Le morne au diable. Эжен Сю
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Le morne au diable - Эжен Сю страница 11

Название: Le morne au diable

Автор: Эжен Сю

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

Серия:

isbn:

isbn:

СКАЧАТЬ quel parfum?

      – On dirait des quatre épices, dit le chevalier en ouvrant ses larges narines.

      – Cela vient tout bonnement de ce que ces oiseaux sont très friands des baies du bois d’Inde qu’ils trouvent dans les forêts; ces baies ont à la fois le goût de la cannelle, du girofle et du poivre, et la chair du gibier participe de la senteur de ces aromates; et ce jus, comme il est moiré! Ajoutez-y un peu de suc d’orange, et vous me direz si le Seigneur ne comble pas ses créatures en leur faisant de tels dons.

      – De ma vie je n’ai rien mangé de plus tendre, de plus délicat, de plus gras, de plus savoureux, répondit le chevalier, la bouche pleine et en fermant à demi les yeux avec sensualité, s’écoutant, pour ainsi dire, manger.

      – N’est-ce pas? dit le bon père qui, son couteau et sa fourchette à la main, regardait son hôte avec une orgueilleuse satisfaction.

      Le repas terminé, Monsieur plaça un pot de tabac et des pipes à côté de la botterine de vin des Canaries; le père Griffon et Croustillac restèrent seuls.

      Après avoir versé un verre de vin au chevalier, le curé lui dit: – A votre santé, mon fils.

      – Merci, mon père, dit le chevalier en approchant son verre. Portez aussi la santé de ma future; cela sera pour moi de bon augure.

      – Comment, de votre future? reprit le curé, que voulez-vous dire?

      – Je parle de la Barbe-Bleue, mon père.

      – Ah! toujours cette joyeuseté! Franchement, je croyais les gens de votre pays plus inventifs, mon fils, dit le père Griffon en souriant avec malice, et il vida son verre à petits coups.

      – Je n’ai de ma vie parlé plus sérieusement, mon père. Vous avez entendu le serment que j’ai fait à bord de la Licorne.

      – L’impossibilité relève de tout serment, mon fils; parce que vous auriez juré de combler l’Océan, seriez-vous engagé par cette promesse?

      – Comment, mon père? le cœur de la Barbe-Bleue serait-il un abîme sans fond comme l’Océan? s’écria gaiement Croustillac.

      – Un poëte anglais a dit de la femme: «Perfide comme l’onde», mon fils.

      – Quant aux perfidies des femmes, mon digne hôte, dit le chevalier avec suffisance, nous savons les conjurer… et nous essaierons de nouveau notre puissance conjuratrice sur la Barbe-Bleue.

      – Vous ne le tenterez même pas, mon fils; je suis bien tranquille.

      – Permettez-moi de vous dire, mon père, que vous vous trompez. Demain, au point du jour, je vous demanderai un guide pour me conduire au Morne-au-Diable, et j’abandonnerai le reste de l’aventure à mon étoile.

      Le chevalier parlait avec un accent de conviction si sérieuse, que le père Griffon posa brusquement sur la table le verre qu’il allait porter à ses lèvres, et regarda le chevalier avec autant d’étonnement que de défiance.

      Jusqu’alors il avait réellement cru qu’il s’agissait d’une plaisanterie ou d’une fanfaronnade.

      – Comment, mon fils, vous avez sincèrement cette résolution! Mais c’est une folie, mais…

      – Pardonnez-moi, mon bon père, de vous interrompre, dit le chevalier; mais vous voyez devant vous un cadet de famille qui a tenté toutes les fortunes, épuisé toutes les ressources, et à qui rien n’a réussi. La Barbe-Bleue est riche, très riche, j’ai tout à gagner, rien à perdre.

      – Rien à perdre!

      – La vie? peut-être, direz-vous. D’abord j’en fais bon marché; et puis, si barbare que soit ce pays, si impuissante qu’y soit la justice, je ne puis croire que la Barbe-Bleue oserait me traiter, tout d’abord, comme un de ses trois maris; vous sauriez que j’ai été victime… et vous lui demanderiez compte de ma mort. Je ne risque donc rien que de voir mes hommages repoussés. Eh bien! s’il en est ainsi, si elle me repousse, je continuerai de faire les délices du capitaine Daniel dans ses traversées, en avalant des bougies allumées et en mettant des bouteilles en équilibre sur le bout de mon nez; certes, cette condition est honorable et récréative, mais je préférerais une autre existence. Ainsi donc, quoi que vous me disiez, mon père, je suis résolu à tenter l’aventure et à aller au Morne-au-Diable. Je ne sais quel pressentiment secret me dit que je réussirai, que je suis à la veille de voir ma destinée se résoudre de la manière la plus éblouissante… L’avenir me semble couleur de rose et or; je ne rêve que palais et magnificence, richesse et beauté: il me semble (pardonnez-moi cette comparaison païenne) que l’Amour et la Fortune viennent me prendre par les mains en me disant: – Polyphème Croustillac, le bonheur t’attend. Vous me direz peut-être, mon père, ajouta la chevalier en jetant un regard railleur sur son justaucorps fané, que je suis assez piètrement vêtu pour me produire en cette belle et galante compagnie de la fortune et du bonheur; mais la Barbe-Bleue, qui doit être connaisseuse, devinera tout de suite, sous cette enveloppe, le cœur d’un Amadis, l’esprit d’un Gascon et le courage d’un César.

      Après être resté un moment silencieux, le curé, au lieu de sourire des plaisanteries du chevalier, lui répondit d’un ton presque solennel:

      – Votre résolution est bien prise?

      – Invariablement et absolument prise, mon père.

      – Écoutez-moi donc; j’ai reçu la confession du chevalier de Crussol, le dernier gouverneur de cette île; celui qui, lors de la disparition du troisième mari de cette femme, s’était rendu seul au Morne-au-Diable.

      – Eh bien! mon père?

      – Tout en respectant le secret de sa confession, je puis, je dois vous dire que si vous persistez dans votre projet insensé, vous vous exposerez à de grands et d’inévitables périls. Sans doute, si vous perdiez la vie, votre mort ne demeurerait pas impunie; mais il n’y aurait aucun moyen de prévenir le sort fatal au-devant duquel vous voulez courir. Qui vous oblige à aller au Morne-au-Diable? L’habitante de ce séjour veut y vivre solitaire; les abords de cette demeure sont tels que vous ne pourriez les franchir sans violence; or, en tous pays, et surtout dans celui-ci, ceux qui violent la propriété d’autrui s’exposent à de grands dangers, dangers d’autant plus vains que toute tentative d’union avec cette veuve est impossible, lors même que vous seriez aussi riche que vous êtes pauvre, lors même que vous seriez d’une maison princière.

      Ces paroles révoltèrent l’incommensurable amour-propre du Gascon, et il s’écria:

      – Mon père, cette femme est femme… et je suis Croustillac!

      – Qu’est-ce que cela veut dire, mon fils?

      – Que cette femme est libre, qu’elle ne m’a pas vu… et qu’un regard… un seul regard peut changer complétement ses résolutions.

      – Je ne le pense pas.

      – Mon révérend, j’ai la plus grande, la plus aveugle confiance dans votre parole; je sais toute son autorité… mais il s’agit du beau sexe… et vous ne pouvez connaître le cœur des femmes comme je le connais; vous ne savez pas de quels inexplicables caprices elles sont capables; vous ne savez pas que ce qui leur plaît aujourd’hui leur déplaît demain, et qu’elles veulent aujourd’hui ce qu’elles ne voulaient pas hier… Les femmes, mon révérend, СКАЧАТЬ