Название: Le morne au diable
Автор: Эжен Сю
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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– Cela serait plus sûr, colonel, à moins que votre homme n’appelât à son secours un des consolateurs de la Barbe-Bleue!..
– Sois donc tranquille… pourvu qu’avec ton aide je puisse mettre la main sur lui, alors, fût-il entouré de cent personnes armées jusqu’aux dents, il est à moi, j’ai un moyen sûr de le forcer à m’obéir… Ceci me regarde… Tout ce que je te demande, c’est de me conduire dans un endroit d’où je puisse sauter sur lui à l’improviste…
– C’est convenu, colonel…
– Alors, marchons… dit Rutler en se levant.
– A vos ordres, colonel, seulement au lieu de marchons… c’est rampons qu’il faut dire. Mais voyons donc, ajouta John en se baissant, si l’on aperçoit toujours la lumière du jour. Oui, oui… la voilà, mais comme ça paraît loin. A propos, colonel, si depuis que je suis venu ici le conduit avait été bouché par un éboulement, nous ferions, à l’heure qu’il est, une singulière figure! condamnés à rester ici et à mourir de faim… à moins de nous dévorer mutuellement… Impossible de sortir par le gouffre, vu qu’on ne peut pas remonter une chute d’eau comme une truite remonte une cascade…
– C’est vrai, dit Rutler en frémissant, tu m’épouvantes: heureusement il n’en est rien; tu as toujours le sac?
– Oui, oui, colonel; les courroies sont solides, et la peau de lamentin imperméable; nous trouverons là-dedans nos poignards, nos pistolets et notre cartouchière aussi secs que s’ils sortaient d’un râtelier d’armes.
– Allons… John, en route, passe le premier, dit le colonel, il nous faut le temps de faire sécher nos habits.
– Cela ne sera pas long, colonel… une fois au fond du précipice, nous serons comme dans un four; le soleil y donne en plein.
John, se mettant à plat ventre, commença à se glisser dans un passage si étroit, qu’il put à peine s’y introduire.
Les ténèbres y étaient profondes… au loin seulement on distinguait une pâle lueur.
Le colonel suivit John en se traînant sur un sol humide et fangeux..
Pendant quelque temps, les deux Anglais s’avancèrent ainsi, rampant sur les genoux, sur les mains et sur le ventre, dans l’obscurité la plus complète.
Tout à coup John s’arrêta brusquement, et s’écria d’une voix altérée par l’épouvante:
– Colonel…
– Que veux-tu?
– Ne sentez-vous pas une odeur forte?
– Oui, cette odeur est fétide.
– Ne bougez pas… c’est un serpent… fer-de-lance! Nous sommes perdus…
– Un serpent? s’écria le colonel avec effroi.
– Nous sommes morts… Je n’ose pas avancer… l’odeur devient de plus en plus forte, murmura John.
– Tais-toi… Écoute…
Dans une mortelle angoisse, les deux hommes retinrent leur respiration.
Tout à coup, à quelques pas, ils entendirent un bruit continu, précipité, comme si l’on eût battu le sol humide avec un fléau.
L’odeur nauséabonde et subtile que répandent les gros serpents devint de plus en plus pénétrante…
– Le serpent est en fureur, il s’est lové; c’est de sa queue qu’il bat ainsi la terre, dit John d’une voix affaiblie. – Colonel… recommandons notre âme à Dieu…
– Il faut crier pour l’effrayer, dit Rutler.
– Non, non, il se jettera tout de suite sur nous, dit John.
Les deux hommes restèrent quelques moments dans une horrible attente.
Ils ne pouvaient ni se retourner ni changer de position; leur poitrine touchait au sol, leur dos touchait au roc… Ils n’osaient faire un mouvement de recul dans la crainte d’attirer le reptile à leur poursuite.
L’air, de plus en plus imprégné de l’odeur infecte du serpent, devenait suffocant.
– Ne trouves-tu pas sous ta main une pierre pour la lui jeter? dit tout bas le colonel.
A peine avait-il dit ces mots que John poussa des cris terribles et se débattit avec violence en s’écriant:
– A moi! à moi! je suis mort…
Éperdu de terreur, Rutler voulut se redresser, mais il se frappa violemment le crâne aux parois de l’étroit passage.
Alors, rampant en arrière aussi rapidement qu’il le put à l’aide de ses genoux et de ses mains, il tâcha de fuir à reculons pendant que John, aux prises avec le serpent, poussait des hurlements de douleur et d’épouvante.
Tout à coup ses cris devinrent sourds: inarticulés, gutturaux, comme si le marin eût été étouffé.
En effet, le serpent, furieux, après avoir, dans l’obscurité, mordu John aux mains, à la gorge, au visage, essayait d’introduire sa tête plate et visqueuse dans la bouche entr’ouverte de ce malheureux, et le mordait aux lèvres et à la langue; et cette dernière blessure l’acheva.
Le serpent, avant assouvi sa rage, dénoua rapidement ses horribles nœuds et prit la fuite.
Le colonel sentit un corps flasque et glacé effleurer sa joue; il se tint immobile.
Le serpent glissa rapidement le long des parois du conduit souterrain et s’échappa.
Ce danger passé, le colonel resta quelques moments pétrifié de terreur; il écoutait les derniers râlements de John; son agonie fut rapide.
Rutler l’entendit faire quelques soubresauts convulsifs, et ce fut tout.
Son compagnon était mort…
Alors Rutler s’avança vers John, et le saisit par la jambe…
Cette jambe était déjà roide et froide, tant le venin du serpent fer-de-lance est rapide.
Un nouveau sujet d’effroi vint assaillir le colonel.
Le reptile, ne trouvant pas d’issue dans la caverne, pouvait revenir par le même chemin; Rutler croyait déjà entendre un léger frôlement derrière lui; il ne pouvait fuir en avant, le corps de John bouchait complétement le passage; fuir en arrière c’était s’exposer à rencontrer le serpent.
Pourtant, dans son épouvante, le colonel saisit le cadavre par les deux jambes, afin de l’entraîner jusqu’à l’entrée du conduit souterrain et de déblayer ainsi la seule issue par laquelle il pût sortir de cette caverne.
Ses efforts furent vains.
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