Название: Chronique de 1831 à 1862, Tome 4 (de 4)
Автор: Dorothée Dino
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Les nouvelles de Berlin ne sont pas bonnes; les crises ministérielles et parlementaires sont imminentes; la position de Manteuffel intolérable; Gerbach, l'aide de camp, donne sa démission; le comte de Stolberg est abreuvé de chagrin; le Prince de Prusse antinobiliaire; l'Impératrice de Russie inquiète, agitée, désolée; l'Empereur Nicolas qui, de Myslowitz à Cosel, a été tellement de glace que le Roi de Prusse a fait semblant de s'endormir parce qu'il n'y avait plus moyen d'y tenir; l'Empereur, dis-je, a dû arriver hier à Potsdam, et Nesselrode également. On s'attend à être, pendant les six jours que durera cette visite, dans l'eau bouillante. L'Empereur Nicolas a dit ici, au moment de son départ, à tout son entourage russe qu'il a rassemblé ad hoc: «Messieurs, je vous défends, sous peine de ma disgrâce, de mettre le pied dans cette infâme ville de Berlin, pendant mon séjour à Potsdam.» L'Empereur, qui souffre du foie, et qui a des vomissements de bile à chaque émotion désagréable, a dit ici à quelqu'un de qui je le tiens sans intermédiaire: «Vous verrez que mes vomissements me reprendront à Potsdam, et que j'y tomberai malade.» Ici sa disposition a été toute différente; il n'y a eu que tendresses et effusions paternelles entre le Czar et le jeune Empereur.
Sagan, 22 mai 1852.– Me voici rentrée dans mes foyers.
On me mande de Berlin que l'Empereur de Russie a concentré toutes ses tendresses fraternelles sur la Reine de Prusse, qui, du reste, les mérite parfaitement. Il paraîtrait, néanmoins, que les sollicitations et les palpitations ravivées de l'Impératrice ont obtenu que son auguste époux se rendit à Berlin pour des manœuvres, l'Opéra, et un grand dîner au Château.
Sagan, 26 mai 1852.– J'ai reçu une invitation officielle pour assister à l'ouverture du Palais de Cristal de Breslau, qui a lieu après-demain. Je voudrais pouvoir m'y rendre, afin d'y voir en lumière les industries saganaises, auxquelles on a accordé des places excellentes, dans l'idée de m'allécher. Le Roi et la Reine ne s'y rendront que le 9 ou le 10 du mois prochain, et coucheront probablement ici le 8.
Sagan, 30 mai 1852.– C'est le 8 juin que m'arrive le flot royal; le 9 on va à Breslau, dont je suis revenue hier, très satisfaite de ce qu'une province si peu en renom de civilisation ait produit de belles et bonnes choses; le tout arrangé de fort bon goût, avec intelligence et une sorte de grandeur, eu égard à notre position géographique, à nos rares débouchés et à la misère des temps.
Mon pauvre Cardinal est bien malade, il s'est réfugié à la campagne; il paraît que le coup que lui a porté l'animal furieux qui l'a terrassé l'automne dernier est la cause, longtemps cachée, de ses souffrances actuelles44.
L'Empereur de Russie a failli périr par un accident de chemin de fer entre Myslowitz et Varsovie. Le train a déraillé sur territoire russe; plusieurs personnes de la suite ont été blessées, mais l'Empereur est sain et sauf.
Le 26 au soir, à la fête donnée au Babelsberg pour l'anniversaire qu'on célébrait ce jour-là, un orage, une trombe d'eau, des éclairs furieux ont fondu sur tous les augustes promeneurs, tout au travers d'une course en voitures ouvertes; la foudre est tombée deux fois devant celle où se trouvait l'Impératrice, elle en a eu des défaillances; bref, on m'écrit que le tout a été ce qu'on peut imaginer de plus déplorable.
Sagan, 10 juin 1852.– Avant-hier, Leurs Majestés, accompagnées de Mme la Grande-Duchesse douairière de Mecklembourg-Schwerin, sont arrivées ici à deux heures de l'après-midi. J'avais été à leur rencontre. Après un peu de repos et une grande toilette, long dîner, conversation après le café, toilette de promenade, thé pris dans le haut du parc, sous une tente dressée exprès et fort ornée. Après quoi, longue tournée dans le parc, en totalité illuminé, mi-partie en ballons de couleurs, mi-partie en lampions brillants; chaque dix minutes des feux de Bengale colorés. Des bandes de musique sur l'eau dans des bateaux illuminés, des chants, des fusées; bref, c'était très beau, je dois en convenir. L'église de Sainte-Croix s'est produite dans une mer de feux rouges; le temps superbe, plus de huit mille personnes circulant librement partout, foule tranquille et respectueuse, et cependant faisant entendre de bons cris. Toute la caravane royale dans huit voitures à moi, parcourant au pas toute cette étendue. On est rentré souper au milieu des livres et des gravures; après quoi, toute la ville, les corporations diverses, bannières flottantes, transparents allégoriques, se sont placées sur la place du Château en Fakel-Zug45. Le Roi s'est fait présenter tous mes petits protégés du gymnase. La bonne humeur, la bonne grâce ont été parfaites. La Reine surtout, avant tout, par-dessus tout, d'une gaieté, bonté, abandon de conversation comme je ne me doutais pas qu'elle pût être.
Sagan, 16 juin 1852.– C'est le Prince de Hesse, ex-gendre de l'Empereur Nicolas, qui épouse la Princesse Anna de Prusse. Elle devra vivre à Cassel dans les plus désagréables relations de famille, avec un mari qui ne semble pas rassurant. Il doit hériter de l'Électorat, ce qui suffit à le rendre odieux à l'Électeur actuel qui est un très méchant homme. Il a négocié partout pour que ses enfants morganatiques fussent reconnus ses successeurs, mais partout il a échoué. L'avenir de la Princesse Anna fait naître bien des appréhensions; mais elle a beaucoup d'esprit, beaucoup de volonté, cela aide.
J'ai lu l'article de Cousin sur Mme de Longueville dans la Revue des Deux Mondes, et j'en ai été ravie. Il m'est venu à la pensée que des allures chrétiennes avaient échappé au voltairien46, tant il est vrai qu'il n'y a pas moyen de rester profane quand on touche au grand siècle. Aussi, je voudrais m'y plonger et délaisser toute autre lecture.
Günthersdorf, 18 juin 1852.– Humboldt m'a prêté un livre que j'ai lu hier: L'Orléanisme, c'est la révolution. On dit qu'il fait effet, et je le crois. Ce n'est pas qu'on ne puisse en partie le controverser, mais il y a des faits, des rapprochements, des résultats habilement et clairement établis, impossibles à nier. Puis il y a, à la suite, des pièces, lithographiées sur originaux, frappantes. Je regrette, pour la pauvre Reine Marie-Amélie, que l'amertume ne lui en soit pas épargnée.
Lœbichau, 30 juin 1852.– Je suis auprès de ma sœur. Elle est fort triste et moi très abattue; à nous deux, nous ne nous sommes pas importunes, parce que nous ne contrastons pas dans nos dispositions d'âme. Les mille et une souvenances d'enfance et de jeunesse ensevelies dans les tombeaux, et qui, ici, semblent nous faire appel, ne laissent pas que de mettre les cordes les plus sensibles en jeu. Ma sœur et moi nous nous sentons sur la pente rapide qui nous conduit là où reposent ceux qui remplissaient jadis brillamment des lieux devenus si solitaires. Les vieux serviteurs qui restent gardiens de ces déserts en font encore plus apercevoir le vide, ou, pour mieux dire, la vétusté.
Carlsbad, 4 juillet 1852.– Mme Alfred de Chabannes m'écrit de Versailles: «La position de Mme la Duchesse d'Orléans en Suisse deviendra affreuse. Ses beaux-frères négocient maintenant avec le Comte de Chambord, qui, dégoûté et blessé, demande des garanties. Les jeunes Princes ne consultent plus leur belle-sœur; elle sera forcée de les suivre plus tard, en attendant, elle se place dans un vrai guêpier. Le duc de Montpensier, arrivant d'Espagne, est le plus spirituel et le plus actif; il a fait changer les voies; c'est lui qui mène mère, et frères, et sœur; aussi Mme la Duchesse d'Orléans ne l'aime-t-elle guère.»
44
Mgr Diepenbrock, Prince-évêque de Breslau, mourut le 19 janvier 1853. Deux années auparavant, Son Éminence avait été poursuivie et attaquée, dans la montagne du Johannisberg, par une vache furieuse, excitée par la vue de la soutane rouge du Cardinal, qui ne se remit jamais de cet accident.
45
Cortège accompagné de torches enflammées.
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Victor Cousin, le père de l'éclectisme, après avoir erré plus de quarante ans sur tous les grands chemins de la pensée, sans dresser sa tente nulle part, finit par renoncer à la philosophie pour se donner à la littérature et à l'érudition, disant qu'après tout, la philosophie se réduisait à la morale. Or, d'après lui, la morale ne différait pas de la religion, et la religion, c'était le christianisme. Le voltairien s'était ainsi créé une religion intellectuelle, qui explique l'esprit de ses derniers ouvrages sur le dix-septième siècle.