Le morne au diable. Эжен Сю
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Название: Le morne au diable

Автор: Эжен Сю

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ capitaine Daniel répondit d’un air sérieux qui ne pouvait pas être feint:

      – A notre arrivée à la Martinique, demandez au premier créole venu ce que c’est que la Barbe-Bleue, et que saint Jean, mon patron, me maudisse si on ne vous dit pas ce qu’on vient de vous dire à propos de cette femme et de ses trois amis, le flibustier, le boucanier et le Caraïbe!

      – Et de ses immenses richesses… m’en parlerait-on aussi? demanda le chevalier.

      – On vous dira que l’habitation qui dépend du Morne-au-Diable est une des plus belles du pays, et que la Barbe-Bleue possède un comptoir au Fort-Saint-Pierre, et que ce comptoir, tenu par un homme à elle, en expédie chaque année cinq ou six bâtiments comme celui que nous avons rencontré tout à l’heure.

      – Je vois ce que c’est alors, dit le chevalier d’un air railleur. La Barbe-Bleue est une femme blasée sur les richesses et sur les plaisirs de ce monde; pour se distraire elle est capable de boucaner, de flibuster, voire même de cannibaler, si le cœur lui en dit.

      – Si cela lui plaît, il y a toute apparence qu’elle ne se gêne guère, dit le capitaine.

      A ce moment le père Griffon monta sur le pont, Croustillac lui dit:

      – Mon père, je disais tout à l’heure à ces messieurs qu’on nous accuse, nous autres Gascons, de faire des bourdes, mais ce qu’on dit de la Barbe-Bleue est-il vrai?

      La figure du père Griffon, ordinairement placide ou joyeuse, se rembrunit tout d’un coup; et il répondit gravement à l’aventurier:

      – Mon fils, ne prononcez jamais le nom de cette femme.

      – Comment! mon père, il serait vrai? Elle remplacerait ses défunts maris par un flibustier… un boucanier… et un anthropophage…

      – Assez, assez, mon fils… je vous prie, ne parlons pas du Morne-au-Diable et de ce qui s’y passe.

      – Mais, mon père… cette femme est-elle aussi riche qu’on le dit? reprit le Gascon, dont les yeux brillaient de convoitise, a-t-elle d’immenses trésors? est-elle belle? est-elle jeune?

      – Que le ciel me préserve de m’en informer!

      – Est-il vrai que ses trois maris aient été tués par elle, mon père? Si cela est vrai… comment la justice a-t-elle laissé de pareils crimes impunis?

      – Il est des crimes qui peuvent échapper à la justice des hommes, mon fils, mais ils n’échappent jamais à la justice de Dieu. Je ne sais d’ailleurs si cette femme est aussi coupable qu’on le dit; mais encore une fois, mon fils, n’en parlons plus… je vous en conjure, dit le père Griffon que cet entretien affectait péniblement.

      Tout à coup le chevalier se campa fièrement sur sa hanche, enfonça son vieux feutre sur sa tête, caressa sa moustache, se dressa sur ses orteils comme un coq qui se prépare au combat, et s’écria avec une audace dont un Gascon était seul capable:

      – Messieurs, dites-moi le quantième de ce mois?

      – Le 13 juillet, lui répondit le capitaine.

      – Eh bien! messieurs, reprit l’aventurier, que je perde mon nom de Croustillac, que mon blason soit à jamais entaché de félonie, si dans un mois d’ici, jour pour jour, malgré tous les boucaniers, tous les flibustiers et tous les anthropophages de la Martinique et de l’univers, la Barbe-Bleue n’est pas la femme de Polyphème de Croustillac!

      Le soir, au moment où il allait se retirer dans l’entre-pont, l’aventurier fut pris en particulier par le père Griffon; celui-ci tâcha, par tous les moyens possibles, de pénétrer si le Gascon en savait plus qu’il ne paraissait savoir à l’endroit de la Barbe-Bleue. L’insistance extraordinaire avec laquelle Croustillac s’était occupé d’elle et des gens qui l’entouraient avait éveillé les soupçons du bon père.

      Après s’être entretenu longtemps à ce sujet avec le chevalier, le religieux fut à peu près certain que Croustillac n’avait parlé ainsi que par outrecuidance et par vanité.

      – Il n’importe, dit le père Griffon d’un air pensif en voyant le chevalier s’éloigner, je ne perdrai pas cet aventurier de vue… il a l’air fou et évaporé, mais les traîtres savent prendre tous les masques… Hélas! ajouta-t-il tristement, ce dernier voyage m’impose de grands devoirs envers ceux qui habitent le Morne-au-Diable. Maintenant leur secret est pour ainsi dire le mien… mais j’ai dû faire ce que j’ai fait, ma conscience le voulait… puissent-ils jouir longtemps encore du bonheur qu’ils méritent en échappant aux piéges qu’on leur tend… Ah! ce sont de dangereux ennemis que les rois… et on paye souvent bien cher le triste honneur d’être né sur les marches d’un trône… Hélas! reprit le bon père avec un profond soupir, pauvre et angélique femme… cela me navre d’entendre ainsi parler d’elle… mais il serait impolitique de la défendre… ces bruits font la sûreté des nobles créatures auxquelles je m’intéresse si vivement.

      Après de nouvelles réflexions, le père Griffon se dit:

      – J’avais un instant pris cet aventurier pour un secret émissaire de l’Angleterre, mais je me suis sans doute trompé… Malgré cela, je surveillerai cet homme… mais au fait, j’y songe, je lui offrirai l’hospitalité… de cette manière aucune de ses démarches ne m’échappera; en tout cas, je préviendrai mes amis du Morne-au-Diable de redoubler de prudence, car je ne sais pourquoi l’arrivée de ce Gascon m’inquiète.

      Nous devons nous hâter d’avertir le lecteur que les soupçons du père Griffon à l’égard de Croustillac n’étaient pas fondés, le chevalier n’était rien autre qu’un pauvre diable de chevalier d’industrie, tel que nous l’avons dépeint. L’excellente opinion qu’il avait de lui-même était la seule cause de son impertinente gageure: – d’être avant un mois l’époux de la Barbe-Bleue.

      CHAPITRE IV.

      LA MAISON CURIALE

      La Licorne était mouillée à la Martinique depuis trois jours.

      Le père Griffon, ayant quelques affaires à terminer avant que de retourner dans sa paroisse du Macouba, n’avait pas encore quitté le Fort-Saint-Pierre.

      Le chevalier de Croustillac se trouvait transplanté aux colonies avec trois écus dans sa poche. Le capitaine et les passagers avaient regardé comme une fanfaronnade l’engagement pris par l’aventurier d’être avant un mois l’époux de la Barbe-Bleue.

      Loin d’avoir abandonné ce projet, le chevalier y persistait de plus en plus depuis son arrivée à la Martinique; il avait pu s’informer des richesses de la Barbe-Bleue, et se convaincre que si l’existence de cette femme bizarre était entourée du plus profond mystère et le sujet des plus folles exagérations, il était du moins avéré qu’elle était colossalement riche.

      Quant à sa figure, à son âge, à son origine, comme personne n’était à cet égard aussi instruit que le père Griffon, on n’en pouvait rien dire. Elle était étrangère à la colonie. Son intendant l’avait précédée dans l’île pour acheter une plantation magnifique et faire bâtir l’habitation du Morne-au-Diable, située au nord et dans la partie la plus inaccessible et la plus déserte de la Martinique.

      Au bout de quelques mois, on apprit que le nouvel habitant et sa femme étaient arrivés; un ou deux colons, СКАЧАТЬ