Mémoires pour servir à l'Histoire de France sous Napoléon, Tome 1. Baron Gaspard Gourgaud
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СКАЧАТЬ Napoléon traversa le salon de Mars, entra au conseil des anciens, et se plaça vis-à-vis le président. (C'était la barre.)

      «Vous êtes sur un volcan, leur dit-il: la république n'a plus de gouvernement; le directoire est dissous; les factions s'agitent; l'heure de prendre un parti est arrivée. Vous avez appelé mon bras et celui de mes compagnons d'armes au secours de votre sagesse: mais les instants sont précieux; il faut se prononcer. Je sais que l'on parle de César, de Cromwell, comme si l'époque actuelle pouvait se comparer aux temps passés. Non, je ne veux que le salut de la république, et appuyer les décisions que vous allez prendre… Et vous, grenadiers, dont j'aperçois les bonnets aux portes de cette salle, dites-le: vous ai-je jamais trompés? Ai-je jamais trahi mes promesses, lorsque, dans les camps, au milieu des privations, je vous promettais la victoire, l'abondance, et lorsqu'à votre tête, je vous conduisais de succès en succès? Dites-le maintenant: était-ce pour mes intérêts, ou pour ceux de la république?»

      Le général parlait avec véhémence. Les grenadiers furent comme électrisés; et, agitant en l'air leurs bonnets, leurs armes, ils semblaient tous dire: Oui, c'est vrai! il a toujours tenu parole!

      Alors un membre (Linglet) se leva, et d'une voix forte dit: «Général, nous applaudissons à ce que vous dites: jurez donc avec nous obéissance à la constitution de l'an III, qui peut seule maintenir la république.»

      L'étonnement que causa ces paroles produisit le plus grand silence.

      Napoléon se recueillit un moment; après quoi, il reprit avec force: «La constitution de l'an III, vous n'en avez plus: vous l'avez violée au 18 fructidor, quand le gouvernement a attenté à l'indépendance du corps-législatif; vous l'avez violée au 30 prairial an VII, quand le corps-législatif a attenté à l'indépendance du gouvernement; vous l'avez violée au 22 floréal, quand, par un décret sacrilège, le gouvernement et le corps-législatif ont attenté à la souveraineté du peuple, en cassant les élections faites par lui. La constitution violée, il faut un nouveau pacte, de nouvelles garanties.»

      La force de ce discours, l'énergie du général, entraînèrent les trois quarts des membres du conseil, qui se levèrent en signe d'approbation. Cornudet et Régnier parlèrent avec force dans le même sens: un membre s'éleva contre; il dénonça le général comme le seul conspirateur qui voulait attenter à la liberté publique. Napoléon interrompit l'orateur, déclara qu'il avait le secret de tous les partis, que tous méprisaient la constitution de l'an III; que la seule différence qui existait entre eux était que les uns voulaient une république modérée, où tous les intérêts nationaux, toutes les propriétés, fussent garantis; tandis que les autres voulaient un gouvernement révolutionnaire, motivé sur les dangers de la patrie. En ce moment on vint prévenir Napoléon que, dans le conseil des cinq-cents, l'appel nominal était terminé, et que l'on voulait forcer le président Lucien à mettre aux voix la mise hors la loi de son frère. Napoléon se rend aussitôt aux cinq-cents, entre dans la salle, le chapeau bas, ordonne aux officiers et soldats qui l'accompagnent de rester aux portes; il voulait se présenter à la barre pour rallier son parti, qui était nombreux, mais qui avait perdu tout ralliement et toute audace. Mais, pour arriver à la barre, il fallait traverser la moitié de la salle, parce que le président siégeait sur un des côtés latéraux. Lorsque Napoléon se fut avancé seul au tiers de l'orangerie, deux ou trois cents membres se levèrent subitement, en s'écriant: Mort au tyran! à bas le dictateur!

      Deux grenadiers que l'ordre du général avait retenus à la porte, et qui n'avaient obéi qu'à regret et en lui disant, «Vous ne les connaissez pas, ils sont capables de tout,» culbutèrent, le sabre à la main, ce qui s'opposait à leur passage, pour rejoindre leur général, l'investir et le couvrir de leurs corps. Tous les autres grenadiers suivirent cet exemple et entraînèrent Napoléon en dehors de la salle. Dans ce tumulte, l'un d'eux nommé Thomé fut légèrement blessé d'un coup de poignard; un autre reçut plusieurs coups dans ses habits.

      Le général descendit dans la cour du château, fit battre au cercle, monta à cheval, et harangua les troupes: «J'allais, dit-il, leur faire connaître les moyens de sauver la république, et de nous rendre notre gloire. Ils m'ont répondu à coups de poignard. Ils voulaient ainsi réaliser le desir des rois coalisés. Qu'aurait pu faire de plus l'Angleterre!

      «Soldats, puis-je compter sur vous?»

      Des acclamations unanimes répondirent à ce discours. Napoléon aussitôt ordonna à un capitaine d'entrer avec dix hommes dans la salle des cinq-cents, et de délivrer le président.

      Lucien venait de déposer sa toge. «Misérables! s'écriait-il, vous exigez que je mette hors la loi mon frère, le sauveur de la patrie, celui dont le nom seul fait trembler les rois! Je dépose les marques de la magistrature populaire; je me présente à cette tribune comme défenseur de celui que vous m'ordonnez d'immoler sans l'entendre.»

      En disant ces mots, il quitte le fauteuil et s'élance à la tribune. L'officier de grenadiers se présente alors à la porte de la salle, en criant, Vive la république! On croit que les troupes envoient une députation pour exprimer leur dévouement aux conseils. Ce capitaine est accueilli par un mouvement d'allégresse. Il profite de cette erreur, s'approche de la tribune, s'empare du président, en lui disant à voix basse, C'est l'ordre de votre frère. Les grenadiers crient en même temps, A bas les assassins!

      A ces cris, la joie se change en tristesse; un morne silence témoigne l'abattement de toute l'assemblée. On ne met aucun obstacle au départ du président, qui sort de la salle, se rend dans la cour, monte à cheval, et s'écrie de sa voix de Stentor: «Général, et vous, soldats, le président du conseil des cinq-cents vous déclare que des factieux, le poignard à la main, en ont violé les délibérations. Il vous requiert d'employer la force contre ces factieux. Le conseil des cinq-cents est dissous.

      «Président, répondit le général, cela sera fait.»

      Il ordonne en même temps à Murat de se porter dans la salle en colonne serrée. En cet instant le général B*** osa lui demander cinquante hommes pour se placer en embuscade sur la route et fusiller les fuyards. Napoléon ne répondit à sa demande qu'en recommandant aux grenadiers de ne pas commettre d'excès. «Je ne veux pas, leur dit-il, qu'il y ait une goutte de sang versée.»

      Murat se présente à la porte, et somme le conseil de se séparer. Les cris, les vociférations continuent. Le colonel Moulins, aide-de-camp de Brune, qui venait d'arriver de Hollande, fait battre la charge. Le tambour mit fin à ces clameurs. Les soldats entrent dans la salle, la baïonnette en avant. Les députés sautent par les fenêtres, et se dispersent en abandonnant les toges, les toques, etc.: en un instant la salle fut vide. Les membres de ce conseil qui s'étaient le plus prononcés, s'enfuient en toute hâte jusqu'à Paris.

      Une centaine de députés des cinq-cents se rallièrent au bureau et aux inspecteurs de la salle. Ils se rendirent en corps au conseil des anciens. Lucien fit connaître que les cinq-cents avaient été dissous sur son réquisitoire; que chargé de maintenir l'ordre dans l'assemblée, il avait été environné de poignards; qu'il avait envoyé des huissiers pour réunir de nouveau le conseil; que rien n'était contraire aux formes, et que les troupes n'avaient fait qu'obéir à son réquisitoire. Le conseil des anciens, qui voyait avec inquiétude ce coup d'autorité du pouvoir militaire, fut satisfait de cette explication. A onze heures du soir, les deux conseils se réunirent de nouveau, ils étaient en très-grande majorité. Deux commissions furent chargées de faire leur rapport sur la situation de la république. On décréta, sur le rapport de Béranger, des remerciements à Napoléon et aux troupes. Boulay de la Meurthe aux Cinq-cents, Villetard aux Anciens, exposèrent la situation de la république et les mesures à prendre. La loi du 19 brumaire fut décrétée; elle ajournait les conseils au 1er ventose suivant; elle créait deux commissions de vingt-cinq membres chacune, pour les remplacer provisoirement. Elles devaient aussi préparer un code civil. Une commission СКАЧАТЬ