Название: Les mystères du peuple, Tome IV
Автор: Эжен Сю
Издательство: Public Domain
Жанр: История
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La troupe des Vagres arriva près de quelques huttes d'esclaves, dépendantes des terres de l'Église, situées au bord de la route: de petits enfants hâves, chétifs, et complétement nus, faute de vêtements, se traînaient dans la poudre du chemin; leurs pères travaillaient aux champs depuis l'aube; les mères, aussi maigres, aussi hâves que leurs enfants, à peine couvertes de quelques lambeaux de toile, étaient au seuil de ces tanières, filant leur quenouille au profit de l'évêque, accroupies sur une paille infecte; leurs longs cheveux hérissés, emmêlés, tombant sur leur front et sur leurs épaules osseuses; leurs yeux caves, leurs joues creuses et tannées, leurs haillons sordides, leur donnaient un aspect à la fois si repoussant, si douloureux, que l'ermite laboureur, les montrant de loin à l'évêque, lui dit:
–À voir ces infortunées, croirait-on que ce sont là des créatures de Dieu?
–Résignation, misère et douleur ici-bas, récompenses éternelles là-haut… sinon, peines effrayantes et éternelles, – s'écrie Cautin, – c'est la loi de l'Église, c'est la loi de Dieu!
–Tais-toi, blasphémateur, tu parles comme ces médecins imposteurs qui disent l'homme né pour la fièvre, la peste, les ulcères, et non pour la santé!
Les femmes et les enfants esclaves, à la vue de la troupe nombreuse et bien armée, avaient eu peur et s'étaient d'abord réfugiés au fond de leurs huttes, mais Ronan s'avançant cria:
–Pauvres femmes! pauvres enfants! ne craignez rien… nous sommes de bons Vagres!
La Vagrerie faisait trembler les Franks et les évêques, mais souvent les pauvres gens la bénissaient; aussi femmes et enfants, d'abord réfugiés, craintifs au fond des tanières, en sortirent, et l'une des esclaves dit à Ronan:
–Est-ce votre chemin que vous cherchez? nous vous servirons de guides.
–Craignez-vous les leudes des seigneurs? – dit une autre. – Il n'en est point passé par ici depuis longtemps; vous pouvez marcher tranquilles.
–Femmes, – reprit Ronan, – vos enfants sont nus; vous et vos maris, travaillant de l'aube au soir, vous êtes à peine couverts de haillons, vous couchez sur une paille pire que celle des porcheries, vous vivez de fèves pourries et d'eau saumâtre.
–Hélas! c'est la vérité… bien misérable est notre vie.
–Et moi, Ronan le Vagre, je vous dis: voilà du linge, des étoffes, des vêtements, des couvertures, des matelas, des sacs de blé, des outres pleines, des provisions de toute sorte. Donnez, mes Vagres… donne, petite Odille, à ces bonnes gens… donne, belle évêchesse en Vagrerie… donnez à ces pauvres femmes, à ces enfants… donnez encore, donnez toujours!
–Prenez… prenez, mes soeurs, – disait l'évêchesse les yeux pleins de douces larmes en aidant les Vagres à distribuer ce butin pris dans sa maison et qu'elle ne regrettait pas. – Prenez, mes soeurs! Esclave comme vous, plus que vous peut-être, j'ai, sous ces rideaux, rêvé d'amour et de liberté; libre et amoureuse, je suis aujourd'hui! prenez mes soeurs… prenez encore…
–Tenez… prenez, chères femmes, et que vos petits enfants ne vous soient jamais ravis! – disait Odille aidant aussi à distribuer le butin. Et elle essuyait ses yeux en disant: – Comme il est bon, Ronan le Vagre, comme il est bon au pauvre monde!
–Soyez bénis… soyez bénis, – s'écriaient ces pauvres créatures pleurant de joie; – vaut mieux rencontrer un Vagre qu'un comte ou qu'un évêque.
Et c'était plaisir de voir avec quelle ardeur ces hardis compagnons, perchés sur les chariots, distribuaient ainsi ce qu'ils avaient pris au méchant et cupide évêque; c'était plaisir de voir les figures toujours tristes, toujours mornes, de ces femmes infortunées, s'épanouir si surprises, si heureuses à la vue de cette aubaine inattendue. Elles regardaient ébahies, ravies, cet amoncellement d'objets de toutes sortes jusqu'alors presque inconnus à leur sauvage misère. Les enfants, plus impatients, s'attelaient gaiement deux, trois, quatre à un matelas pour le transporter dans une des masures, ou bien enlaçant leurs petits bras amaigris, s'opiniâtraient à soulever un gros rouleau d'étoffe de lin; mais voilà que soudain une voix courroucée, menaçante, véritable trouble-fête, épouvante et glace ces pauvres gens.
–Malheur à vous! damnation sur vous! si vous osez toucher d'une main sacrilége aux biens de l'Église… tremblez… tremblez! c'est péché mortel… vous, vos maris, vos enfants, vous serez plongés dans les flammes de l'enfer durant l'éternité…
C'était l'évêque Cautin accourant tout gâter malgré les remontrances de l'ermite laboureur.
–Oh! nous ne toucherons à rien de ce que l'on nous donne, notre évêque, – répondaient les femmes et les enfants contrits et frissonnant de tous leurs membres, – nous ne toucherons point, hélas! à ces biens de l'Église.
–Mes Vagres, – dit Ronan, – pendez-moi l'évêque… nous trouverons ailleurs un cuisinier…
Déjà l'on s'emparait du saint homme, alors plus pâle, plus tremblant que les plus pâles et les plus tremblantes des pauvres femmes naguère si joyeuses, lorsque le moine s'interposa et de nouveau délivra Cautin.
–L'ermite! – s'écrièrent les esclaves, – l'ermite laboureur…
–Béni sois-tu, l'ami des affligés…
–Béni sois-tu, notre ami à nous autres petits enfants qui t'aimons tant, car tu nous aimes…
Et toutes ces mains enfantines s'attachèrent à la robe de l'ermite, qui disait de sa voix douce et pénétrante:
–Chères femmes, chers petits enfants, prenez ce qu'on vous donne, prenez sans crainte… Jésus l'a dit: «Malheur au riche, s'il ne partage son pain avec qui a faim, son manteau avec qui a froid.» Votre évêque voulait vous éprouver: ces biens, il vous les donne…
–Béni sois-tu, saint évêque! – dirent les femmes en levant leurs mains reconnaissantes vers Cautin, – béni sois-tu, bon père, pour tes généreux dons!
–Je ne donne rien! – s'écria Cautin; – on me contraint, on me larronne, et vous brûlerez éternellement en enfer, si vous écoutez cet ermite apostat!..
La plupart des femmes regardèrent, indécises, Ronan, l'évêque et l'ermite; tour à tour elles approchaient et retiraient leurs mains de ces objets si précieux à leur misère; deux ou trois vieilles s'éloignèrent cependant tout à fait de ces biens de l'Église, et se jetèrent à genoux en murmurant dans leur effroi:
–Saint évêque Cautin! pardonne-nous d'avoir eu seulement la pensée d'un si grand péché…
–Ne craignez rien, mes soeurs, – reprit l'ermite, – votre évêque, encore une fois, vous éprouve. Ces biens superflus, il vous les donne en frère; il sait que le Seigneur, aimant également ses créatures, ne veut pas que celles-ci soient nues et frissonnantes… celles-là, suant sous le poids inutile de vingt habits… celles-ci, affamées… celles-là, repues… Ne redoutez pour votre évêque ni la faim ni le froid… voyez, sa robe est neuve, son chaperon aussi, ses souliers aussi; que lui faut-il davantage?.. À lui seul pourrait-il vêtir tous ces habits? à lui seul vider toutes ces outres de vin? à lui seul, manger toutes ces provisions?.. Non, non… prenez, mes soeurs, prenez, chers petits enfants… votre évêque partage avec vous…
–Ne СКАЧАТЬ