Mémoires pour servir à l'Histoire de France sous Napoléon, Tome 1. Baron Gaspard Gourgaud
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СКАЧАТЬ Saint-Cloud. – Ajournement des conseils, à trois mois.

      Lorsqu'une déplorable faiblesse et une versatilité sans fin se manifestent dans les conseils du pouvoir; lorsque cédant tour à tour à l'influence de partis contraires, et vivant au jour le jour, sans plan fixe, sans marche assurée, il a donné la mesure de son insuffisance, et que les citoyens les plus modérés sont forcés de convenir que l'état n'est plus gouverné; lorsqu'enfin, à sa nullité au dedans, l'administration joint le tort le plus grave qu'elle puisse avoir aux yeux d'un peuple fier, je veux dire l'avilissement au dehors, alors une inquiétude vague se répand dans la société, le besoin de sa conservation l'agite, et promenant sur elle-même ses regards, elle semble chercher un homme qui puisse la sauver.

      Ce génie tutélaire, une nation nombreuse le renferme toujours dans son sein; mais quelquefois il tarde à paraître. En effet, il ne suffit pas qu'il existe, il faut qu'il soit connu; il faut qu'il se connaisse lui-même. Jusque-là toutes les tentatives sont vaines, toutes les menées impuissantes; l'inertie du grand nombre protège le gouvernement nominal, et, malgré son impéritie et sa faiblesse, les efforts de ses ennemis ne prévalent point contre lui. Mais que ce sauveur, impatiemment attendu, donne tout à coup un signe d'existence, l'instinct national le devine et l'appelle, les obstacles s'applanissent devant lui, et tout un grand peuple volant sur son passage semble dire: Le voilà!

      § Ier

      Telle était la situation des esprits en France, en l'année 1799, lorsque le 9 octobre (16 vendémiaire an VIII), les frégates la Muiron, la Carrére, les chebecks la Revanchae et la Fortune, vinrent à la pointe du jour mouiller dans le golfe de Fréjus.

      Dès qu'on eut reconnu des frégates françaises, on soupçonna qu'elles venaient d'Égypte. Le desir d'avoir des nouvelles de l'armée fit accourir en foule les citoyens sur le rivage. Bientôt la nouvelle se répandit que Napoléon était à bord. L'enthousiasme fut tel que même les soldats blessés sortirent des hôpitaux malgré les gardes, pour se rendre au rivage. Tout le monde pleurait de joie. En un moment la mer fut couverte de canots. Les officiers des batteries, les douaniers, les équipages des bâtiments mouillés dans la rade, enfin tout le peuple, assaillirent les frégates. Le général Pereymont qui commandait sur la côte, aborda le premier. C'est ainsi qu'elles eurent l'entrée; avant l'arrivée des préposés de la santé, la communication avait eu lieu avec toute la côte.

      L'Italie venait d'être perdue, la guerre allait être reportée sur le Var, et dès-lors Fréjus craignait une invasion. Le besoin d'avoir un chef à la tête des affaires était trop impérieux; l'impression de l'apparition soudaine de Napoléon agitait trop vivement tous les esprits pour laisser place à aucune des considérations ordinaires; les préposés de la santé déclarèrent qu'il n'y avait pas lieu à la quarantaine, motivant leur procès-verbal sur ce que la pratique avait eu lieu à Ajaccio. Cependant cette raison n'était pas valable, c'était seulement un motif pour mettre la Corse en quarantaine. L'administration de Marseille en fit quinze jours après l'observation avec raison. Il est vrai que depuis cinquante jours que les bâtiments avaient quitté l'Égypte, aucune maladie ne s'était déclarée à bord, et qu'avant leur départ la peste avait cessé depuis trois mois.

      Sur les six heures du soir, Napoléon, accompagné de Berthier, monta en voiture pour se rendre à Paris.

      § II

      Les fatigues de la traversée et les effets de la transition d'un climat sec à une température humide, décidérent Napoléon à s'arrêter six heures à Aix. Tous les habitants de la ville et des villages voisins accouraient en foule et témoignaient le bonheur qu'ils éprouvaient de le revoir. Partout la joie était extrême: ceux qui des campagnes n'avaient pas le temps d'arriver sur la route sonnaient les cloches, et plaçaient des drapeaux sur les clochers. La nuit, ils les couvraient de feux. Ce n'était pas un citoyen qui rentrait dans sa patrie, ce n'était pas un général qui revenait d'une armée victorieuse; c'était déja un souverain qui retournait dans ses états. L'enthousiasme d'Avignon, Montélimar, Valence, Vienne, ne fut surpassé que par les élans de Lyon.

      Cette ville, où Napoléon séjourna douze heures, fut dans un délire universel. De tout temps les Lyonnais ont montré une grande affection à Napoléon, soit que cela tienne à cette générosité de caractère, qui est propre aux Lyonnais; soit que Lyon se considérant comme la métropole du Midi, tout ce qui était relatif à la sûreté des frontières du côté de l'Italie, touchât vivement ses habitants; soit enfin que cette ville, composée en grande partie de Bourguignons et de Dauphinois, partageât les sentiments plus fortement existants dans ces deux provinces. Toutes les imaginations étaient encore exaltées par la nouvelle qui circulait depuis huit jours de la bataille d'Aboukir et des brillants succès des Français en Égypte, qui contrastaient tant avec les défaites de nos armées d'Allemagne et d'Italie. De toute part le peuple semblait dire: «Nous sommes nombreux, nous sommes braves, et cependant nous sommes vaincus: il nous manque un chef pour nous diriger; il arrive, nos jours de gloire vont revenir»!

      Cependant la nouvelle du retour de Napoléon était parvenue à Paris: on l'annonça sur tous les théâtres; elle produisit une sensation extrême, une ivresse générale. Les membres du directoire la durent partager. Quelques membres de la société du manège en pâlirent; mais, ainsi que les partisans de l'étranger, ils dissimulèrent et se livrèrent au torrent de la joie générale. Baudin, député des Ardennes, homme de bien, vivement tourmenté de la fâcheuse direction qu'avaient prise les affaires de la république, mourut de joie en apprenant le retour de Napoléon.

      Napoléon avait déja passé Lyon, lorsque son débarquement fut annoncé à Paris. Par une précaution bien convenable à sa situation, il avait indiqué à ses courriers une route différente de celle qu'il prit; de sorte que sa femme, sa famille, ses amis, se trompèrent en voulant aller à sa rencontre: ce qui retarda de plusieurs jours le moment où il put les revoir. Arrivé ainsi à Paris, tout-à-fait inattendu, il était dans sa maison, rue Chantereine, qu'on ignorait encore son arrivée dans la capitale. Deux heures après il se présenta au directoire: reconnu par des soldats de garde, des cris d'allégresse l'annoncèrent. Chacun des membres du directoire semblait partager la joie publique; il n'eut qu'à se louer de l'accueil qu'il reçut.

      La nature des évènements passés l'instruisait de la situation de la France, et les renseignements qu'il s'était procurés sur la route, l'avaient mis au fait de tout. Sa résolution était prise. Ce qu'il n'avait pas voulu tenter à son retour d'Italie, il était déterminé à le faire aujourd'hui. Son mépris pour le gouvernement du directoire et pour les meneurs des conseils était extrême.

      Résolu de s'emparer de l'autorité, de rendre à la France ses jours de gloire, en donnant une direction forte aux affaires publiques: c'était pour l'exécution de ce projet qu'il était parti d'Égypte; et tout ce qu'il venait de voir dans l'intérieur de la France avait accru ce sentiment et fortifié sa résolution.

      § III

      De l'ancien directoire, il ne restait que Barras: les autres membres étaient Roger-Ducos, Moulins, Gohier, et Siéyes.

      – Ducos était un homme d'un caractère borné et facile.

      – Moulins, général de division, n'avait pas fait la guerre, il sortait des gardes-françaises, et avait reçu son avancement dans l'armée de l'intérieur. C'était un honnête homme, patriote chaud et droit.

      – Gohier était un avocat de réputation, d'un patriotisme exalté, jurisconsulte distingué; homme intègre et franc.

      – Siéyes était depuis long-temps connu de Napoléon. Né à Fréjus, en Provence, il avait commencé sa réputation avec la révolution; il avait été nommé à l'assemblée constituante СКАЧАТЬ