Nouvelles Asiatiques. Gobineau Arthur
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Название: Nouvelles Asiatiques

Автор: Gobineau Arthur

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ par-dessus les moyeux; puis, courant parallèlement de droite et de gauche, les rangées lointaines des montagnes: c'est déjà un avant-poste des grandes vallées, des grandes chaînes, des immenses étendues de la Perse.

      Moreno avait été si affecté de sa rencontre inopinée avec la danseuse, et surtout de ce qu'il se figurait d'elle et de la façon dont il la comprenait, qu'il restait presque insensible à la grande scène que traversait la voiture, emportée par ses quatre chevaux, et il restait perdu dans ses réflexions. Sa blessure à la poitrine ne laissait pas que d'être un peu douloureuse. La chair avait été bien entamée. Don Juan s'était pansé comme il avait pu, mais cette sensation rude, cette secousse violente par lesquelles la jeune lesghy avait, en quelque sorte, appris en un clin d'œil à l'officier ce qu'elle était et le souvenir qu'il devait garder de son entrevue avec elle, ne mettait pourtant aucune amertume dans les réflexions qui en étaient la conséquence, et le jugement final de Moreno était assez sain et judicieux. Peut-être un Allemand, un homme du Nord, eût-il eu de la peine à s'expliquer un tempérament qu'un Espagnol sentait plus en rapport avec le sien.

      Omm-Djéhâne, la pauvre fille, n'était pas sortie un seul instant de sa vie de l'émotion produite sur elle par la prise de l'aoûl. Toujours elle avait gardé sous ses yeux, elle y gardait encore les flammes dévorant sa maison, les cadavres des siens tombant les uns sur les autres, les figures farouches et exaspérées des soldats; elle avait gardé dans ses oreilles les cris de désespoir et de détresse, les détonations des armes à feu, les vociférations des vainqueurs. Aux soins que l'on avait eus d'elle, pendant sa petite enfance, dans la famille du général, elle n'avait absolument rien compris, sinon qu'elle était au milieu des assassins; elle se considérait, non seulement comme une esclave, mais comme une esclave humiliée, et l'abandon avec lequel sa protectrice, excellente femme, racontait à chaque visiteur nouveau l'histoire authentique de la petite lesghy, dans le but, assurément, de rendre l'enfant plus intéressante, n'avait jamais manqué d'être ressenti par Omm-Djéhâne comme le comble de l'insulte. Elle n'y voyait que les vanteries et l'arrogance des vainqueurs. On avait eu peine à l'instruire; comme tous les Asiatiques, et surtout comme les gens de sa nation, elle était d'une intelligence merveilleuse; d'ailleurs, ayant eu l'occasion de remarquer que savoir passait pour un mérite, et que les filles de la générale, apprenant moins bien et avec moins de facilité, étaient grondées et pleuraient à chacun de ses succès, elle avait redoublé d'efforts et éprouvé beaucoup de joie de leur valoir ce mal. Un moment, elle avait même conçu une idée d'une bien autre portée. Ne doutant pas un instant que les Russes, pour lesquels elle professait, dans sa petite imagination, autant de dédain que de haine, ne dussent tous leurs succès qu'à la sorcellerie, et que cette sorcellerie n'eût ses secrets dans les livres dont elle voyait faire tant de cas, elle se proposa de devenir magicienne à son tour. Mais elle eut beau lire ce qui lui tomba sous la main, comme elle ne trouva rien qui la conduisît à son but, elle se découragea. Cependant, elle ne douta jamais que des maléfices puissants ne fussent au fond de toutes ses affaires; car, d'esprit comme de cœur, elle resta toujours lesghy, et la forme et la nature de son esprit ne changèrent pas plus que ses affections.

      Ainsi qu'elle le dit à Assanoff, elle avait su de tout temps qu'il avait échappé au massacre et qu'il était élevé à l'École des cadets. Dès lors, elle avait vu en lui son mari futur; suivant sa façon de raisonner, elle ne devait pas en avoir un autre. Sur ce point s'étaient attachés ses rêves; les résolutions qu'elle avait pu prendre, en dehors de celles de l'emportement, de l'aversion, dont elle n'était jamais trop maîtresse, avaient toujours eu pour but principal de la rapprocher de son cousin. Elle était trop méfiante pour prendre conseil de personne que de l'istikharêh, mais elle mettait une confiance absolue dans les oracles de ses grains de chapelet. Devenue danseuse pour subsister, elle ne s'était pas trouvée rabaissée le moins du monde; les danseuses de Shamakha ont une réputation qui ressemble à de la gloire; et, d'ailleurs, les femmes d'Asie ne sont ni en haut, ni en bas d'une échelle sociale quelconque; elles peuvent tout faire; elles sont femmes ou impératrices ou servantes, et restent femmes, ce qui leur permet de tout dire, de tout faire et de n'avoir aucune responsabilité de leurs pensées ni de leurs actes devant la raison et l'équité; elles comptent uniquement avec la passion, qui, à son gré, les ravale, les tue ou les couronne. Omm-Djéhâne n'était pas vicieuse, il s'en fallait; elle était complètement chaste et pure; mais elle n'était pas vertueuse non plus, parce que, si quelqu'une de ses inclinations l'eût commandé, elle eût renoncé à cette chasteté en une seconde, sans combat, sans résistance et même sans le moindre soupçon d'avoir tort. Il n'était pas à croire, pourtant, qu'elle se départît de sa réserve en faveur d'un Franc, tant elle professait d'éloignement pour cette race. Grégoire Ivanitch, l'Ennemi-de-l'Esprit, avait cru, un instant, éprouver pour la jeune danseuse un goût vif, et ne s'était, naturellement, fait aucun scrupule de le lui témoigner; de ce côté, le danger avait été nul pour elle; mais il s'en était suivi, de la part des Splendeurs de la Beauté, sa maîtresse, une suite de conseils et d'insinuations, mêlés de critiques, de reproches tempérés, il est vrai, par la peur qu'inspirait Omm-Djéhâne à tout ce qui l'approchait. La jeune fille ne cédait pas parce qu'elle attendait Assanoff, et que l'istikharêh lui garantissait de plus en plus qu'il allait arriver bientôt. Ce fut pour avoir la paix qu'elle consentit à être vendue comme esclave ou comme femme, c'était tout un, au vieux Kaïmakam des environs de Trébizonde. Elle gagnait du temps et ne s'embarrassait guère de rompre sa parole, s'il le fallait, au moment de conclure. Voilà ce qu'était Omm-Djéhâne; voilà ce qu'elle avait été jusque-là: en somme, une pauvre créature, profondément malheureuse et à plaindre, bien qu'elle ne pleurât pas sur elle-même et ne réclamât la pitié de personne.

      Ainsi qu'il a été dit, Moreno apprécia bien l'essentiel de la situation. Après quelques heures, Assanoff finit par se réveiller. Il fut grognon et maussade, ne prononça pas le nom d'Omm-Djéhâne, ne fit aucune allusion à ce qui s'était passé à Shamakha, et tomba dans une prostration morale et physique dont Moreno eut compassion. Il s'apercevait que, dans le cœur du tatar, un combat terrible se livrait entre des instincts, des goûts, des habitudes, des faiblesses, des concessions et des remords, où aucune des forces contendantes n'était assez vigoureuse pour l'emporter. Le voyage s'acheva donc fort tristement, et par un contre-coup de l'état où il voyait son ami, l'exilé espagnol commençait à trouver la vie intolérable. Quand la voiture entra à Bakou, l'aspect premier de la ville ne lui rendit pas la gaîté.

      La Caspienne, cette mer mystérieuse et sombre, plus inhospitalière encore que l'Europe, sur les deux tiers de ses rivages, couvrait au loin l'horizon de ses eaux plombées, sur lesquelles le ciel pesait gris et bas. Il venait de pleuvoir; les rues et les chemins montraient trois pieds de boue jaunâtre, boue tenace dont les voitures, les hommes, les animaux ont bien de la peine à sortir. Les faubourgs, composés de maisons de bois bâties à la russe, de magasins du gouvernement, de chantiers et de fabriques, dont les hautes cheminées envoient jusqu'au ciel la fumée du charbon de terre, étaient peuplés d'une foule à moitié tatare, à moitié soldatesque. De loin en loin passait une dame habillée à l'Européenne, avec un chapeau qui rappelait les modes occidentales. L'ancienne enceinte fortifiée de la résidence des souverains tatars gardait encore sa porte en forme de trèfle, et, quand l'équipage passa, de petits mendiants indigènes se mirent à le poursuivre, en faisant la roue et en hurlait d'une voix lamentable et en français:

      – Donnez de l'argent, mousiou! Bandaloun!

      Ce qui voulait dire qu'ils demandaient de l'argent et qu'on leur voulût bien accorder aussi un pantalon. Telle est l'éducation que de jeunes officiers en gaîté dépensent d'une façon toute libérale. Dans les rues étroites, où la plupart des maisons sont encore à la mode ancienne, on aperçoit, au milieu de nombreuses enseignes de marchands et d'artisans russes, des indications comme celle-ci: Bottier de Paris; Marchande de modes. Il faut avouer que ces amorces à la crédulité publique sont à peine fallacieuses, et que ce que l'on achète dans ces boutiques n'est pas de nature à tromper sur la provenance la plus robuste ingénuité.

      Une fois arrivé, Assanoff fut distrait enfin par le mouvement. Il se secoua, il reprit son humeur СКАЧАТЬ