Nouvelles Asiatiques. Gobineau Arthur
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Название: Nouvelles Asiatiques

Автор: Gobineau Arthur

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ qui s'agitait autour d'eux; mais outre que l'ingénieur n'y apercevait rien que de naturel, ce qui le faisait passer légèrement sur les points les plus dignes de commentaires, il était d'humeur inconstante et ne savait suivre ni une explication, ni un raisonnement. Cependant Moreno s'attachait à lui. L'ivrognerie flagrante d'Assanoff le rebutait; sa gaîté le ramenait. Assanoff avait l'esprit brouillon, mais il avait de l'esprit; il divaguait à l'ordinaire, mais en quelques rencontres il montra du cœur. Pendant la longue route et l'interminable tête-à-tête, il raconta beaucoup de choses à Moreno, et Moreno se laissa aller de son côté à lui faire des confidences. Assanoff fut vivement ému des malheurs de l'exilé et montra une tendresse presque féminine pour l'amant. Quelquefois, parlant de lui-même, il avouait n'être, à son avis, qu'un sauvage mal dégrossi, et, ajoutait-il, assez peu débarbouillé, mais il revenait bientôt sur cette déclaration et se proclamait un gentilhomme. En somme, il se fit gloire désormais de reconnaître chez Moreno la supériorité de l'intelligence et du caractère.

      On peut se rappeler que, dans les récits des Croisades, il est toujours question d'un généreux émir, d'un brave Bédouin, ou, à tout le moins, d'un esclave fidèle attachant son sort à celui du chevalier chrétien. A l'occasion, ce subalterne se fait tuer volontiers pour le maître, après avoir sacrifié ses intérêts aux siens. Une pareille conception s'est si bien emparée de l'imagination des Occidentaux, qu'on la trouve encore dans les nouvelles de Cervantes, et Walter Scott l'a consacrée par les personnages des deux serviteurs sarrasins du templier Brian de Boisguilbert. C'est parce que, en réalité, cette fiction repose sur un fond assez vrai. Le cœur et l'imagination, mobiles uniques du dévouement, tiennent une place énorme dans l'organisation des Asiatiques; susceptibles de beaucoup aimer, ces gens-là se sont de beaucoup sacrifiés à ce qu'ils aiment. Ainsi, du moment où Assanoff trouvait dans Don Juan une nature sympathique à la sienne, il l'aimait pour tout de bon et sans se défendre.

      Le dîner du gouverneur ressembla à toutes les fêtes de ce genre. On but beaucoup. Assanoff, Dieu garde qu'il eût manqué cette occasion! Il était tellement en verve, qu'il se serait surpassé lui-même, si les observations de Don Juan ne l'eussent un peu contenu, de sorte qu'il en resta à un visage enflammé, avec une démarche légèrement titubante et un décousu de discours encore plus prononcé qu'à l'ordinaire. Pour ne pas contrarier Moreno, il s'arrêta à cette limite. Au sortir de table, on passa dans le salon, où l'on se mit à fumer. Au bout d'une demi-heure, deux des personnages marquants de la population indigène firent leur entrée au milieu de ces officiers, dont la plupart étaient dans un état plus avancé que celui d'Assanoff. Agha-Khan et Shems-Eddyn-Bey saluèrent avec dignité et avec l'affabilité la plus aimable tous les assistants, sans paraître s'apercevoir le moins du monde de rien d'irrégulier. Ils s'assirent, après avoir refusé des pipes et déclaré qu'ils ne fumaient pas. La retenue en toutes choses et la sobriété étaient alors à la mode par esprit de contraste et recommandées aux Musulmans du Caucase. Au bout de quelques instants, on annonça les danseuses. Le gouverneur ordonna de les introduire. Elles parurent.

      Les Splendeurs de la Beauté marchait en tête, puis venait Omm-Djéhâne, suivie de Djémylèh et de Talhemèh, deux jeunes demoiselles très agréables, non moins peintes que leur maîtresse, et toutes vêtues de robes longues tombant droit jusqu'aux pieds avec des plis nombreux. L'or et l'argent scintillaient sur la soie et la gaze, qui abondaient dans leurs vêtements d'une magnificence et d'une somptuosité bizarres. Les colliers superposés, les boucles d'oreilles longues et tombantes, les bracelets nombreux, or et pierreries, tout luisait et résonnait à chaque mouvement de ces belles personnes. Cependant les regards se portaient instinctivement sur Omm-Djéhâne, soit que ce fût l'absence de fard, soit que ce fût la sévérité plus grande de sa parure, soit plutôt, et c'est bien certainement la vraie raison, le charme vainqueur de sa personne. Une fois qu'on l'avait regardée, les yeux ne s'en détachaient plus. Elle promenait sur chacun un regard froid, indifférent, presque insolent, presque irritant, et ce n'était pas un petit attrait. Aussi, bien qu'elle eût les yeux infiniment moins beaux que Djémylèh, que sa taille n'eût pas la rondeur de celle de Talhemèh, et que, sous aucun rapport, elle ne pût rivaliser avec l'exubérance de perfections des Splendeurs de la Beauté, cette reine sûre de ses triomphes, elle troublait chacun, et il fallait un effort pour se soustraire à sa magie.

      Jamais cantatrice à la mode ni comédienne en renom n'ont exécuté leur entrée dans un salon européen avec plus de dignité que ne le firent les danseuses, et ne furent reçues avec plus d'hommages! Elles ne saluèrent personne que les deux dignitaires musulmans à qui elles adressèrent toutes, sauf Omm-Djéhâne, un coup d'œil d'intelligence des plus flatteurs, coup d'œil auquel ils répondirent par un sourire discret et en se caressant la barbe d'un air dont se fût honoré le maréchal duc de Richelieu; Cela fait, les dames s'assirent pressées les unes contre les autres, dans un coin de la salle, sur le tapis, et prirent l'air parfaitement désintéressé de personnes qui sont là pour faire tapisserie.

      Cependant, derrière elles, avaient paru quatre hommes, auxquels personne ne donna la moindre attention. Ils allèrent s'accroupir dans l'angle du salon opposé à celui qu'occupaient les danseuses; c'étaient les musiciens. L'un tenait une guitare légère appelée târ; l'autre une sorte de rebec, violon à long manche, ou kémantjêh; le troisième avait un rebab, autre instrument à cordes, et le quatrième un tambourin, élément indispensable de toute musique asiatique, où le rythme doit être extrêmement marqué.

      D'une voix unanime, la société demanda le commencement de la danse. Le gouverneur et le maître de police se firent plus particulièrement les interprètes du vœu général auprès des Splendeurs de la Beauté, et celle-ci, après s'être laissé prier le temps convenable pour une artiste qui connaît sa valeur, et avoir montré sa modestie par une aimable confusion, se leva en pied, s'avança lentement jusqu'au milieu du salon, et fit un signe de tête imperceptible aux musiciens dont les instruments partirent tous à la fois. Chacun avait reculé sa chaise contre le mur, de façon à laisser un vaste espace absolument libre.

      Alors, sur un air extrêmement lent et monotone, accompagné par le tambourin roulant d'un bruit saccadé, sourd et nerveux, la danseuse, sans bouger de place, appuyant ses mains sur ses hanches, fit quelques mouvements de la tête et du haut du corps. Elle tourna lentement sur elle-même. Elle ne regardait personne, elle était impassible, et semblait comme absorbée. L'attention la suivait, attendait une activité qui ne venait pas, et, précisément à cause de cette attente trompée, devenait à chaque instant plus intense. On ne saurait mieux comparer l'impression produite par ce genre d'émotion qu'à celui qu'on éprouve au bord de la mer, quand l'œil demande constamment à la vague de faire plus, de monter plus haut, d'aller plus loin que la vague précédente, et qu'on écoute son bruit dans l'espérance, successivement déçue, que le bruit qui va venir sera de quelque peu plus fort, et, cependant, on reste là, assis sur la grève; des heures entières s'écoulent et l'on a peine à s'éloigner. Il en est ainsi de la séduction opérée sur les sens par les évolutions des danseuses de l'Asie. Il n'y a point de variété, il n'y a point de vivacité, on ne variera que rarement un mouvement subit, mais il s'exhale de ce tournoiement cadencé une torpeur, dont l'âme s'accommode et où elle se complaît comme dans une ivresse amenant un demi-sommeil.

      Puis, la puissante danseuse se mut lentement sur le parquet, en étendant à moitié ses bras arrondis; elle ne marchait pas; elle glissa par une vibration imperceptible; elle s'avança vers les spectateurs, et passant lentement près de chacun, donna à chacun une sorte de frisson en lui laissant croire, espérer peut-être, qu'elle allait lui accorder un signe d'attention. Elle n'en fit rien. Seulement, quand elle fut devant les deux Musulmans, elle leur laissa soupçonner un nouvel indice bien apprécié de sa déférence, de sa partialité, en doublant la durée du temps d'arrêt très court dont elle avait flatté les autres, ce qui fut vivement senti et applaudi; car, dans cette danse discrète, la moindre nuance ressort avec précision. Quand la musique s'arrêta, l'enthousiasme des spectateurs éclata en applaudissements. Moreno seul restait froid. On ne goûte pas ces sortes de choses à la première vue, et le plaisir causé par les divertissements nationaux exige, en tous les pays, une expérience et une СКАЧАТЬ