Nouvelles Asiatiques. Gobineau Arthur
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Название: Nouvelles Asiatiques

Автор: Gobineau Arthur

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ ravissait en extase d'innombrables admirateurs, elle sortit de la chambre, son tjibouk d'une main et son chapelet de l'autre. Elle passa, sans s'y arrêter, devant chaque porte des cellules habitées par plusieurs de ses élèves, et elle ouvrit, enfin, celle d'Omm-Djéhâne. Elle entra.

      L'appartement était petit, étroit. Il n'y avait, dans un angle, qu'un sopha très court. Pas de gravures européennes; aucune espèce de luxe nulle part; pas de tjibouk; Omm-Djéhâne ne fumait pas; aucun verre, aucune bouteille; elle ne buvait pas; non, rien, pas même un pot de rouge ni de blanc de céruse, elle ne se fardait pas, ce qui était inouï chez une personne de la ville, et les personnes qui lui voulaient le plus de bien citaient cette bizarrerie comme un des traits les plus regrettables de son caractère.

      Lorsque sa maîtresse entra, la jeune danseuse était assise, la joue appuyée sur sa main gauche, le coude sur un coussin. Elle regardait droit devant elle, livrée à une abnégation absolue de sa pensée et de ses sens. Elle était vêtue d'une robe étroite de soie cramoisie à raies jaunes parsemées de fleurs bleues; un mouchoir de gaze rouge, brodé d'or, était entortillé dans ses cheveux noirs; elle portait au cou un collier d'or émaillé, et aux oreilles ainsi qu'aux bras des ornements de même matière.

      Grégoire Ivanitch avait raison: Omm-Djéhâne n'était pas ce qui s'appelle jolie. Cependant il en avait été touché et préoccupé, et cela s'expliquait. Une séduction puissante s'exhalait de cette jeune fille. A vouloir en détailler les causes, on ne les retrouvait pas; cependant on ne cessait pas d'en sentir l'action. C'était une de ces créatures qui entraînent, qui enivrent, qui ensorcellent, et qui ne vous disent ni pourquoi, ni comment. En vérité, un critique froid n'eût trouvé qu'un seul adjectif à lui appliquer. Il eût dit d'elle: Elle est étrange; mais aucun critique n'eût pu rester froid en sa présence.

      – Mon âme, dit les Splendeurs de la Beauté, en s'asseyant à côté de sa pensionnaire, écoutez-moi bien, il s'agit d'un grand mystère.

      Là-dessus, quand elle vit les yeux d'Omm-Djéhâne attachés sur les siens, elle lui raconta, d'un bout à l'autre, la conversation qu'elle venait d'avoir avec Grégoire Ivanitch.

      Aux nombreuses précautions oratoires qu'elle employa, aux phrases séduisantes intercalées dans son récit, à l'accent mielleux et caressant donné à toutes ses paroles, à ses réticences, à ses nombreux serments, il était clair que la maîtresse danseuse ne s'attendait pas à convertir aisément la jeune lesghy. Aussi fut-elle agréablement surprise, quand, après un moment de réflexion assez court, celle-ci lui fit une réponse encourageante et qu'elle n'avait pas prévue.

      – Comment, dit-elle, serais-je sûre que ce Grégoire Ivanitch et les autres ne me tendent pas un piège?

      – Tu serais donc disposée, fleur de mon âme, à accepter le Kaïmakam pour mari?

      – Tout de suite, mais je neveux pas être trompée. Elle dit ces mots rudement; ses yeux qui, déjà, n'étaient pas naturellement à fleur de tête, mais un peu tragiquement enfoncés sous un frontbombé, semblèrent se creuser davantage, et toute l'expression de son visage fut si parlante, que les Splendeurs de la Beauté répondit avec conviction:

      – Comment veux-tu que l'on s'y joue? On aurait, je crois, fort à faire.

      Omm-Djéhâne ne répondit rien. Elle attacha son regard sur le plancher et tomba dans la rêverie. Sa maîtresse, saisie d'une docilité si merveilleuse, lui passa le bras autour du cou et allait l'embrasser, quand la petite servante sale entra.

      – Madame, dit-elle, le seigneur maître de police vous envoie dire qu'il faut venir ce soir chez le gouverneur avec Djemylèh et Talhemèh pour danser.

      – Est-ce qu'il y a une fête?

      – Il y a des hôtes étrangers.

      – Des officiers?

      – Des officiers. C'est son domestique qui me l'a dit Mais il y aura aussi des Musulmans, Aga-Khan et Shems-Eddyn-Bey.

      – Sais-tu si Grégoire Ivanitch y sera?

      – Je ne sais pas; mais le seigneur maître de police dit qu'il faudra mettre vos plus beaux habits; vous aurez de grands cadeaux.

      La petite souillon sortit.

      – De grands cadeaux, de grands cadeaux! c'est facile à dire, murmura les Splendeurs de la Beauté; on ne manque jamais de m'en promettre autant chaque fois, et, si j'y croyais, je mourrais de faim. Enfin, on ira, c'est clair. Comment s'en empêcher? Pour toi, mes yeux, puisque te voilà comme mariée à un Kaïmakam, tu n'as pas besoin d'amuser ces chiens, et tu peux rester ici, si cela t'arrange.

      – Cela ne m'arrange pas du tout; j'irai au contraire avec vous et les autres chez le gouverneur. Voyez! je viens de faire trois fois de suite l'istikharêh pendant que vous parliez à Dourr-al-Zemân (la Perle du Temps, c'était le nom authentique de la jeune maritorne), et trois fois j'ai eu le même nombre de grains.

      Elle montrait son chapelet qu'elle serrait des deux mains; elle balbutia entre ses dents un bout de prière et se leva. Les Splendeurs de la Beauté ne trouva absolument rien à répliquer à un argument aussi fort que celui d'une décision de l'istikharêh, et comme elle venait de se donner des fatigues inusitées, elle rentra dans sa chambre pour dormir jusqu'à l'heure de sa toilette, laissant Omm-Djéhâne réfléchir, s'il lui plairait, à la nouvelle aventure, où la vie déjà si agitée de cette dernière semblait se trouver entraînée.

      Il était parfaitement exact que le gouverneur de Shamakha avait l'intention de se mettre en frais. Il donnait à dîner à deux officiers voyageurs en route pour Bakou, le lieutenant Assanoff et le cornette Moreno, et, à cette occasion, il avait invité les officiers du bataillon d'infanterie en garnison dans la ville et son ami de cœur, le maître de police.

      Assanoff et Don Juan, pour être arrivés plus tard que l'Ennemi de l'Esprit, étaient arrivés pourtant, un peu fatigués, un peu ennuyés du voyage, mais d'autant plus heureux de se trouver près du but, car Shamakha n'est pas loin de Bakou. Ils étaient à peine restés quelques heures à Tiflis. L'autorité supérieure les avait engagés à rejoindre sans retard leurs corps respectifs, attendu qu'il était question de mouvements sérieux dans le Daghestan. C'était une perspective consolante pour Moreno. A mesure qu'il s'éloignait de l'Espagne et de la femme qu'il aimait, le découragement des premières heures se transformait en une résignation maladive, qui lui détruisait le prix de la vie. Il sentait que son existence antérieure était finie, et il n'éprouvait aucun désir d'en ressaisir une nouvelle. Hérodote raconte qu'en Égypte, autrefois, l'armée se trouvant mécontente des façons d'agir du souverain, les hommes de la caste guerrière prirent leurs armes, formèrent leurs bandes et s'en allèrent gagnant la frontière. Les serviteurs du monarque abandonné coururent, sur son ordre, après eux et leur dirent: «Que faites-vous? Vous abandonnez vos familles? Vous perdez de gaîté de cœur vos maisons et ce que vous possédez de biens?» – Ils répondirent fièrement: «Des biens? Avec ce que nous avons au poing, nous tâcherons d'en conquérir de meilleurs! Des maisons? On en bâtit. Des femmes? Il en existe dans tout l'univers, et de celles que nous rencontrerons, nous aurons d'autres fils!» Puis, sur cette réponse, ils partirent sans que rien pût les arrêter.

      Moreno n'était pas un de ces rudes manieurs d'épée, dont l'espèce ne se rencontre guère dans les temps actuels. Soit résultat des mœurs, soit délicatesse et faiblesse plus grande de l'imagination et du cœur, il existe peu d'hommes aujourd'hui, dont le bonheur et la force vitale ne résident en dehors d'eux-mêmes, dans un autre être ou dans une chose. Presque chacun ressemble à l'embryon: il reçoit ce qui le fait vivre d'un foyer de vie qui n'est pas le sien, et, si on l'en sépare mal à propos, il est douteux, sinon impossible, qu'il СКАЧАТЬ