Название: Les mystères du peuple, Tome IV
Автор: Эжен Сю
Издательство: Public Domain
Жанр: История
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–Chères filles, persévérez dans votre sainte horreur du sacrilège! – s'écria l'évêque, malgré les menaces de Ronan, – et vous irez en paradis entendre à perpétuité les Séraphins jouer du théorbe devant le Seigneur, en chantant ses louanges!
–Et moi, foi de Dent-de-Loup, je me ferais damner, rien que pour échapper à ces sempiternels théorbes!
–Tais-toi, païen! et vous, persévérez, mes filles! – s'écria Cautin d'une voix plus éclatante encore. – Cet ermite, suppôt du diable, vous pousse à une pillerie sacrilége, qui vous mène droit aux enfers…
–Mes Vagres, – dit Ronan, – une corde, et que l'on accroche ce bavard haut et court, puisque décidément il veut être pendu…
L'ermite arrêta d'un geste la colère des Vagres, et dit:
–Évêque, reconnais-tu comme divines les paroles de Jésus de Nazareth?
–Apostat! Pharaon! tu te dévoiles à cette heure! tu avais endossé la peau d'agneau… tu n'es qu'un loup ravisseur comme les autres… Je te défends de prononcer le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ!
–Jésus de Nazareth a dit ceci, – reprit l'ermite: «-Si l'on vous prend votre manteau, courez après celui qui vous l'a pris, et donnez-lui encore votre tunique.» – Que voulait dire Jésus par ces paroles? sinon que trop souvent le vol avait pour cause la misère, et que de cette misère il fallait avoir pitié?.. Abandonne donc volontairement ces biens superflus, toi qui as fait serment de pauvreté, de charité!
–Tais-toi, méchant ermite, qui oses contredire notre évêque. Nous ne pouvons toucher du doigt aux biens de l'Église, – s'écria une des trois vieilles; – nous serions damnées…
–Oui, oui, – reprirent les deux autres. – Tais-toi, ermite.
–Pauvres créatures! plongées à dessein dans l'ignorance et l'aveuglement, – leur dit Ronan. – Tenez-vous beaucoup à la vie de votre évêque?
–Pour lui nous souffririons mille morts! – répondirent les trois vieilles, – oui, mille morts!..
–Oh! pieuses femmes! – s'écria Cautin jubilant. – Quelle superbe part de paradis vous aurez… Aussi, en attendant le jour de la vie éternelle, je vous absous de tous vos péchés et vous bénis!
–O notre évêque, – reprirent les vieilles, se frappant la poitrine, – saint, trois fois saint parmi les saints!.. grâces te soient rendues!..
–Écoutez-moi, pauvres brebis, qui prenez le boucher pour le pasteur, – leur dit Ronan. – Si à l'instant vous ne profitez pas de ces dons, nous pendons, à vos yeux, votre évêque à cet arbre.
–Voici une corde, – dit Dent-de-Loup.
Et il la passa au cou de Cautin.
–Chères filles, emportez tout! prenez tout! – s'écria le prélat en se débattant. – Je vous adjure, je vous ordonne, moi, votre père en Christ, d'emporter ce butin sur l'heure!
Une des vieilles obéit promptement; les deux autres restèrent agenouillées en disant:
–Tu veux nous éprouver, grand évêque!
–Mais ces païens vont me pendre…
–Un saint homme comme toi ne craint pas le martyre.
–Non, mes filles, je ne le crains pas… mais je me sens encore indispensable au salut de mon troupeau… Emportez donc ce butin, vous dis-je, sinon je vous damne! je vous excommunie, maudites vieilles! vous répondrez de ma mort devant le Seigneur au jour du jugement!..
–Saint évêque, tu veux nous éprouver jusqu'à ta fin; tu nous a dit: Toucher aux biens de l'Église, c'est péché mortel… Voudrais-tu nous commander un péché mortel?
–Non, non, – reprit l'autre vieille en se frappant à grands coups la poitrine, – tu ne veux pas nous commander un péché mortel… c'est le martyre que tu veux…
–Et de là-haut tu nous béniras, Saint-Cautin, grand Saint-Cautin! glorieux martyr!
–Évêque, tu entends ces pauvres vieilles? tu as semé, tu récoltes… Allons, mes Vagres, haut la corde!
L'ermite s'interposait encore, afin de protéger le prélat, lorsque quelques Vagres, montés sur les chariots, et regardant au loin, s'écrièrent:
–Des leudes! des guerriers franks!..
–Ils sont sept ou huit à cheval, et conduisent plusieurs hommes garrottés, des esclaves sans doute… Allons, mes Vagres, mort aux leudes! liberté aux esclaves!..
–Mort aux leudes! liberté aux esclaves!.. – crièrent les Vagres en courant aux armes.
–Les Franks! ils vont me reprendre et me reconduire au burg du comte, – s'écria la petite Odille toute tremblante. – Ronan, ayez pitié de moi!
–Les leudes, te prendre, pauvre enfant! il n'en restera pas un seul pour t'emporter.
–Ronan, pas d'imprudence, – reprit l'ermite; – ces cavaliers peuvent être les éclaireurs d'une troupe plus nombreuse. Détache éclaireurs contre éclaireurs, et garde ici le gros de ta troupe, retranché derrière les chariots.
–Moine, tu as raison… Tu as donc fait la guerre?
–Un peu… de çà, de là, dans l'occasion, pour défendre les faibles contre les forts…
–Des guerriers franks! – s'écria Cautin en joignant les mains d'un air triomphant, – des amis! des alliés! je suis sauvé… À moi, chers frères en Christ! à moi, mes fils en Dieu!.. délivrez-moi des mains des Philistins! à moi, mes…
Ronan ayant soudain tiré la corde restée pendante au cou du saint homme, l'interrompit net en serrant le noeud coulant.
–Évêque, pas de cris inutiles, – dit l'ermite; – et toi, Ronan, pas de violence, je t'en prie… ôte cette corde du cou de cet homme.
–Soit; mais ce sera pour lui lier les mains, et s'il me rompt davantage les oreilles, je l'assomme…
–Les cavaliers franks s'arrêtent à la vue des chariots, – s'écria un Vagre; – ils semblent se consulter.
–Notre conseil à nous ne sera point long. Ces Franks sont sept à cheval, que six Vagres me suivent, et, foi de Ronan, il y aura tout à l'heure en Gaule sept conquérants de moins!
–Nous voilà six… marche.
Parmi les six Vagres était le Veneur… L'évêchesse, le voyant examiner la monture de sa hache, sauta du chariot à terre, et, l'oeil brillant, les narines gonflées, la joue en feu, retroussant la manche droite de sa robe de soie, elle mit ainsi à nu, jusqu'à l'épaule, son beau bras, aussi blanc que nerveux, et s'écria:
–Une СКАЧАТЬ