Voyages loin de ma chambre t.1. Dondel Du Faouëdic Noémie
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СКАЧАТЬ visité à Schaffhouse l’énorme et vieille forteresse près de laquelle se trouve le cimetière. En sortant, nous avons entendu des détonations; c’était les derniers honneurs que l’on rendait à l’un de nos pauvres soldats mort de la petite vérole à l’hôpital.

      Départ pour Strasbourg par le chemin de fer badois qui nous laisse en route de bonne heure et nous couchons à Waldshut, charmante ville, assise sur les bords du Rhin. Aujourd’hui dimanche, par un temps splendide, nous reprenons le chemin de fer qui côtoie le Rhin jusqu’à Bâle, il n’y a pour moi qu’une ombre, une ombre bien noire, au splendide tableau qui se déroule devant nous. C’est la vue de toutes ces gares enguirlandées de tous ces drapeaux aux couleurs prussiennes et badoises flottant au vent. Les campagnards débordaient sur le parcours avec des airs de fête. C’était une griserie de chants patriotiques, à l’occasion de la paix signée, une orgie de victoire qui me jetait des bouffées de rouge au front et de rage au cœur.

      Ah! comme tous ces chants résonnaient lugubrement à mes oreilles!

      Voici du reste la traduction des hurlements militaires d’outre-Rhin, qui se vocifèrent en ce moment dans toute l’Allemagne.

REFRAIN

      Les hussards chantent, la poudre gronde,

      Suivons tous nos généraux qui, pour nous,

      Ont déjà gagné mainte bataille.

      Frères, si nous n’avons pas un sou entrons en France, nous trouverons de l’argent là-bas.

      Frères, si nous n’avons pas de souliers, allons en France pieds nus; là-bas on trouve à se vêtir et à se chausser.

      Frères, si nous n’avons pas de vin à boire, il y en a en France, allons là-bas, nous défoncerons les tonneaux et viderons les bouteilles.

      Frères, ne craignez pas de tirer et de frapper toujours en avant, toujours contre la France et les Français!

      J’entendais ces chants avec une intensité de douleur que je ne puis rendre, j’avais les yeux pleins de larmes, et je suffoquais en pensant à ce qui se passait sur l’autre rive du Rhin. Quel contraste!

      Bâle, malgré ses monuments, son église du Munster, ses remparts imposants me semble une belle, grande, mais triste ville.

      Elle est cependant le grand entrepôt du commerce, entre la Suisse, la France et l’Allemagne.

      Jusqu’en 1833, Bâle a été la seule ville Suisse qui ait eu une université, elle avait été fondée dès 1459.

      C’est vers la même époque que Bâle vit le fameux concile qui menaça de tourner en schisme sous le pape Eugène IV.

      Plusieurs traités célèbres y ont été signés.

      Erasme y mourut.

      Le Musée renferme des toiles remarquables. Les chefs-d'œuvre de Hans Holbein m’ont vivement frappée, son christ particulièrement. C’est une admirable conception. L'âme se sent toute en pleurs, devant cette indicible figure, qui semble résumer toutes les douleurs. L'œil ouvert qui ne regarde plus, conserve le suprême et dernier éclat des visions funèbres. La blessure du côté est béante et profonde.

      Oh! oui, dans ce corps tourmenté, cette tête sanglante, le peintre s’est inspiré des réalités de la mort. C’est d’une vérité absolue, effrayante. Il manque seulement un peu d’idéal si l’on songe que ce n’est pas seulement un homme, mais Dieu même qui vient de mourir-là!

      C’est à Bâle que nous faisons nos adieux à la Suisse.

      Adieu, belle Helvétie, adieu pays grandiose aux aspects saisissants et variés, adieu montagnes vêtues de forêts et couronnées de glaciers, rochers découpés en figures fantasques, cascades et torrents dont les eaux se fondent en écume de neige, se brisent en flèche d’argent, s’étalent en nappe de cristal.

      Adieu et je répète avec le poète: Tout dans ce beau tableau sert à nous enchanter! J’ai presqu’envie d’ajouter que la seule ombre à ce merveilleux tableau c’est l’homme qu’ici la grandeur de la nature semble écraser.

      Oui adieu, Suisse hospitalière, Suisse généreuse, ce n’est pas sans émotion que je te quitte, terre bénie, qui t’es montrée si compatissante à nos pauvres soldats.

      C’est à Verrières dans une maisonnette que fut signée, entre le général Suisse Herzog et le général Clinchamp, le dernier général de l’armée de l’Est (oubliée par nos gouvernants lors de l’armistice) la Convention qui arrachait quatre-vingt-cinq mille Français aux mains de l’ennemi.

      L’armée de l’Est après avoir repoussé les Allemands à Villersexel, venait de perdre la bataille d’Héricourt. Elle fuyait… et je l’ai encore et je l’aurai toujours présente à l’esprit cette déroute épouvantable, où l’on voyait des cavaliers sans chevaux, des fantassins sans armes, des piétons sans souliers les pieds gelés, ulcérés, marchant par 16 degrés au-dessous de zéro avec de la neige jusqu’aux genoux. Oui, je la reverrai toujours cette armée en guenille, mourant de privations et de froid; combien, combien de ces malheureux ont succombé. Les Prussiens et les corbeaux étaient à leurs trousses, les uns pour les achever et les autres… pour les dévorer. Devant cet encombrement formidable, la Suisse qui n’y était point préparée s’élevant soudain à la hauteur de cette lourde tâche a montré le plus admirable dévouement.

      Les généraux ont choisi leur résidence, plus de deux mille officiers, en chiffres exacts deux mille cent dix officiers se sont fixés dans six grandes villes; les soldats ont été repartis dans cent soixante-quinze dépôts, et soumis au code militaire du pays, traités comme milice suisse, c’est-à-dire logés, nourris et payés à raison de vingt-trois centimes par jour et par homme.

      Un jour cent cinquante mille lettres sont tombées tout à coup venant de Mâcon. Quel travail pour remettre à chacun celles qui lui sont adressées. Mais les bons Suisses sont patients et l’on débrouille ce formidable courrier. Songe-t-on, disait un Suisse, à tout ce que peut contenir une lettre, cette feuille légère: parfois le cœur tout entier, parfois un pieux souvenir qui rend la vie; un secours urgent attendu avec angoisse et toujours au moins des nouvelles de la famille, des consolations, une bouffée de l’air du pays natal, une preuve qu’on n’est plus seul.

      Il est juste aussi de reconnaître que, pendant leur séjour de trois mois, nos soldats se sont montrés doux, honnêtes, reconnaissants.

      Le conseil fédéral a adressé au général Clinchant une lettre, «pour rendre hommage à la bonne conduite, qui n’a cessé de régner parmi les officiers et les soldats de l’armée de l’Est, pendant son internement en Suisse, ce qui a largement facilité la tâche du gouvernement fédéral et des gouvernements cantonaux.»

      Ce fut une fièvre de dévouement, un délire de sacrifice pour notre malheureuse armée. La Suisse avait besoin d’argent pour nourrir les internés et les troupes qui les gardaient; tous les Suisses, à l’étranger, ouvrent aussitôt leurs bourses et écrivent qu’ils sont prêts à revenir si on a besoin d’eux. La Suisse demande quinze millions, on lui en souscrit plus de cent (cent six millions cent vingt-six mille cinq cents francs); tous nos soldats valides, on les habille chaudement, on les nourrit abondamment, les malades reçoivent jour et nuit les soins les plus délicats et pour ceux qu’on ne peut guérir, on adoucit leurs derniers jours.

      Oui, la Suisse, en ces cruelles circonstances s’élevant jusqu’à l’héroïsme a mérité de l’humanité entière. Honneur et merci СКАЧАТЬ