Chroniques de J. Froissart, Tome Premier, 1re partie. Froissart Jean
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Chroniques de J. Froissart, Tome Premier, 1re partie - Froissart Jean страница 9

СКАЧАТЬ «Phelippes de Valeur78» pour «Phelippes de Valois.» Ces lacunes ou ces erreurs grossières sont d'autant plus étranges qu'on les rencontre seulement dans les premiers feuillets et que le manuscrit est du reste exécuté avec beaucoup de soin. On parvient à les expliquer en supposant que le copiste avait sous les yeux un brouillon en écriture cursive plus ou moins illisible dont il n'avait pas encore l'habitude quand il a écrit ces premiers feuillets: il a deviné d'abord plutôt qu'il n'a lu les mots ordinaires; les noms propres sont les seuls que le contexte n'aide pas à déchiffrer, c'est pourquoi il les a estropiés ou laissés en blanc; puis, il s'est vite accoutumé à ce grimoire, il en a trouvé la clef, et alors les lacunes et les bévues monstrueuses ont disparu presque entièrement de sa copie. En même temps que ces lacunes attestent chez le copiste le désir de reproduire servilement et scrupuleusement le modèle, elles font supposer que ce modèle était un autographe ou du moins un original en caractères tracés à la hâte sous la dictée de Froissart, car l'écriture des manuscrits de cette époque exécutés à loisir par des scribes proprement dits est généralement plus ou moins posée et dans tous les cas très-lisible.

      Cette explication est trop naturelle pour ne s'être pas déjà présentée à l'esprit des érudits qui ont examiné le manuscrit d'Amiens. «Le manuscrit d'Amiens, dit M. Rigollot, a été copié avec beaucoup de scrupule, peut-être sur un manuscrit autographe; on remarque sur le premier feuillet que plusieurs mots sont restés en blanc, probablement parce que le copiste n'avait pu les lire sur les premières pages de l'original qui auront été plus usées que les autres79.» On ne saurait donc attribuer à une interpolation le passage qui mentionne dès les premiers feuillets des manuscrits d'Amiens et de Valenciennes la mort du Prince Noir; d'où il suit, pour le répéter encore une fois, que la seconde rédaction est dans toutes ses parties postérieure à 1376.

      Cette date de 1376 nous amène à l'époque où les liens les plus étroits qui unissaient Froissart au pays adoptif de Philippe de Hainaut, à la patrie du Prince Noir, sont désormais rompus; c'est aussi le temps où la France se relève grâce à la sagesse de Charles V, à l'épée de Duguesclin et fait reculer de jour en jour ses envahisseurs. Lorsque l'auteur des Chroniques composa de 1369 à 1373 la partie de sa première rédaction antérieure à ces deux dates, il venait de passer huit années à la cour d'Angleterre; il avait entendu raconter par des chevaliers de cette nation les victoires qui avaient porté si haut la gloire d'Édouard III, notamment celles de Crécy et de Poitiers: enfin le récit même qu'il entreprenait lui était commandé, il a soin de nous le dire dans le prologue, par ce Robert de Namur qui, entré au service du roi son beau-frère depuis le siége de Calais en 1346, combattait encore dans les rangs des Anglais à la chevauchée de Tournehem en 1369. Qui s'étonnerait après cela que Froissart ayant vécu si longtemps dans un pareil milieu et resté soumis à la même influence nous ait donné presque toujours dans sa première rédaction la version anglaise des grands événements de cette période et entre autres du siége de Calais, des batailles de Crécy et de Poitiers! Qui ne comprend que le peintre a pu sans parti pris faire prédominer la couleur anglaise dans ses tableaux! Comme cette couleur se présentait seule sous sa palette, elle est venue pour ainsi dire d'elle-même s'empreindre sur la toile.

      Mais après 1376 nous trouvons le curé des Estinnes, le poëte de Wenceslas, le chapelain du comte de Blois placé dans un tout autre milieu, soumis à des influences bien différentes. Wenceslas de Luxembourg, duc de Brabant, était fils de cet héroïque roi de Bohême qui avait voulu, quoique aveugle, se faire tuer à Crécy en combattant pour la France. «Wenceslas, dit excellemment M. Pinchart, quoique d'origine allemande, avait reçu, comme ses prédécesseurs, une éducation toute française. Il introduisit au palais de Bruxelles bien des changements calqués sur la cour des rois de France qu'il avait souvent visitée: entre autres voyages qu'il y fit, Jeanne et lui furent présents au sacre de Charles V à Reims en 1364; ils avaient même pour ce prince une affection telle qu'ils portèrent le deuil à sa mort80

      La cour de Gui II de Châtillon était encore plus propre que celle de Wenceslas à dépayser les affections, les préventions de l'ancien clerc de la reine Philippe et à diminuer l'ascendant de ses souvenirs anglais. Champenoise d'origine et chevaleresque entre toutes, l'illustre maison de Châtillon à laquelle appartenait Gui était vraiment deux fois française. Le père de Gui, Louis de Châtillon avait succombé à Crécy sous les coups des Anglais; et sa mère, Jeanne de Hainaut était la fille unique de Jean de Hainaut qui, rallié à la France, s'était tenu constamment aux côtés de Philippe de Valois dans la désastreuse journée du 26 août 1346. Gui lui-même avait été donné en otage au roi d'Angleterre à l'occasion de la mise en liberté du roi Jean; et pour se racheter il avait dû céder par un contrat passé à Londres le 15 juillet 1367 son comté de Soissons à Enguerrand, sire de Coucy. Fait plus tard chevalier pendant une croisade contre les païens de la Prusse, Gui s'était joint en 1370 aux ducs de Berry et d'Anjou et avait pris part en Guyenne à la guerre contre les Anglais; en 1382 enfin il commandait l'arrière-garde de l'armée française à Roosebecke. Écrite certainement après 1376 et probablement de 1376 à la fin de 1383, époque où mourut Wenceslas et où Froissart fut attaché définitivement au service de Gui de Blois, la seconde rédaction a été composée dans le milieu, sous la double influence que nous venons d'indiquer; et si l'auteur ne l'a pas fait précéder d'une dédicace comme il en avait mis une dans le prologue de la première, ne serait-ce point parce qu'il lui répugnait de manifester une préférence entre deux puissants protecteurs dont il avait également à se louer et qui avaient prodigué l'un et l'autre à son œuvre leurs encouragements81?

      Toutefois, c'est la veine poétique du rimeur du Méliador que le romanesque Wenceslas semble avoir surtout favorisée et récompensée, tandis que Gui de Blois mieux inspiré encouragea avec une prédilection singulière le génie narratif et historique du chroniqueur. Une foule de passages de la seconde rédaction que l'on chercherait vainement dans la première trahissent la sympathie de Froissart pour la maison de Blois. Ainsi, dès les premières lignes du prologue des manuscrits d'Amiens et de Valenciennes, notre chroniqueur cite parmi les plus vaillants chevaliers de France «messires Carles de Blois82» dont il n'avait fait nulle mention dans la rédaction dédiée à Robert de Namur. Il dira plus loin en parlant de ce même Charles de Blois qu'il était «le mieux et le plus grandement enlinagiés en Franche et qui le plus y avoit de prochains de tous costés et de bons amis,» et l'on voit en comparant les deux rédactions que cette phrase a été ajoutée dans le récit composé après 1376.

      Est-ce à dire que l'auteur des Chroniques soit allé jusqu'à altérer la vérité par dévouement pour une famille qu'il aimait? Ce serait ne pas rendre justice à l'inspiration vraiment large et chevaleresque qui a dicté les récits de Froissart: il a protesté d'avance contre une telle supposition. «[Qu'on ne dise pas que je aye eu la noble histoire] corrompue par la faveur que je aye eu au conte Gui de Blois qui le me fist faire et qui bien m'en a payé tant que je m'en contempte, pour ce qu'il fut nepveu et si prouchains que filz au conte Loys de Blois, frère germain à saint Charles de Blois qui, tant qu'il vesqui, fut duc de Bretaigne. Nennil vrayement! Car je n'en vueil parler fors que de la verité et aler parmy le trenchant, sans coulourer l'un ne l'autre. Et aussi le gentil sire et conte, qui l'istoire me fist mettre sus et ediffier, ne le voulsist point que je la feisse autrement que vraye83.» Il y a, si nous ne nous trompons, dans ces paroles plus et mieux qu'une simple affirmation, il y a l'accent profond de la sincérité.

      Froissart ne prend le titre de prêtre que dans la seconde rédaction, et l'on sait par un compte du receveur de Binche qu'il était curé des Estinnes dès 1373; mais ce que personne n'a fait encore remarquer jusqu'à ce jour, c'est qu'un fief important situé aux Estinnes ou à Lestinnes84, suivant l'orthographe du quatorzième siècle, localité dont le nom s'est conservé dans les deux villages des Estinnes-au-Mont СКАЧАТЬ



<p>78</p>

P. 211, l. 14.

<p>79</p>

Mémoire sur le manuscrit de Froissart de la ville d'Amiens et en particulier sur le récit de la bataille de Crécy, par M. Rigollot, dans le t. III des Mémoires de la société des antiquaires de Picardie, p. 133, en note.

<p>80</p>

Études sur l'histoire des arts au moyen âge, par Pinchart, p. 17 et 18.

<p>81</p>

Un extrait des comptes du receveur de Binche, publié par M. Pinchart, constate que, le 25 juillet 1382, le duc de Brabant fit don d'une somme de dix francs valant douze livres dix sous «à messire Jehan Froissard, curet de Lestinnez ou Mont, pour un livre qu'il fist pour monseigneur.» Qui sait si ce livre n'était pas un exemplaire de la seconde rédaction du premier livre?

<p>82</p>

Les mots: Carles de Blois que le copiste n'avait sans doute pas pu lire ont été laissés en blanc dans le manuscrit d'Amiens, mais nous les avons restitués à l'aide du manuscrit de Valenciennes.

<p>83</p>

Ms. de Besançon, t. II, fo 333. Les premiers mots omis dans le ms. de Besançon ont été restitués à l'aide des mss. de notre Bibliothèque impériale, qui appartiennent à la même famille.

<p>84</p>

La forme Lestinnes, qui paraît être une abréviation de les Estinnes, est seule usitée dans les documents du quatorzième siècle.