Le morne au diable. Эжен Сю
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Название: Le morne au diable

Автор: Эжен Сю

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ style="font-size:15px;">      La position du capitaine devenait embarrassante, car le père Griffon ne put s’empêcher de dire quelques mots en faveur de l’aventurier qui se mettait si brusquement sous sa protection, et qui promettait de révéler sous le sceau de la confession le secret de son séjour à bord de la Licorne.

      La colère du capitaine se calma un peu; le chevalier, d’abord flatteur, insinuant, devint jovial, plaisant, bouffon: il fit, pour amuser les convives, toutes sortes de tours d’adresse; il mit des couteaux en équilibre sur le bout de son nez, il construisit des pyramides de verres et de bouteilles avec une habileté surprenante, il chanta de nouveaux noëls, il imita le cri de différents animaux.

      Enfin, Croustillac sut tellement divertir le capitaine de la Licorne, assez peu difficile d’ailleurs sur le choix de ses amusements, qu’à la fin du souper il dit au Gascon en lui frappant sur l’épaule:

      – Allons, chevalier, après tout, vous voici à mon bord; il n’y a pas moyen de faire que vous n’y soyez pas; vous êtes un gai compagnon, il y aura toujours pour vous un couvert à ma table, et on trouvera bien à vous accrocher un hamac dans quelque coin du faux-pont.

      Le chevalier se confondit en remercîments et en protestation de reconnaissance, se rendit au gîte qu’on lui avait assigné, et s’endormit bientôt d’un profond sommeil, parfaitement rassuré sur sa condition pendant la traversée, quoiqu’un peu humilié d’avoir été obligé de souffrir les menaces du capitaine et d’être descendu jusqu’aux complaisances pour s’assurer de la bienveillance de maître Daniel, qu’il traita mentalement de bête brute et d’ours marin.

      Le chevalier voyait dans les colonies un véritable Eldorado. Il avait tellement entendu vanter la magnifique hospitalité des colons, trop heureux, disait-on, de retenir des mois entiers les Européens qui venaient les voir, qu’il avait fait ce raisonnement statistique fort simple:

      «Il y a environ cinquante ou soixante riches habitations à la Martinique et à la Guadeloupe; leurs propriétaires, qui s’ennuient comme des morts, sont ravis de pouvoir garder auprès d’eux des gens d’esprit, de joyeuse humeur et de ressources; je suis essentiellement de ces gens-là; je n’aurai donc qu’à paraître pour être choyé, fêté, adoré; en admettant que j’accorde six mois à chaque habitation l’une dans l’autre, elles sont au nombre de soixante environ, cela me fait donc une moyenne de vingt-cinq à trente ans de joyeuse et excellente vie parfaitement assurée, et encore je ne parle que de la chance la moins favorable. Je suis dans la pleine maturité de mes agréments; je suis aimable, je suis spirituel, j’ai toutes sortes de talents de société; comment croire que les opulentes héritières des colonies seront assez aveugles, assez stupides pour ne pas profiter de mon occasion, et s’assurer ainsi du plus charmant mari que jeune fille ou veuve agaçante ait jamais rêvé dans ses nuits d’insomnie?»

      Telles étaient les espérances du chevalier; on verra si elles furent déçues..

      Le lendemain matin, Croustillac tint sa promesse et se confessa au père Griffon.

      Quoique assez véridiques, ses aveux n’apprirent rien de bien nouveau au révérend sur la position de son pénitent, qu’il avait à peu près devinée; tel fut à peu près le résumé de la confession du chevalier:

      Il avait dissipé son patrimoine et tué un homme en duel; poursuivi par les lois, se trouvant sans ressources, il avait pris le parti désespéré d’aller chercher fortune aux îles; ne possédant pas de quoi payer son passage, il avait eu recours à la compassion du tonnelier qui l’avait introduit et caché à bord dans une barrique vide.

      Cette apparente sincérité rendit le père Griffon assez favorable à l’aventurier; mais il ne lui dissimula pas que l’espoir de trouver la fortune aux colonies était un leurre; il faut y arriver avec des capitaux assez considérables pour y former le plus mince établissement; le climat était meurtrier, les habitants se défiaient généralement des étrangers, et les traditions de généreuse hospitalité laissées par les premiers colons étaient complétement oubliées, autant par l’égoïsme des habitants que par la gêne où ils se trouvaient par suite de la guerre avec l’Angleterre qui portait une grave atteinte à leurs intérêts.

      En un mot, le père Griffon conseillait au chevalier d’accepter l’offre du capitaine, qui lui avait proposé de le ramener à La Rochelle après avoir touché à la Martinique.

      Selon le religieux, Croustillac devait trouver en France mille ressources qu’il ne pouvait espérer de rencontrer dans ce pays à demi-barbare, la condition des Européens étant telle aux colonies que jamais, par égard pour leur dignité de blancs, ils n’occupaient d’emplois trop subalternes.

      Le père Griffon ignorait que son pénitent avait tellement exploité les ressources de la France, qu’il s’était vu forcé de s’expatrier. Dans certaines circonstances, personne n’était d’ailleurs plus facile à abuser que le bon religieux; sa pitié pour le malheur nuisait à sa pénétration habituelle.

      La vie passée du chevalier de Croustillac ne lui paraissait pas d’une blancheur immaculée; mais cet homme était si insouciant de sa détresse, si indifférent de l’avenir qui le menaçait, que le père Griffon finit par prendre à cet aventurier plus d’intérêt peut-être qu’il n’en méritait et qu’il lui proposa de l’héberger dans sa maison curiale de Macouba, tant que la Licorne resterait à la Martinique; offre que Croustillac se garda bien de refuser.

      Le temps se passait: maître Daniel ne cessait d’admirer les talents prodigieux du chevalier, chez lequel il découvrait chaque jour de nouveaux trésors de prestidigitation.

      Croustillac avait fini par mettre dans sa bouche des bouts de bougie allumée, et par avaler des fourchettes. Ce dernier trait avait porté l’engouement du capitaine jusqu’à l’enthousiasme; il avait formellement offert au Gascon une place à vie à son bord, pourvu qu’il lui promît de charmer toujours aussi agréablement les loisirs de la navigation de la Licorne.

      Nous dirons enfin, pour expliquer les succès de Croustillac, qu’à la mer les heures semblent bien longues, que les moindres distractions sont précieuses, et que l’on est alors bien aise d’avoir toujours à ses ordres une espèce de bouffon d’une bonne humeur imperturbable.

      Quant au chevalier, il cachait sous ce masque riant et insoucieux une triste préoccupation; le terme de la traversée s’approchait; le langage du père Griffon avait été trop sensé, trop sincère, trop juste pour ne pas vivement impressionner notre aventurier, qui avait compté mener joyeuse vie aux dépens des colons. La froideur que lui témoignèrent plusieurs habitants qui, se trouvant au nombre des passagers, retournaient à la Martinique, acheva de ruiner ses espérances. Malgré les talents qu’il développait et dont ils s’amusaient, nul de ces colons ne fit la plus légère avance au chevalier, quoiqu’il répétât sans cesse qu’il serait ravi de faire dans l’intérieur de l’île une longue exploration.

      Le terme du voyage arrivait, les dernières illusions de Croustillac étaient détruites; il se voyait réduit à la déplorable alternative de naviguer à tout jamais avec le capitaine Daniel, ou de revenir en France affronter les rigueurs des gens du roi.

      Le hasard vint tout à coup offrir à l’esprit du chevalier le plus éblouissant mirage et éveiller en lui les plus folles espérances.

      La Licorne n’était plus qu’à deux cents lieues environ de la Martinique, lorsqu’elle rencontra un bâtiment de commerce français venant de cette île et faisant voile pour la France.

      Ce bâtiment mit en panne et envoya un canot à bord de СКАЧАТЬ