Chronique de 1831 à 1862. T. 1. Dorothée Dino
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Название: Chronique de 1831 à 1862. T. 1

Автор: Dorothée Dino

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ contraire, pour elle, qu'elle ne perde bientôt la carte de l'Europe ou qu'elle ne la voie plus que par une lunette fort réduite, ce qui serait certainement pour elle une sorte de mort morale. Ses espérances, ses regrets, tout cela s'exprimait avec vivacité et naturel; elle m'a semblé plus aimable que de coutume, parce qu'elle était tout en dehors, avec abandon et simplicité. Ce laisser-aller des personnes habituellement contenues a toujours quelque chose de particulièrement piquant.

      L'abominable article du Times sur elle, qui est vraiment honteux pour le pays, l'a d'abord fait pleurer; elle en est convenue, en disant qu'elle avait été navrée de penser que c'étaient là les adieux que lui faisait le public anglais, à elle, qui quittait ce pays-ci avec tant de chagrin, mais elle a senti bientôt que rien n'était plus méprisable et plus généralement méprisé. Elle a fini par si bien reprendre sa belle humeur qu'elle nous a raconté, le plus drôlement du monde, car elle raconte parfaitement, une petite scène fort ridicule du marquis de Miraflorès. Ce petit homme, qui m'a tout de suite paru d'une fatuité insupportable, et dont la figure plaisait à Mme de Lieven et me déplaisait souverainement, a été s'asseoir à côté d'elle au bal de l'Almacks. La princesse lui ayant demandé s'il n'était pas frappé de la beauté des jeunes Anglaises, il a répondu, avec un air sentimental, un son de voix ému et un regard prolongé et significatif, qu'il n'aimait pas les femmes trop jeunes, qu'il préférait celles qui cessaient de l'être et qu'on appelait des femmes passées.

      La duchesse de Kent a vraiment un talent remarquable pour aviser toujours si juste une gaucherie qu'elle n'en manque pas une. C'est aujourd'hui le jour de naissance de sa fille, qu'elle devait, à cette occasion, mener pour la première fois à Windsor, où cet anniversaire devait se fêter en famille. La mort du petit prince de Belgique, à peine âgé d'un an, et que ni sa tante, ni sa cousine n'avaient vu, a fait renoncer la duchesse de Kent à cette petite fête de famille. Rien ne pouvait être plus désobligeant pour le Roi.

      Londres, 25 mai 1834.– Le Roi Léopold paraît disposé à appeler ses neveux à la succession du trône de Belgique. Est-ce à dire qu'il ne compte plus sur sa descendance directe? On en a de l'humeur aux Tuileries; je crois que ce sera assez indifférent partout ailleurs, où ce nouveau royaume et cette nouvelle dynastie ne sont guère encore pris au sérieux.

      L'exposition de peinture, à Somerset-House, est bien médiocre, plus encore que celle de l'année dernière; celle de sculpture encore plus pauvre. Les Anglais excellent dans les arts d'imitation, mais ils restent les derniers dans les arts d'imagination; c'est par ce côté surtout que le manque de soleil se fait sentir. Entourés des chefs-d'œuvre enlevés au Continent, ils ne produisent rien qui puisse leur être comparé! Rien ne se colore à travers le voile brumeux qui les enveloppe!

      Londres, 26 mai 1834.– Lord Grey est au moment de voir son administration se décomposer, par la retraite de M. Stanley et celle de sir James Graham, s'il fait de nouvelles concessions aux catholiques irlandais au détriment de l'Église anglicane. S'il se refuse à ces concessions pour conserver M. Stanley, dont le talent parlementaire est de premier ordre, il est à supposer que le Cabinet restera en minorité aux Communes, et que la chute de tout le ministère en sera le résultat. C'était, du moins, ce qu'on disait et croyait, hier, et la figure soucieuse de lord Grey, à dîner, chez lord Durham, ainsi que quelques propos échappés à la naïve niaiserie de lady Tankerville, confirmaient assez ce bruit. La question se videra demain, mardi 27, à l'occasion de la motion de M. Ward.

      Mme de Lieven ne m'a pas caché son espoir, que si le Cabinet change, soit en tout, soit en partie, et que lord Palmerston soit du nombre des sortants, elle pourrait bien rester ici, se flattant que la première démarche du nouveau ministre des Affaires étrangères serait une demande à Pétersbourg à l'effet de garder M. de Lieven ici. Elle compterait, dans cette circonstance, a-t-elle ajouté, sur l'influence de M. de Talleyrand auprès du nouveau ministre, quel qu'il fût, pour le décider à cette démarche.

      Londres, 27 mai 1834.– Il est singulier que le fils du maréchal Ney, qui est à Londres, ait désiré se faire présenter à la Cour d'Angleterre, qui a abandonné son père qu'elle aurait pu sauver; de s'y faire présenter par M. de Talleyrand, sous le ministère duquel le maréchal a été arrêté et accusé, le même jour que M. Dupin, le défenseur du maréchal, doit également être présenté, et le tout en face du duc de Wellington, qui, en maintenant strictement les termes de la capitulation de Paris, aurait pu peut-être couvrir de son égide l'accusé, qu'il n'a pas cru devoir protéger. Le jeune prince de la Moskowa n'a sans doute pas fait tous ces rapprochements, mais M. de Talleyrand, qui a compris que d'autres les feraient, qu'ils ne seraient agréables pour personne, et moins encore pour le jeune homme que pour qui que ce soit, a décliné cette présentation sous le prétexte du peu de temps qui restait entre la demande et la réception, et qui ne lui laissait pas le temps de remplir les formalités voulues.

      Hier, à sept heures du soir, j'ai reçu un billet assez curieux d'un des amis et confidents du ministre: «Rien n'est changé depuis hier; aucune amélioration ne s'est établie dans la situation des choses; on va employer la soirée à obtenir que la question reste ouverte, c'est-à-dire qu'elle ne soit pas regardée comme une question de Cabinet, que chacun soit libre de tout engagement et puisse voter comme il lui plaira. Le Chancelier s'emploie fort à faire adopter ce biais, mais lord Grey, qui paraît évidemment désireux de se retirer des affaires, pourra bien faire manquer cette combinaison.»

      Londres, 28 mai 1834.– Après beaucoup d'agitations et d'incertitudes, lord Grey s'est décidé à laisser sortir du ministère M. Stanley et sir James Graham, dont l'exemple sera probablement suivi par le duc de Richmond et lord Ripon; et lui, lord Grey, reste, en se rangeant du côté de la motion de M. Ward. Il avait eu, un moment, le bon instinct de se retirer aussi, mais M. Ellice, qui le gouverne maintenant, l'a poussé dans une autre voie, et le Chancelier a fortement agi sur le Roi, qui, à son tour, a prié lord Grey de rester.

      Hier, les ministres se louaient du Roi avec des attendrissements infinis. Ce pauvre Roi a soutenu «la réforme» malgré tous ses scrupules politiques: il abandonne aujourd'hui le clergé, malgré ses scrupules de conscience; aussi le Chancelier disait-il, hier, que c'était un grand Roi, et ajoutait, avec une satisfaction joyeuse et l'enivrement de paroles qui lui est propre, que la journée d'hier était la seconde grande journée révolutionnaire bénigne des annales de l'Angleterre moderne. Cet étrange Chancelier, sans dignité, sans convenance, sale, cynique, grossier, se grisant de vin et de paroles, vulgaire dans ses propos, malappris dans ses façons, venait dîner ici, hier, en redingote, mangeant avec ses doigts, me tapant sur l'épaule et racontant cinquante ordures. Sans les facultés extraordinaires qui le distinguent comme mémoire, instruction, éloquence et activité, personne ne le repousserait plus vivement que lord Grey. Je ne connais pas deux natures qui me paraissent plus diamétralement opposées. Lord Brougham, merveilleux aux Communes, est un perpétuel objet de scandale à la Chambre Haute, où il met tout sens dessus dessous, où lui, Chancelier, est souvent rappelé à l'ordre, où il embarrasse lord Grey à tout instant par ses incartades; aussi, il ne s'y sent pas sur son terrain, et je crois que le jour où il pourrait ensevelir la Pairie de ses propres mains, il ne s'en ferait pas faute.

      Il dînait hier ici avec M. Dupin, autre produit grossier de l'époque, sentencieux et criard comme un vrai procureur, avec la plus lourde vanité plébéienne qui apparaît à tout instant. Le premier mot qu'il a dit au Chancelier, qui se souvenait de l'avoir vu il y a quelques années, a été celui-ci: «Oui, quand nous étions avocats tous deux…»

      Lord Althorp a demandé, hier, aux Communes, l'ajournement de la motion de M. Ward, pour avoir le temps de remplir les vides laissés par la retraite de quelques membres du Cabinet, ce qui a été accordé.

      On ne peut imaginer ce qui inspire à la duchesse de Kent une mauvaise grâce aussi continue contre la Reine. Malgré son refus de conduire la princesse Victoria à Windsor, la Reine a voulu aller la voir à Kensington avant-hier au soir. La duchesse de Kent a refusé, sous le plus léger СКАЧАТЬ