Nouvelles Asiatiques. Gobineau Arthur
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Название: Nouvelles Asiatiques

Автор: Gobineau Arthur

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ mettait à l'abri des rayons du soleil, assis ou couchés, au milieu de leurs caisses, fumant, causant, dormant ou se taisant et s'avançant avec la plus majestueuse lenteur, tandis que deux de leurs mariniers poussaient avec des gaffes, et que les deux autres, la cordelle sur l'épaule, tiraient de leur mieux, en marchant courbés sur la berge et à pas comptés.

      On ne peut pas dire que la forêt commence seulement au sortir de Poti. Poti est comme absorbé dans la forêt; mais, quand on laisse derrière soi l'enceinte carrée en pierres flanquée détours où les musulmans parquaient jadis les esclaves, dont ce lieu était l'entrepôt principal au Caucase, on n'y voit plus d'habitations, et on peut se croire dans des lieux que les humains n'ont jamais visités. Rien de si abandonné, en apparence, rien de si inhospitalier, de si farouche, de si rébarbatif. Un fleuve hâté, roulant des eaux limoneuses ou chargées de sable sur un lit rempli de roches, contre lesquelles ses eaux rebroussent à chaque instant; des rives lacérées, déclivées par les crues subites et impitoyables de la saison d'hiver, présentant ici une plage dépouillée, là un escarpement subit; des troncs d'arbres charriés et dressant leurs bras mutilés en l'air comme pour crier miséricorde, puis roulés par trois ou par quatre les uns sur les autres et enterrés à demi, mais toujours frissonnants, toujours remuant en vain; car le fleuve irrité passe sur eux en grondant plus fort ou au travers de leurs rameaux; et aux deux côtés de cette rage, le silence solennel d'une forêt qui paraît sans limites; on voit la scène: le fleuve mugit, rugit, saute, tourbillonne et court; le bateau où sont les officiers le remonte lentement au pas cadencé des deux hommes qui le halent; les feuilles de la forêt frissonnent sous le vent du matin, les unes larges, les autres menues, celles-ci dans le sombre, celles-là dans la lumière; par des éclaircies lointaines, des rayons de soleil chatoient dans la verdure et y font passer des bandes de clarté semblables à la présence des lutins; sur le ciel bleu et clair se détachent les cimes délicates de quelques frênes, de quelques hêtres, de quelques chênes plus grands que le peuple de leurs compagnons.

      Moreno considérait Ce spectacle, en définitive merveilleux, avec un intérêt étrange, quand Assanoff, un peu ranimé et revenu à lui, proposa de sauter sur la rive, et, en allégeant d'autant le bateau, de se donner le plaisir d'une promenade. Cette idée fut accueillie avec empressement par l'officier espagnol, et les deux compagnons se mirent à marcher dans les hautes herbes, en devançant leur embarcation, et, de temps en temps, sûrs de la rattraper, poussant une pointe dans quelques clairières. Ce fut ainsi que Moreno eut des occasions de s'apercevoir que la contrée forestière, traversée par le Rioni, n'est nullement aussi déserte qu'il en avait d'abord eu l'impression. De temps en temps, lui et son camarade voyaient sortir brusquement des fourrés quelques bandes effarées de petits porcs, très semblables à des marcassins, noirs, avec des soies longues et dures, aux jambes fines, brusques, lestes, agiles et jolies, au point de se faire renier par tous leurs congénères d'Europe. Ce petit monde, à l'aspect des étrangers, s'enfuyait à toutes jambes à travers les taillis et faisait découvrir une case carrée en bois cachée sous les arbres, envoyant vers le ciel la fumée bleuâtre de son foyer et habitée toujours, il faut le dire, par des êtres, hommes, femmes, enfants, sur lesquels le don de la beauté a été aussi libéralement répandu que les haillons de la misère. Depuis qu'il existe des sociétés humaines, on sait que les populations de la vallée du Phase sont belles. On leur a prouvé ce qu'on en pensait en les enlevant, en les vendant, en les adorant, en les massacrant, parce que les hommes, pris en masse ou en particulier, n'ont pas reçu du ciel d'autre façon de démontrer leur amour. Après tout, il est certain que cette beauté ne peut pas être considérée comme fatale, puisqu'il est sorti des forêts du Phase et des misères de ses cahutes tant de reines fameuses et puissantes, tant de favorites souveraines et des lignées de roi. Pour asseoir les unes et les autres, femmes et hommes, sur le trône ou mettre le trône sous leurs pieds, la destinée ne leur a rien demandé, ni génie, ni talent, ni naissance glorieuse, elle s'est contentée de voir leur beauté. Quelquefois l'histoire exagère, et pour une jolie fille rencontrée par hasard et laissant à un passant une heureuse impression qu'il répartit sur toute une province, combien d'hôtesses rousses imposant par la grâce du même juge leurs défauts à toutes les hôtesses d'un royaume! Mais ici rien de semblable n'est arrivé. La nature s'est vraiment surpassée et l'imagination n'a pu monter plus haut qu'elle. Tout ce qu'on a dit, écrit et chanté sur les perfections physiques des gens du Phase est vrai à la lettre, et l'examen le plus maussade, s'il veut parler vrai, ne trouve rien à en rabattre. Ce qui est surtout remarquable et semble sortir de toutes les règles, c'est que ces paysans, ces paysannes, ces malheureux et ces malheureuses, sont doués d'une distinction et d'une grâce extrême; leurs mains sont charmantes, leurs pieds sont adorables; la forme, les attaches, tout en est parfait, et l'on peut s'imaginer à quel point est pondérée et juste la démarche de créatures qui n'ont pas un défaut dans leur construction.

      Assanoff était trop accoutumé à la vue des filles imérithiennes et gourielles pour en être aussi frappé que Moreno. Il les trouvait jolies, mais comme la civilisation le passionnait, il jugeait Mme Marron (aîné) douée de perfections d'un ordre très supérieur, bien qu'un peu défraîchie par le frottement des années.

      On s'est peut-être aperçu que l'Ennemi de l'Esprit n'avait pas pris passage avec les deux officiers. Pourtant, suivant ses déclarations de la veille, on aurait dû lui en supposer l'intention. Assanoff, peu maître de ses sens au moment du départ, ne s'était nullement enquis de l'absence de son ami; il y songea seulement quand le bateau était déjà loin. Moreno n'avait pas pris part à la conversation de la veille, de sorte que Grégoire Ivanitch s'était trouvé en parfaite liberté d'agir à sa guise. La nuit lui avait porté conseil. Il avait réfléchi, en y songeant un peu à travers l'ivresse (et il n'était jamais si prudent et si avisé que lorsqu'il était gris), à la sottise d'arriver à Shamakha avec un étourdi fort occupé de ses plaisirs et pas du tout à lui être agréable. Grégoire Ivanitch était loin de s'aveugler au point de supposer que, pour tant d'occasions de plaisirs que ses principes religieux et son bon caractère lui avaient fait mettre sur le chemin de l'ingénieur, celui-ci se piquerait de générosité à son égard et aurait scrupule, une fois dans sa vie, de marcher sur ses brisées ou de lui causer des désagréments. Au contraire, il savait de science certaine que rien ne serait plus agréable au Tatare civilisé qu'un conflit d'où résulterait sans faute un recueil de plaisanteries bonnes ou mauvaises, de goguenardises et de vanteries de quoi défrayer pendant un an toutes les garnisons, tous les cantonnements du Caucase.

      En conséquence, il revint sur sa promesse, se résolut à voyager seul, à voyager vite, et, quelques heures après le départ des militaires, il prit à son tour une barque, s'arrangea de façon à maintenir une petite distance entre lui et ceux qui le précédaient, puis, lorsque la nuit fut tombée, au lieu d'aller la passer avec les deux amis dans un cabanon de planches appartenant à l'État et réservé à l'usage des voyageurs, il doubla le relais de ses bateliers, atteignit au matin Koutaïs, prit la poste, ne fit que traverser Tiflis sans s'arrêter, et atteignit Shamakha.

      Shamakha n'est pas une grande ville; ce n'est plus même une ville curieuse. L'ancienne cité indigène a disparu presque entièrement, pour faire place à un amas de constructions modernes, peut-être assez bien entendues, mais, à coup sûr, tout à fait dénuées de physionomie. Les Musulmans riches se sont fait bâtir des maisons russes appropriées à leurs besoins et à leurs habitudes; on aperçoit des magasins du gouvernement, des casernes, une église, ce que l'on rencontre partout; et le maître de police, ancien officier de cavalerie, brave homme, qui élevait des oiseaux chanteurs et passait une partie notable de sa vie dans l'énorme cage où il avait logé ses pensionnaires, était, avec le gouverneur, l'homme le mieux logé du pays, parce que son habitation ressemblait le plus à celle d'un bourgeois allemand. Grégoire Ivanitch Vialgue s'y rendit d'abord, frappa à la porte et fut admis.

      Il entra dans le salon de l'air dégagé qui lui était propre, ne salua aucunement la sainte image placée dans un angle, au sommet du plafond.

      – Mon excellent ami, lui dit-il, j'ai fait un grand voyage; j'arrive de Constantinople et, en dernier lieu, de Poti; je n'ai pas pris une heure de repos et je СКАЧАТЬ