Nouvelles Asiatiques. Gobineau Arthur
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Название: Nouvelles Asiatiques

Автор: Gobineau Arthur

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ notre village, sur son pic de rochers, montant droit au milieu de l'azur du ciel, avec les nuages au-dessous de lui, dans les vallons pleins d'arbres et de pierres? Tu ne vois donc plus le nid où nous sommes nés, bien au-dessus des plaines, bien au-dessus des montagnes communes, bien au-dessus des hommes esclaves, parmi les demeures des oiseaux nobles, au sein de l'atmosphère de Dieu? Tu ne les vois donc plus, nos murailles protectrices, nos tours penchées sur les abîmes, nos manoirs en terrasses, montant les unes au-dessus des autres, toutes vigilantes et, par leurs lucarnes, avides de voir l'ennemi de plus loin? Et leurs toits plats où nous dormions l'été, et les rues étroites et le logis de Kassem-Bey en face du nôtre, et celui d'Arslan-Bey devant, et tes camarades de jeu, Sélym et Mouryd qui sont morts dans leur sang, et mes compagnes, à moi, Ayeshah, Loulou, Péry, la petite Zobeydêh, que sa mère portait dans ses bras! Ah! misérable lâche! les soldats les ont tous jetés dans les flammes, et l'aoûl a brûlé sur eux!

      Assanoff commença à se sentir extrêmement mal à son aise. Quelques gouttes de sueur perlèrent sur son front. Il étendit machinalement les mains sur ses genoux, qu'il tint fortement serrés. Mais il ne prononça pas un mot. Omm-Djéhâne continua d'une voix sourde:

      – Tu ne rêves donc jamais la nuit? Tu te couches, et le sommeil te prend, et tu restes là, n'est-ce pas, comme une masse de chair inerte, abandonné par tes pensées jusqu'au matin, jusqu'au milieu du jour, si l'on veut. Au fond, tu fais bien! Ta vie entière n'est qu'une mort! Tu ne te rappelles rien? rien du tout? Ton oncle, mon père à moi, mon père, sais-tu cela? Non! tu ne le sais pas! Je vais te le dire: mon père, Élam-Bey, enfin, pendu à l'arbre de gauche en montant le sentier; ton père à toi, mon oncle, cloué d'un coup de baïonnette sur la porte de sa maison. Tu ne te rappelles pas? Tu n'avais que douze ans; mais moi j'en avais quatre et je n'ai rien oublié! Non, rien! rien, te dis-je, pas la moindre, pas la plus minime circonstance! Ton oncle, quand je suis passée devant, portée par un soldat, ton oncle pendait à son arbre, comme ce vêtement-là, contre la muraille, pend à ce clou qui est derrière toi!

      Assanof eut un frisson glacial dans les os; il lui sembla sentir les pieds ballants de son oncle sur ses épaules, mais il ne dit pas un mot.

      – Alors, poursuivit Omm-Djéhâne, on te prit avec quelques garçons échappés par hasard à l'incendie et au massacre. On t'envoya à l'École des cadets à Pétersbourg et on t'éleva, comme disent les Francs! On t'enleva ta mémoire, on t'enleva ton cœur, on te prit ta religion, sans même se soucier de t'en donner une autre; mais on t'apprit à bien boire, et je te retrouve les traits déjà flétris par la débauche, les joues marbrées de bleu, un homme? Non! Une guenille! Tu le sais toi-même.

      Assanoff, humilié, maté par cette fille et par les images, surtout, par les images trop exactes, trop crues, trop vraies qu'elle évoquait devant lui, Assanoff essaya de se défendre.

      – J'ai pourtant appris quelque chose, murmura-t-il, je sais mon métier de soldat, et on ne m'a jamais accusé de manquer de courage. Je ne fais pas honte à ma famille, j'ai de l'honneur!

      – De l'honneur? Toi! s'écria Omm-Djéhâne avec le dernier emportement; va raconter ces billevesées aux gens de ta sorte! mais ne pense pas m'imposer avec ces grands mots. N'ai-je pas été nourrie aussi par les Russes? L'honneur! C'est de vouloir être cru quand on ment, de vouloir passer pour honnête quand on n'est qu'un coquin, et de vouloir être tenu pour loyal quand on vole au jeu. Si l'on rencontre un drôle de son espèce, tous deux, gens d'honneur, on se bat et on est tué justement le jour où, par hasard, on n'avait pas tort. Voilà ce que c'est que l'honneur; et si tu en as vraiment, fils de ma tante, tu peux te considérer comme un Européen parfait, méchant, perfide, larron, assassin, sans foi, sans loi, sans Dieu, un pourceau ivre de toutes les ivresses imaginables et roulé dans tous les bourbiers du vice!

      La virulence de cette sortie parut à Assanoff dépasser la mesure, ce qui lui rendit quelque chose de la possession de lui-même:

      – Qui veut trop prouver ne prouve rien, dit-il froidement; ne disputons pas là-dessus à tort ou à raison, mais, dans tous les cas, sans qu'on m'ait demandé avis, on a fait de moi un homme civilisé; je le suis devenu. Il faut que je le reste. Tu ne me prouveras pas que je fasse aucun mal, en vivant à la façon de mes camarades. D'ailleurs, pour ne te rien cacher, je m'ennuie; je ne sais pas pourquoi, rien ne me manque, tout me manque. Si une balle veut de moi, je l'épouse. Si l'eau-de-vie m'emporte, grand bien lui fasse! C'est tout ce que je désire… Tiens! Omm-Djéhâne, je suis content de te voir. Pourquoi n'es-tu pas restée chez la générale? Cela valait mieux que cette maison.

      – Cette femme, répondit la danseuse avec l'accent de la haine et du mépris, cette femme! Elle a eu l'insolence de déclarer plusieurs fois, et devant moi, qu'elle voulait remplacer ma mère! Elle a dit plusieurs fois, et devant moi, que les Lesghys n'étaient que des sauvages, et, un jour, où je lui ai répondu que leur sang était plus pur que le sien, elle a ri. Cette femme, elle m'a prise une fois par le bras et mise hors de la chambre comme une servante, parce que j'étais montée sur un fauteuil, étant trop petite pour atteindre à leurs idoles, les jeter en bas! D'ailleurs, tu le sais bien! c'est son mari qui avait mené les troupes contre notre aoûl!

      Omm-Djéhâne se tut une minute, et tout à coup s'écria:

      – Je n'attendais que le jour où je me sentirais assez forte! Six mois plus tard, je lui tuais ses deux filles!

      – Tu n'y vas pas de main morte, dit Assanoff en riant. Heureusement que tu t'es laissé deviner, et on t'a chassée à propos.

      Il parlait d'un ton léger qui ne contrastait pas mal avec celui de la minute précédente. Omm-Djéhâne le considéra une seconde sans souffler mot, puis elle étendit le bras sur le divan, prit un târ, une mandoline tatare qui était jetée là, et, d'un air distrait, se mit à l'accorder; peu à peu, sans paraître y vouloir mettre aucune intention, elle commença à jouer et à chanter. Sa voix était d'une douceur infinie et pénétrante à l'extrême. Elle chanta d'abord très bas et à peine l'entendait-on. Il semblait que ce n'étaient que des accords isolés, des notes se suivant sans qu'aucune intention les enchaînât les unes aux autres. Insensiblement, un air déterminé se détacha de cette mélodie indistincte, absolument comme du fond d'un brouillard naît, s'avance peu à peu et se fait reconnaître une apparition éthérée. Saisi par une émotion irrésistible, par une curiosité violente, par un souvenir tout-puissant, Assanoff releva la tête et écouta. Oh! il était visible qu'il écoutait de toutes ses oreilles et de toute son intelligence, de tout son cœur, de toute son âme!

      Au chant se mêlèrent bientôt des paroles. C'était une poésie lesghy; c'était, précisément, l'air que les filles de la tribu chantaient avec le plus de plaisir et le plus souvent quand Assanoff était enfant. On connaît assez le pouvoir souverain, la magie victorieuse que ce genre d'influence exerce, en général, sur les hommes nés dans les montagnes, au sein de petites sociétés, où, les distractions étant peu nombreuses, la mémoire qu'on en conserve reste à jamais souveraine de l'imagination. Les Suisses ont le Ranz des Vaches, et les Écossais l'Appel de la cornemuse. Assanoff se trouva saisi par une force toute pareille.

      Il était né à une distance assez peu considérable de Bakou, au sein d'une accumulation d'escarpements présentant l'aspect le plus singulier et le plus grandiose qui se puisse contempler. C'est un assemblage de pics aigus, largement séparés les uns des autres par des vallées profondes, et s'élevant, sur des bases étroites, jusqu'à la région des nuages. Couvrant les plateaux rocheux de ces aiguilles gigantesques, plateaux étroits où l'on jurerait de loin que les aigles seuls peuvent avoir leur nid, se posent, s'accrochent comme ils peuvent, les villages, les aoûls de ces hommes terribles, qui n'ont jamais connu que le combat, le pillage et la destruction. Les Lesghys se tiennent là, toujours en sentinelle, guettant la proie, se méfiant de l'attaque, voyant de loin, surveillant tout.

      La chanson d'Omm-Djéhâne évoqua, jusqu'à СКАЧАТЬ