Название: Chronique de 1831 à 1862. T. 1
Автор: Dorothée Dino
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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L'état du Cabinet anglais est bien étrange. Sir Robert Peel a déclaré à la Chambre n'y rien comprendre, cela met le manque d'intelligence de tout le monde fort à l'aise. Ce qui paraît clair à tous, c'est que si aucun membre du Cabinet n'est absolument détruit, tous sont blessés, on prétend même à mort; pour énervés, du moins, c'est évident. J'en suis peinée pour lord Grey, auquel je suis réellement attachée; pour le reste, je n'y prends pas le plus petit intérêt. Ce n'est pas par lord Palmerston que l'éclat leur reviendra. M. de Talleyrand a beau dire qu'il déblaye facilement de la besogne, qu'il parle et écrit bien le français, c'est un esprit court, présomptueux; il a l'humeur arrogante et le caractère sans droiture. Chaque jour fournit une preuve plus ou moins évidente de sa duplicité: par exemple, qu'est-ce qui peut faire que lorsque lord Grey s'explique hautement contre l'idée du Roi Léopold de se choisir un successeur, et que lord Palmerston semble être du même avis, il écrit des lettres particulières à lord Granville, pour soutenir la pensée de Léopold? Cela met une gêne continuelle dans toutes les relations des ambassadeurs avec lui, et cela en établit surtout une très pénible pour M. de Talleyrand.
Londres, 5 juin 1834.– M. le duc d'Orléans m'a écrit, sans provocation de ma part, ni motif bien apparent, une lettre qui me paraît avoir eu pour but la phrase suivante, qui semble vouloir établir qu'il n'approuve pas la marche des ministres du Roi son père: «Je vois déjà un symptôme rassurant dans cette disposition à circonscrire les querelles de parti dans les limites d'un collège électoral et à ne se livrer bataille qu'à coup de bulletins. Puisse cette direction des esprits remplacer tout à fait le système de force brutale que je vois avec douleur prévaloir aujourd'hui dans tous les partis, et être l'argument favori non seulement des hommes d'opposition, mais aussi des hommes de pouvoir.» Il me semble qu'il y a bon sens et bon sentiment dans cette réflexion.
Si M. le duc d'Orléans était bien entouré, j'aurais confiance dans son avenir: il a de l'intelligence, du courage, de la grâce, de l'instruction et de l'entreprise; ce sont des dons de Prince, fort heureux, et qui, mûris par l'âge, peuvent faire de lui un bon Roi. Mais l'entourage est si petit, si médiocre, en hommes et en femmes; il n'y a là, depuis la mort de Mme de Vaudémont, rien de distingué, de noble ni d'élevé.
Lady Granville a donné un bal, à Paris, pour le jour de naissance du Roi d'Angleterre. Elle avait rempli la galerie d'orangers et on devait valser autour; on avait dissimulé les lampes derrière des fleurs, de manière qu'on y voyait à peine: rien de plus favorable aux conversations particulières. Huit voleurs, mis à merveille, sont entrés par le jardin; cette quantité d'hommes inconnus a frappé, on en a parlé trop tôt; ils ont vu qu'ils étaient remarqués et se sont évadés. Il paraît que leur projet était d'arracher les diamants aux femmes, lorsqu'elles seraient allées dans le jardin qu'on allait illuminer.
Londres, 6 juin 1834.– Le Cabinet anglais, si petitement rajusté, ne porte pas la tête bien haute; tous les honneurs sont pour les ministres sortants. Lord Grey ne s'y trompe pas et ne s'enorgueillit nullement de la grande majorité de lundi dernier, car, comme me le disait un de ses amis: «Cette majorité n'est pas le résultat d'une affection pour les ministres, mais de la crainte de voir venir les Tories qui dissoudraient le Parlement actuel.» Je crois que rien n'est plus vrai. Au reste, le Cabinet sent déjà le besoin de se fortifier. On dit que lord Radnor, ami du Chancelier et grand aboyeur radical, sera Lord du Sceau privé.
Il paraît certain que dom Miguel et don Carlos quittent, décidément, la Péninsule, le premier pour venir ici, le second pour aller en Hollande.
Le prince de la Moskova ayant persisté dans son désir d'être présenté, il l'a été hier, ainsi que le prince d'Eckmühl. Ce désir était si vif, qu'ils allaient chercher à se faire présenter par M. Ellice, en l'absence de M. de Talleyrand, comme si cela eût été possible, lors même que cela n'aurait pas été inconvenant. Les jeunes Français n'ont, vraiment, idée de rien; et M. Ellice, qui n'est gentleman que d'hier, s'était mis de moitié dans cette belle combinaison.
On appelle, ici, assez drôlement lord Durham et M. Ellice l'Ours et le Pacha.
Londres, 7 juin 1834.– Voilà Lucien Bonaparte, qui, après avoir adressé une lettre aux députés de France, l'année dernière, et avoir, ensuite, disparu pendant plusieurs mois, puis s'être trouvé, dit-on, secrètement en France, durant les derniers troubles de Lyon et de Paris, est enfin revenu ici d'où il s'adresse maintenant aux électeurs de France. Sa nouvelle lettre, plus boursouflée encore et plus remplie d'affectation littéraire que la première, est en outre de la plus grande bassesse et du plus mauvais goût.
Lucien, que je n'avais jamais vu, avant son arrivée en Angleterre, puisqu'il était en disgrâce auprès de l'Empereur, passait pour avoir autant d'esprit au moins que son frère et beaucoup de décision. J'ai entendu dire qu'au 18 Brumaire, c'était lui qui avait sauvé Napoléon; enfin, je l'avais entendu fort louer. Sa connaissance personnelle, comme il arrive souvent, n'a pas répondu à mon attente; il m'a semblé, humble dans ses manières, terne dans sa conversation, faux dans son regard, ressemblant à Napoléon par les contours extérieurs de ses traits, nullement par l'expression. Je l'ai vu, l'année dernière, à un concert chez la duchesse de Canizzaro, prier celle-ci de le présenter au duc de Wellington qui était dans le salon, traverser la chambre et venir, avec des courbettes, se faire nommer au vainqueur de Waterloo, dont l'accueil a eu toute la froideur que méritait une telle platitude.
Puisque j'habite, à Londres, une maison célèbre pour un vol considérable fait à la vieille marquise de Devonshire, qui en est propriétaire22, et pour un fantôme qui y est apparu à lord Grey et à sa fille, je veux conter ici ce que lord Grey et lady Georgiana, sa fille, m'en ont dit à plusieurs reprises et devant des témoins, lord Grey avec sérieux et détails, lady Georgiana avec répugnance et hésitation. Lord Grey, donc, un soir qu'il traversait la salle à manger du rez-de-chaussée pour aller, armé d'un bougeoir, de la pièce qui donne sur le square à son propre appartement, vit, au fond de la pièce et derrière une des colonnes qui divisent cette salle, le visage pâle et triste d'un homme âgé, dont cependant les yeux et les cheveux étaient très noirs. Le premier mouvement de lord Grey fut de reculer, puis, relevant les yeux, il vit encore ce même visage qui le fixait tristement, pendant que le corps semblait caché par la colonne, mais qui disparut au premier mouvement que fit lord Grey pour avancer. Il fit quelques recherches sans rien trouver. Il y a deux petites portes derrière les colonnes et une grande glace entre elles; je ne sais jusqu'à quel point la disposition des lieux n'offre pas une explication simple à cette vision, que lord Grey cependant n'admet avoir été ni celle d'un voleur ni l'effet du reflet de sa propre figure dans la glace. A la vérité, il était blond alors et ses yeux sont bleus. Tant il y a que, le lendemain matin à déjeuner, il raconta à sa famille ce qu'il avait vu la veille en allant se coucher. Lady Grey et sa fille lady Georgiana se regardèrent aussitôt avec une expression singulière, dont lord Grey demanda l'explication. On lui dit ce qu'on lui avait caché jusque-là pour ne pas se faire moquer de soi, c'est qu'une nuit, lady Georgiana s'était éveillée sous l'impression d'un souffle qui passait sur son visage; elle ouvrit les yeux et vit une figure d'homme se pencher sur elle; elle les ferma croyant rêver, mais les rouvrant aussitôt, elle revit la même figure; le cri qu'elle poussa alors fit СКАЧАТЬ
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Cette maison, où se trouvait alors l'ambassade de France, était située dans Hanover-Square, no 21.