Chronique de 1831 à 1862. T. 1. Dorothée Dino
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Chronique de 1831 à 1862. T. 1 - Dorothée Dino страница 14

Название: Chronique de 1831 à 1862. T. 1

Автор: Dorothée Dino

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

Серия:

isbn:

isbn:

СКАЧАТЬ de ces transparentes beautés. Il est convenu de reprocher aux Anglaises de manquer de tournure: elles marchent mal, cela est vrai; au repos, leur nonchalance a de la grâce, elles sont généralement bien faites, moins pincées dans leurs ajustements que ne le sont les Françaises, leurs formes sont plus développées et plus belles. Elles s'habillent parfois sans beaucoup de goût, mais du moins, chacun s'arrangeant ici comme il l'entend, il y a une diversité dans les toilettes, qui les fait mieux valoir une à une. Les épaules découvertes, les coiffures plates et les cheveux longs des jeunes filles, ici, seraient assez déplacés en France, où les très jeunes personnes sont presque toutes petites, noires et maigres.

      Ce que je dis des jardins et de la beauté des femmes, je serais tentée de l'appliquer, moralement, aux Anglais. Il y a, dans leur conversation, une réserve, une froideur, un manque d'imagination, qui ennuie pendant assez longtemps, mais cet ennui fait place à un véritable attrait, si on se donne le soin de chercher tout ce qu'il y a de bon sens, de droiture, d'instruction et de finesse cachés sous ces dehors embarrassés et silencieux; on ne se repent presque jamais d'avoir encouragé leur timidité, car ils ne deviennent jamais ni familiers, ni importuns, et ils vous témoignent, de les avoir devinés, et d'être venu au secours de leur fausse honte, une reconnaissance qui, à elle seule, est une véritable récompense. Je voudrais seulement qu'en Angleterre, on n'exposât pas de pauvres orangers aux brouillards épais de l'atmosphère, que les femmes ne s'ajustassent jamais d'après le journal des modes de Paris et que les hommes prissent les allures plus vives et plus libres de la conversation sur le Continent. Détestables caricatures quand ils copient, les Anglais sont excellents quand ils sont eux-mêmes; ils sont si bien faits pour leur propre région, qu'il ne faut les juger que sur leur sol natal. Un Anglais, sur le Continent, est tellement hors de sa sphère, qu'il est exposé à passer pour un imbécile ou pour un extravagant.

      Londres, 17 mai 1834.– Le ministre de Suède, M. de Bjoerstjerna, qui veut toujours faire valoir son souverain, même sous les rapports les plus frivoles, vantait, l'autre jour, à M. de Talleyrand, la force, la grâce et la jeunesse que le Roi Charles-Jean a conservées à son âge avancé. Il se répandait surtout en admiration sur la quantité de cheveux qu'a le Roi, et sur ce qu'ils étaient noirs comme du jais, sans qu'il y en eût un blanc. «Cela paraît, en effet, merveilleux», dit M. de Talleyrand, qui demanda «si, par hasard, le Roi ne teignait pas ses cheveux? – Non, vraiment», répliqua le Suédois, «il n'y a rien de factice dans cette belle couleur noire. – Alors, c'est en effet, bien extraordinaire», dit M. de Talleyrand. – «Oui, sûrement», reprit M. de Bjoerstjerna, «aussi l'homme qui arrache, chaque matin, les cheveux blancs du Roi est fort adroit». Il y a mille histoires de ce genre sur M. de Bjoerstjerna, qui cherche à donner crédit au dire populaire qui désigne les Suédois comme étant les Gascons du Nord.

      Samuel Rogers, le poète, a assurément beaucoup d'esprit, mais il est tourné à la malignité et parfois même à la méchanceté. Quelqu'un lui ayant demandé pourquoi il ne parlait guère que pour dire du mal de son prochain, il répondit: «J'ai le son de voix si faible, que, dans le monde, je n'étais jamais ni entendu, ni écouté; cela m'impatientait. J'essayai alors de dire des méchancetés, et je fus écouté: tout le monde a des oreilles pour le mal qui se dit d'autrui». Il passe sa vie chez lady Holland, dont il se moque, et dont il se plaît à exagérer et à exciter les terreurs de la maladie et de la mort. Pendant le choléra, lady Holland était saisie d'inexprimables angoisses: elle songeait sans cesse à toutes les mesures de précaution, et, racontant à Samuel Rogers toutes celles qu'elle avait réunies autour d'elle, elle énumérait tous les remèdes qu'elle avait fait placer dans la chambre voisine: bains, appareils fumigatoires, couvertures de laine, sinapismes, drogues de tous genres. «Vous avez oublié l'essentiel», dit M. Rogers. – «Et quoi donc? – Un cercueil!..» Lady Holland s'évanouit…

      Le comte Pahlen revient de Paris, où il a vu le Roi, le soir, en famille, n'ayant pas d'uniforme pour une présentation en règle; le Roi lui ayant dit qu'il voulait qu'il vînt à un des grands bals du Château, le Comte s'en excusa sur le manque d'uniforme. «Oh! qu'à cela ne tienne», reprit le Roi, «vous y viendrez en frac, en député de l'opposition!» En effet, M. de Pahlen fut à ce bal (matériellement magnifique), et se vit, lui seul, avec un groupe de députés opposants, en frac, à travers le Corps diplomatique et ce qu'on appelle la Cour, en uniforme.

      Le prince Esterhazy nous a fait ses adieux hier. Il était visiblement ému en quittant M. de Talleyrand, qui ne l'était pas moins; on ne se sépare pas de quelqu'un de l'âge de M. de Talleyrand sans une pensée d'inquiétude, et il y a, dans l'adieu que dit un vieillard, un retour sur lui-même qui n'échappe pas aux assistants.

      Le prince Esterhazy est généralement aimé et regretté ici, et avec raison; son retour est vivement désiré; la finesse de son esprit ne nuit en rien à la droiture de son caractère, la sûreté parfaite de son commerce est inappréciable, et, malgré un certain décousu dans ses façons et dans son maintien, il reste, toujours, un grand seigneur.

      Londres, 18 mai 1834.– Cette semaine-ci, le Roi d'Angleterre a semblé mieux; le temps est moins chaud; la grande excitation qu'il éprouvait a fait place, au contraire, à une sorte d'affaissement; on lui a vu bien souvent des larmes dans les yeux: c'est aussi du manque d'équilibre, mais de moins mauvais augure que la grande irritation qu'il témoignait la semaine passée.

      Woburn Abbey, 19 mai 1834 20. – Cette demeure-ci est, certainement, une des plus belles, des plus magnifiques, des plus grandes et des plus complètes de l'Angleterre. L'extérieur du château cependant est sans caractère, et sa situation basse, et même, je crois, un peu humide; mais les Anglais détestent d'être vus et renoncent volontiers, à leur tour, à voir par-delà de l'enceinte la plus limitée; il y a rarement, des châteaux d'Angleterre, d'autre vue que celle de l'entourage le plus immédiat; aussi le mouvement des passants, des voyageurs, des paysans travaillant dans les champs, la perspective des villages, des lieux environnants, il ne faut pas espérer en jouir. De verts gazons, des fleurs dans le pourtour de la maison et des arbres superbes qui interceptent toute échappée de vue, voilà ce qu'ils aiment, et ce qu'on trouve ici presque partout; je ne connais jusqu'à présent que Windsor et Warwick qui fassent exception.

      Les hôtes qui se trouvent à Woburn, en ce moment, sont à peu près les mêmes que ceux que j'y ai rencontrés, lors de mon premier séjour: lord et lady Grey et lady Georgina, leur fille; lord et lady Sefton, M. Ellice; lord Ossulston; les maîtres de la maison, trois de leurs fils, une de leurs filles, M. de Talleyrand et moi.

      Il y a, dans toutes ces personnes, des gens fort distingués, de l'esprit, de l'instruction, d'excellentes manières, mais j'ai déjà remarqué qu'à Woburn la réserve anglaise était poussée plus loin qu'ailleurs, et cela en dépit du langage presque hardi de la duchesse de Bedford, qui contraste avec la timidité silencieuse du Duc et du reste de la famille. Il y a, aussi, dans la pompe, l'étendue, la magnificence de la demeure, quelque chose qui jette du froid, de la raideur et du décousu dans la société; d'ailleurs, le dimanche, quoiqu'on ne l'ait pas tenu rigoureusement puisqu'on a fait jouer M. de Talleyrand, est toujours plus sérieux que tout autre jour.

      Woburn Abbey, 20 mai 1834.– Le Chancelier est venu augmenter le nombre des visiteurs. En parlant des grandes existences aristocratiques du pays, il m'a dit que le duc de Devonshire avec ses cent quarante mille livres sterling de rente, ses châteaux et ses huit membres du Parlement, était, avant la réforme, aussi puissant que le Roi lui-même. Cet avant la réforme est bien l'aveu du coup porté, par cette réforme, à l'ancienne constitution du pays. J'en ai fait convenir lord Brougham, qui, tout en soutenant qu'elle était nécessaire, et ayant commencé sa phrase en disant qu'on n'avait fait que couper des ailes qui étaient tant soit peu trop longues, l'a finie en disant qu'ils avaient fait une révolution complète, mais sans effusion de sang. «Et notre grande journée révolutionnaire», a-t-il dit encore avec une satisfaction apparente, «a été celle du mois de 1831 où nous avons dissous le Parlement qui avait osé repousser СКАЧАТЬ



<p>20</p>

Woburn Abbey est située dans le comté de Bedford; il s'y trouve un magnifique château moderne, appartenant aux ducs de Bedford, bâti sur l'emplacement d'une abbaye de Cisterciens fondée en 1445.