutes ses dépenses pendant cette campagne; il lui resta même encore dix mille écus sur cet argent216. Dans la lettre à sa cousine dont nous venons de transcrire une partie, il dit qu'il a gagné huit cents louis217, et qu'il est tellement en veine, que personne n'ose plus jouer avec lui. Cependant, lorsque l'année suivante le moment vint de partir pour l'armée, il se trouva dans une telle détresse qu'il n'avait pas de quoi suffire à la dépense de ses équipages218, et si peu de crédit, que personne ne voulait lui prêter219. Il ne savait comment se tirer d'embarras, lorsque l'évêque de Châlons, Jacques de Neuchèse, oncle de sa première femme, dont nous avons parlé précédemment220, mourut. Cet évêque avait donné par contrat de mariage à sa nièce, lorsqu'elle épousa Bussy, une valeur de dix mille écus, et autant à son autre nièce madame de Sévigné; le tout était payable seulement après sa mort. Madame de Sévigné, qui désirait avoir une terre de l'évêque de Châlons rapprochée de Bourbilly, avait proposé à Bussy de traiter avec lui de ses droits dans la succession de leur oncle. Bussy, sans rejeter ni accepter cette proposition, mais uniquement occupé du soin de se tirer de la gêne où il était, envoya Corbinelli à sa cousine, pour lui demander en son nom de lui faire trouver dix mille écus: il lui offrit pour garantie le nouvel héritage auquel il avait droit. Madame de Sévigné accepta, et même elle témoigna sa joie de pouvoir obliger Bussy; mais elle se laissait gouverner entièrement pour ses intérêts pécuniaires par son oncle l'abbé de Coulanges; et là où elle n'avait pas vu de difficultés il en aperçut. L'abbé connaissait le désordre des affaires de Bussy, et avant de laisser grever les biens de sa nièce pour une somme de dix mille écus, qui valaient à peu près 60,000 fr. d'aujourd'hui, il voulut savoir si les biens de Bussy n'étaient pas déjà engagés, et s'assurer quels pouvaient être ses moyens de remboursement. Il envoya quelqu'un en Bourgogne pour prendre des informations; et pour déguiser ce que cette mesure avait d'offensant, l'abbé de Coulanges dit qu'on ne pouvait disposer des fonds d'une succession qui n'était pas encore partagée; et que par conséquent il y avait nécessité d'aller trouver l'héritier de M. de Neuchèse, pour s'assurer de son consentement relativement à l'hypothèque offerte par Bussy. Madame de Sévigné fit savoir à Bussy les raisons du retard du prêt qu'elle devait lui faire. Bussy répondit qu'il lui était impossible d'attendre, parce que l'armée avait déjà investi Dunkerque, et que s'il ne se trouvait pas à ce siége, il serait déshonoré: il lui offrit pour sûreté de la somme qu'il demandait, en attendant le retour de l'homme d'affaires envoyé en Bourgogne, des ordonnances de ses appointements pour dix mille écus, disant que, lors même qu'il mourrait à l'armée, il serait facile de se faire payer du montant de ces ordonnances jusqu'à concurrence de la somme prêtée, puisque cela ne dépendait que de Fouquet, dont la bonne volonté à l'égard de sa cousine n'était pas douteuse. Madame de Sévigné répondit que le surintendant était précisément l'homme du monde auquel elle consentirait le moins à demander un service d'argent.

      Cette correspondance et ces négociations avaient consumé du temps, et n'avaient fait qu'augmenter la détresse de Bussy, qui était arrivé à la veille du jour de son départ. La marquise de Monglat vint à son secours; elle lui remit ses diamants, qu'il mit en gage; il emprunta dessus deux mille écus: avec cet argent il partit, mais le cœur ulcéré contre sa cousine, se croyant trompé par elle, et regardant comme fausses toutes les protestations qu'il en avait reçues, comme perfides tous les témoignages de tendresse et d'amitié qu'elle lui avait donnés. Quoiqu'il ne pût s'empêcher de l'aimer encore, il rompit tout commerce avec elle. Le dépit et l'orgueil blessé lui inspirèrent le même désir de vengeance que la haine, et il ne tarda pas, comme nous le verrons bientôt, à se satisfaire. C'est de cette époque que datent le déclin de la fortune de Bussy et tous ses malheurs. Si sa rupture avec sa cousine n'en fut pas la seule cause, il est certain qu'elle y contribua beaucoup. C'est depuis qu'il eut cessé d'avoir madame de Sévigné pour confidente et pour amie, depuis qu'il n'eut plus la crainte d'être désapprouvé par elle, depuis qu'il ne redouta point ses spirituelles et utiles railleries, et qu'il ne fut plus encouragé par ses éloges ni éclairé par ses conseils, qu'il passa de la prodigalité au désordre, et de la galanterie à la débauche.

      Au retour de cette campagne, qui fut une des plus brillantes et une des plus importantes par ses résultats, toute la jeune noblesse qui en était revenue, enivrée de ses succès et de la gloire commune, se livra avec plus d'emportement que de coutume aux plaisirs de la capitale. Bussy, qui s'était distingué par de beaux faits d'armes, fut un des plus ardents à se dédommager des ennuis et des fatigues de la guerre, par toutes les joyeuses folies auxquelles l'usage permettait de s'abandonner pendant le carnaval. Lui et ses compagnons habituels virent avec peine arriver le moment où les solennités de la semaine sainte les forceraient d'interrompre et de changer leur genre de vie: en le continuant ouvertement, ils savaient qu'ils révolteraient les sentiments de morale publique et s'exposeraient à des dangers. Vivonne, premier gentil-homme du roi, l'un d'entre eux, leur offrit d'aller passer ce temps de retraite et de pénitence à son château de Roissy, à quatre lieues de Paris, leur promettant que, loin de l'intrusion des fâcheux et des regards de tous les censeurs, ils auraient pleine liberté pour se réjouir et abondance de tous les moyens nécessaires à la satisfaction de leurs goûts. Outre Vivonne et Bussy, il y avait, dans le nombre de ces jeunes débauchés, Cavois, lieutenant au régiment des Gardes; Mancini, neveu du cardinal Mazarin; les comtes de Guiche et de Manicamp et l'abbé Le Camus, qu'on est bien étonné de trouver en telle compagnie, car c'est bien le même qui СКАЧАТЬ



<p>214</p>

BUSSY, Mém., t. II, p. 107 et 108 de l'édit. in-12, et t. II, p. 129 de l'édit. in-4o.

<p>215</p>

Ibid., Mém., t. II, p. 140 à 146, édit. in-12, et t. II, p. 171 à 177 de l'édit. in-4o.

<p>216</p>

BUSSY, t. I, p. 456, édit. in-12, et t. I, p. 561 de l'édit. in-4o.

<p>217</p>

SÉVIGNÉ (lettre de Bussy, 4 août 1657), t. I, p. 66, édit. G, t. I, p. 54, édit. M.

<p>218</p>

BUSSY, Mém., t. II, p. 109 de l'édit. in-12, ou t. II, p. 132 de l'édit. in-4o.

<p>219</p>

BUSSY, Mém., passage inédit inséré dans les notes sur SÉVIGNÉ, Lettres, édit. 1820, t. I, p. 141, et Lettres de SÉVIGNÉ, 29 juillet 1668, t. I, p. 133 et 134.—BUSSY, Mém., t. II, p. 157.

<p>220</p>

Voyez 1re partie, ch. XI, p. 149 et 150.