Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 2. Charles Athanase Walckenaer
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Читать онлайн книгу Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 2 - Charles Athanase Walckenaer страница 26

СКАЧАТЬ écervelés arrêtèrent en route un procureur nommé Chantereau; ils l'emmenèrent prisonnier, puis, après l'avoir enivré et s'en être divertis, ils le renvoyèrent. Ils se mirent ensuite à jouer gros jeu; puis après ils firent venir des violons. Le jour suivant, ou plutôt la nuit suivante, qui était celle du samedi au dimanche, ils firent ce qu'on appelait alors media noche, c'est-à-dire un repas au milieu de la nuit, afin de pouvoir s'enivrer et manger de la viande. Malgré les précautions qu'ils avaient prises, le bruit de leurs excès et de leurs débauches perça au dehors; tout ce qu'il y avait eu dans leurs actions de blâmable pour les bonnes mœurs, d'outrageant pour la religion, devint la matière de récits exagérés: le roi et la reine en furent informés, et Bussy et tous les auteurs de ces scènes scandaleuses furent exilés dans leurs terres222. Cette disgrâce ôtait à Bussy tous les moyens d'obtenir l'accomplissement des promesses d'avancement qui lui avaient été faites. La sévérité dont on usa envers lui dans cette circonstance lui parut excessive; elle l'aigrit contre Mazarin, contre la reine, contre Turenne, contre tout ce qui était puissant et favorisé par eux. Il exhala d'abord, à part lui à la vérité et en secret, sa malignité dans des satires, des chansons, des épigrammes dirigées contre les courtisans, les ministres et les généraux. Il en divertit sa maîtresse223. Comme elle prenait goût à ces dangereux exercices d'esprit, il composa, pour la satisfaire, le curieux et scandaleux volume qu'il intitula Histoire amoureuse des Gaules. Sous des noms déguisés et faciles à deviner, et sous la forme d'un roman écrit d'un style naturel et élégant, il y dévoila les intrigues, le libertinage et les turpitudes de plusieurs personnages de la cour. Comme il était alors au plus haut point de sa colère contre madame de Sévigné, il traça d'elle un portrait satirique. C'est ce portrait et un ou deux autres qui ont fait dire à Saint-Évremond, au sujet de cet ouvrage, «que son auteur avait dit du mal de certaines femmes dont il n'avait pas pu même inventer les désordres224».

      Bussy fit quelques lectures de son ouvrage à des personnes sur la discrétion desquelles il pouvait compter. Son secret lui fut gardé pendant quelque temps; mais, ainsi que nous le dirons plus amplement, il fut trahi par la jalousie d'une de ses maîtresses. Il avait eu la faiblesse de prêter son manuscrit pendant vingt-quatre heures. Contre la foi de la promesse qui lui avait été faite, on en fit une copie qui servit à en faire d'autres, qui circulèrent, et l'ouvrage fut imprimé en Hollande, sans nom d'auteur d'abord, puis peu après avec le nom de l'auteur, et donnant la connaissance de tous les personnages dont les noms étaient déguisés, au moyen d'un index ou clef qu'on avait ajoutée et imprimée à la fin. Ce ne fut pas tout: en recopiant et en réimprimant cet ouvrage, on y fit des additions, qui en augmentèrent le venin et le scandale, et dont Bussy n'était pas l'auteur. Un des interlocuteurs de cette espèce de roman historique y parlait d'un cantique qu'on avait chanté, sans dire quel était ce cantique et sans en rien citer. On en composa un avec des couplets dirigés contre le roi et les femmes de la cour, et on l'intercala dans cet endroit de l'ouvrage de Bussy. Cette addition fut faite peu de temps après les premières éditions: il y avait encore d'autres couplets, moins coupables, qu'on lui attribuait alors, et qu'il affirmait n'être point de lui225. Ses protestations, ses assertions, et les preuves dont il offrait de les appuyer, furent repoussées; il fut mis à la Bastille, et tomba dans une disgrâce complète.

      On verra par la suite de ces Mémoires que Bussy ne sut point supporter avec courage et dignité son infortune, ni profiter de l'intérêt que l'arbitraire dont il était victime attachait à sa disgrâce. Il flattait bassement ceux par lesquels il espérait remonter à la faveur, et il les déchirait en secret. Sa détention ne fut pas de longue durée; mais vingt années s'écoulèrent sans qu'il pût obtenir la permission de se montrer à la cour. Il y reparut enfin, mais humilié, mais sans charge, sans fonctions, sans crédit, sans considération, et confondu dans la foule des courtisans. Aussi rentra-t-il promptement dans sa retraite; il y termina ses jours, qu'abrégèrent de tristes débats de famille et un odieux procès. Saint-Évremond, qui le connut particulièrement, a dit de lui «qu'il n'aimait personne et parvint à n'être aimé de qui que ce soit». Cette dure assertion doit être au moins modifiée, puisqu'elle offre une exception dans madame de Sévigné. Cependant le commerce qu'elle renoua avec Bussy après leur rupture ne fut pas semblable à celui qu'elle entretenait avant cette époque: le souvenir de l'outrage qu'elle en avait reçu était pour son cœur une plaie que le temps ne put entièrement cicatriser. On s'aperçoit, en lisant les lettres qu'elle lui a adressées depuis leur réconciliation, qu'une sorte de crainte et de défiance se mêle à l'abandon auquel elle aurait voulu se livrer, et qu'elle se tenait toujours sur ses gardes. Cependant Bussy fut pour elle l'homme le plus aimable et le plus spirituel, celui avec lequel elle aimait le plus à s'entretenir. Elle le regardait comme injustement persécuté, et en butte à des ennemis inférieurs à lui en mérite; elle aurait voulu le voir heureux, et elle était vivement touchée des revers de sa fortune. Bussy, après s'être réconcilié avec sa cousine, lui rendit toute sa confiance, et sentit renaître toute son affection pour elle; il avait la plus haute estime pour ses vertus, la plus vive admiration pour son esprit, la plus forte inclination pour son caractère, égal, sensé, aimable, aimant et gai. Le repentir qu'il éprouvait de l'avoir offensée fut profond et durable; il le peint avec énergie dans un endroit de ses Mémoires qu'il écrivait pour lui-même et pour ses enfants, avec le dessein de ne jamais les publier de son vivant.

      «Un peu avant la campagne de 1658, je me brouillai avec madame de Sévigné. J'eus tort dans le sujet de ma brouillerie; mais le ressentiment que j'en eus fut le comble de mon injustice. Je ne saurais assez me condamner en cette rencontre, ni avoir assez de regrets d'avoir offensé la plus jolie femme de France, ma proche parente, que j'avais toujours fort aimée, et de l'amitié de laquelle je ne pouvais pas douter. C'est une tache de ma vie, que j'essayai véritablement de laver quand on arrêta le surintendant Fouquet.»

      Bussy a raison de se vanter de la conduite qu'il tint dans cette dernière circonstance. Elle fut noble et généreuse, mais ce n'est pas encore ici l'occasion de la faire connaître. Le but principal de cet ouvrage nous oblige à perdre quelque temps Bussy de vue; nous reviendrons à lui lorsqu'il aura cessé d'être brouillé avec madame de Sévigné. Nous allons continuer à suivre celle-ci dans le monde, où elle brillait alors avec plus d'éclat encore que par le passé, et où son esprit, les charmes de sa personne et les agréments de son commerce lui avaient acquis une véritable célébrité.

      CHAPITRE XII.

      1658-1659

      Ardeur pour les plaisirs pendant les deux années qui précédèrent le mariage de Louis.—Promenade au Cours.—Foire Saint-Germain.—Conduite de madame de Sévigné.—Le roi devient amoureux de Marie Mancini.—Le roi a une courte maladie, qui met ses jours en danger.—Sentiments divers des courtisans pendant cette maladie.—Affliction profonde de Marie de Mancini.—Le roi en est instruit, sa passion pour elle s'en augmente.—Anne d'Autriche veut la combattre.—Conduite douteuse de Mazarin à ce sujet.—L'issue des négociations pour le mariage de Louis XIV avec la princesse de Savoie est, par cette passion, rendue incertaine.—Ces négociations sont rompues par l'offre de l'Espagne de donner l'infante.—Anne d'Autriche, craignant le mariage de son fils avec Marie de Mancini, fait rédiger d'avance une protestation.—Le cardinal se détermine à envoyer sa nièce au Brouage.—On s'est trompé sur les intentions que l'on a supposées à Mazarin—Il entrait dans son plan d'inspirer des craintes à l'Espagne, de montrer que lui seul voulait la paix.—La violence de la passion du roi manqua de faire échouer ces combinaisons.—Grand caractère de Mazarin.—Obstacles qu'il a eu à vaincre pour parvenir à la paix et au mariage du roi.

      Le roi et son frère entraient tous deux dans cet âge où le cœur et les sens dominent trop la volonté pour qu'elle puisse se soumettre à la froide raison, et ne pas secouer le joug de ceux qui voudraient mettre un frein à des passions dont alors les jouissances sont si vives et les dangers si peu connus. Sans doute les mœurs СКАЧАТЬ



<p>222</p>

BUSSY, Mém., t. II, p. 153 et 155, édit. in-12.—Ibid., t. II, p. 179 de l'édit. in-4o.—BUSSY, Hist. amour. de France, 1710, p. 273.—Ibid., édit. 1754, t. I, p. 234.—MOTTEVILLE, t. XL, p. 6.

<p>223</p>

BUSSY, Mém., t. II, p. 162.

<p>224</p>

SAINT-ÉVREMOND, Œuvres, t. IX, p. 119.

<p>225</p>

Le fameux cantique Alleluia ne se trouve point dans les deux premières éditions de l'Histoire amoureuse des Gaules, imprimées à Liége, sans date. La première où il se rencontre, et où se trouve aussi le nom de BUSSY, est celle qui est intitulée Histoire amoureuse de France, par BUSSY-RABUTIN, 1660, petit in-12 de 237 pages. Conférez la 3e partie, ch. I, p. 3, et p. 447 et 448.