Название: Voyages loin de ma chambre t.1
Автор: Dondel Du Faouëdic Noémie
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Ces ours, ce sont les armes vivantes de la ville, dont le nom en grec arctopolis veut dire la ville de l’ours. Puis nous avons vu le palais fédéral, beau bâtiment moderne, quoiqu’un peu bas, décoré à l’italienne; la belle vieille cathédrale, devenue temple protestant, la nouvelle église catholique, la porte de Morat, le beau pont de la Nydeck et la promenade de la Plate-Forme, d’où la vue est splendide. Près de l’hôtel des Boulangers, où nous sommes descendues, j’ai remarqué une horloge bizarre, où les douze heures sont représentées par douze ours, qui s’en vont frapper sur le timbre, après avoir respectueusement salué en passant N. S. J. C. qui est assis sur son trône. On sait que depuis longtemps les Suisses sont passés maîtres dans l’horlogerie.
M. de Fiwaz nous a fait de tendres adieux. Nous partons pour Thoune, sur le lac du même nom. C’est une ville curieuse, entièrement bâtie en amphithéâtre, au flanc d’une montagne, le lac lui-même est comme enchâssé dans des monts de différentes hauteurs, au-dessus desquels la Jung-Frau (jeune vierge), élève son front immaculé et tout étincelant de neiges éternelles. La Jung-Frau est à quatre mille trois cents mètres d’altitude, cinq cents mètres de moins que le Mont-Blanc, mais ascension plus pénible.
Beaucoup d’autres sommets sont également couronnés de neiges. Ils sont au second plan du lac, tandis qu’au premier se trouvent des montagnes moins hautes, couvertes de forêts inextricables.
De Thoune, nous traversons le lac en bateau à vapeur, pour arriver à Interlaken, charmant petit village tout encerclé de hautes montagnes, dont la Jung-Frau semble la reine. C’est sans doute un des sites les plus enchanteurs qui existent au monde. La légende en fait foi, en est-il une plus poétique que celle d’Interlaken?
«Lorsque le bon Dieu eût chassé nos premiers parents du paradis terrestre, il dit à ses anges: «Emportez loin, bien loin, ce lieu de délices qui n’a plus d’habitants.» Les anges, chargés de leur précieux fardeau, s’arrêtèrent quelques instants pour se reposer à l’abri de grandes montagnes. Ils étaient aux pieds de la Jung-Frau, et ils furent tellement frappés de sa radieuse majesté et des deux grands lacs qui s’étendaient devant elle, qu’ils ne purent s’empêcher d’abandonner un petit morceau de l’Eden dans le vallon compris entre les deux lacs, pour compléter la beauté de ce paysage merveilleux.
Comme on le voit, il n’y a qu’à venir à Interlaken pour retrouver le paradis perdu.
Oui, la Jung-Frau reste la reine incontestée de ces lieux, tous les environs ont été mis à contribution pour faire ressortir son éclat, et l’on peut dire que l’on trouve ici dans tout leur épanouissement, les magnificences tant vantées de la Suisse et de l’Oberland bernois.
A ce moment, il règne une grande animation, les hôtels sont pleins d’officiers français internés, on y rencontre aussi des officiers ennemis, nous avons dîné avec plusieurs Prussiens le jour de notre arrivée. Cela m’a serré le cœur et coupé net la parole et l’appétit.
Les hôtels sont aussi nombreux que superbes, d’une élégance, d’un luxe qui ne laissent rien à désirer. Les gigantesques noyers d’Interlaken sont réputés dans toute l’Europe; ils forment l’une des plus belles promenades qu’on puisse voir ainsi que le parc du Kurgarten, jardin du Kursaal; au fond se trouve le Kursaal, avec ses salles de bal, de concert, de lecture, ses terrasses et ses pavillons. Ce bâtiment en lui-même est simple, il est construit dans le style suisse, c’est-à-dire en bois, mais le jardin est délicieux; il est orné de plantes superbes, d’arbres et d’arbustes rares, un jet d’eau qui s’élève à quarante mètres, complète le décor. Il est réellement féerique le soir, lorsque son immense panache se drape à la lueur fantastique des feux du Bengale.
Le Rugen est aussi une promenade appréciée des touristes. Ce parc sylvestre, dont l’art n’a qu’en partie transformé l’état primitif, se compose d’une colline d’environ huit cents pieds de hauteur, entièrement couverte d’arbres magnifiques, qui répandent délicieusement l’ombre et la fraîcheur. Cette charmante colline, qui contraste si agréablement avec les pics effrayants et inaccessibles, dont quelques-uns s’élèvent jusqu’à onze mille pieds, est sillonnée en tous sens par des sentiers flexueux, bien tenus, garnis de blancs et bordés de balustrades, promenade reposante et non fatigante, comme il y en a tant en Suisse.
C’est au moment du renouveau, en mai et commencement de juin, qu’il faut surtout venir ici, alors les cascades et les chutes d’eau sont les plus belles; les épais feuillages, les tapis d’herbe tendre et les nouvelles fleurs sont aussi dans leur épanouissement.
«Il n’est pas donné à tout le monde d’aller à Corinthe,» s’écriaient les anciens avec dépit. A l’inverse des anciens, les modernes peuvent dire qu’il est donné à tout le monde d’aller en Suisse, tant on a multiplié les moyens de transport et de communication, facilité les excursions les plus pénibles, semé le confort et le bien-être sous les pas des voyageurs. Ceux-ci, séduits, charmés, cèdent à l’entraînement et ne s’arrêtent que lorsque leur curiosité est satisfaite, c’est-à-dire quand ils ont tout vu.
Je me suis donc hasardée à faire quelques excursions qui ne s’effaceront pas de ma mémoire. J’ai visité dans la vallée de la Simme, Weissembourg, climat salutaire s’il en fut et dont les bains sont principalement recommandés aux poitrines délicates; on n’y rencontre guère que des malades.
Plus riant est le village de Meiringen avec son église antique au clocher isolé, particularité qui ne se voit qu’en Suède, d’où la chronique fait descendre de ce pays les premiers habitants de Meiringen.
Je me suis enfin lancée dans les montagnes, c’est non loin d’Interlaken, à deux ou trois lieues seulement que se trouvent, au dire des guides, les sommets les plus sublimes des Alpes centrales; je ne m’y suis pas aventurée, mais on nous a persuadées de prendre des chevaux et de gravir à deux mille mètres au-dessus du sol, le pic de Mürren, d’où la vue s’étend sur toute la chaîne de montagnes, pics, aiguilles, flèches, pitons, sur toutes les vallées, sur toutes les gorges environnantes. C’est splendide, nous dit-on, et sur l’assurance que la route n’est pas dangereuse, nous nous laissons entraîner. Nous voilà donc parties, Georgette et moi, à cheval avec un guide.
Ah! mon Dieu, quelle ascension! et comment rendre la stupeur que j’ai éprouvée de nous voir escaladant de petits sentiers à pic, rendus presque impraticables par des éboulements et serpentant sans parapet aucun, à de petites hauteurs de mille, quinze cents, deux mille mètres. Georgette, bien emboîtée dans sa selle ne bronchait pas; moi je sentais le vertige m’envahir lorsque je mesurais de l'œil la profondeur des précipices que nous côtoyions. Je l’avoue humblement, je m’accrochais à ma selle tout en me disant: Il ne faudrait qu’un faux pas de mon cheval pour rouler dans l’abîme. Brrr! j’avais la chair de poule, je me sentais terrifiée par ce spectacle féerique mais effrayant. Parfois je fermais les yeux, m’abandonnant à la volonté de Dieu.
Quand je me suis vue embarquée dans cette épouvantable voie, j’aurais voulu revenir en arrière, mais il n’y fallait pas songer, ce chemin, à peine praticable pour la montée, est impossible à descendre, on revient à pied par l’autre versant.
Je n’essaierai pas de rendre les impressions multiples de cette escalade titanesque.
De СКАЧАТЬ