Le roman bourgeois: Ouvrage comique. Fournier Edouard
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Название: Le roman bourgeois: Ouvrage comique

Автор: Fournier Edouard

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ une digression aussi peu à propos. Après cela il la bâtiroit superbement selon la dépense qu'y voudroit faire son imagination. Le dessein de la place Royalle ne le contenterait pas; il faudroit du moins qu'elle fût aussi belle que celle où se faisoient les carrousels, dans la galente et romanesque ville de Grenade. N'ayez pas peur qu'il allast vous dire (comme il est vray) que c'est une place triangulaire, entourée de maisons fort communes pour loger de la bourgeoisie; il se pendroit plûtost qu'il ne la fist quarrée, qu'il ne changeast toutes les boutiques en porches et galleries, tous les aulvens en balcons, et toutes les chaines de pierre de taille en beaux pilastres. Mais quand il viendroit à décrire l'église des Carmes, ce seroit lors que l'architecture joüerait son jeu, et auroit peut-estre beaucoup à souffrir. Il vous feroit voir un temple aussi beau que celuy de Diane d'Ephese; il le feroit soûtenir par cent colomnes corinthiennes; il rempliroit les niches de statues faites de la main de Phidias ou de Praxitelle; il raconterait les histoires figurées dans les bas reliefs; il feroit l'autel de jaspe et de porphire; et, s'il luy en prenoit fantaisie, tout l'édifice: car, dans le pays des romans, les pierres precieuses ne coûtent pas plus que la brique et que le moilon. Encore il ne manqueroit pas de barboüiller cette description de metopes, trigliphes; volutes, stilobates, et autres termes inconnus qu'il auroit trouvez dans les tables de Vitruve ou de Vignoles; pour faire accroire à beaucoup de gens qu'il seroit fort expert en architecture. C'est aussi ce qui rend les autheurs si friands de telles descriptions, qu'ils ne laissent passer aucune occasion d'en faire; et ils les tirent tellement par les cheveux, que, mesme pour loger un corsaire qui est vagabond et qui porte tout son bien avec soy, ils luy bâtissent un palais plus beau que le Louvre, ny que le Serrail.

      Grace à ma naïveté, je suis déchargé de toutes ces peines, et quoy que toutes ces belles choses se fassent pour la decoration du theatre à fort peu de frais, j'aime mieux faire jouer cette piece sans pompe et sans appareil, comme ces comedies qui se jouent chez le bourgeois avec un simple paravent. De sorte que je ne veux pas mesme vous dire comme est faite cette église, quoy qu'assez celebre: car ceux qui ne l'ont point veue la peuvent aller voir, si bon leur semble, ou la bâtir dans leur imagination comme il leur plaira. Je diray seulement que c'est le centre de toute la galanterie bourgeoise du quartier, et qu'elle est tres-frequentée, à cause que la licence de causer y est assez grande. C'est là que, sur le midy, arrive une caravane de demoiselles à fleur de corde14, dont les meres, il y a dix ans, portoient le chapperon, qui estoit la vraye marque et le caractere de bourgeoisie, mais qu'elles ont tellement rogné petit à petit, qu'il s'est evanoüy tout à fait. Il n'est pas besoin de dire qu'il y venoit aussi des muguets et des galans, car la consequence en est assez naturelle: chacune avoit sa suite plus ou moins nombreuse, selon que sa beauté ou son bonheur les y attiroit.

      Cette assemblée fut bien plus grande que de coustume un jour d'une grande feste qu'on y solemnisoit. Outre qu'on s'y empressoit par devotion, les amoureux de la symphonie y estoient aussi attirez par un concert de vingt-quatre violons de la grande bande; d'autres y couroient pour entendre un predicateur poly15. C'estoit un jeune abbé sans abbaye, c'est à dire un tonsuré de bonne famille, où l'un des enfans est tousjours abbé de son nom. Il avoit un surpelis ou rochet bordé de dentele, bien plicé et bien empesé; il avoit la barbe bien retroussée, ses cheveux estoient fort frisez, afin qu'ils parussent plus courts, et il affectoit de parler un peu gras, pour avoir le langage plus mignard. Il vouloit qu'on jugeast de l'excellence de son sermon par les chaises, qui y estoient louées deux sous marqués. Aussi avoit-il fait tout son possible pour mandier des auditeurs, et particulièrement des gens à carosse. Il avoit envoyé chez tous ses amis les prier d'y assister, ayant fait pour cela des billets semblables à ceux d'un enterrement, hormis qu'ils n'estoient pas imprimez.

      Une belle fille qui devoit y quêter ce jour-là16 y avoit encore attiré force monde, et tous les polis qui vouloient avoir quelque part en ses bonnes grâces y estoient accourus exprès pour luy donner quelque grosse pièce dans sa tasse: car c'estoit une pierre de touche pour connoistre la beauté d'une fille ou l'amour d'un homme que cette queste. Celuy qui donnoit la plus grosse piéce estoit estimé le plus amoureux, et la demoiselle qui avoit fait la plus grosse somme estoit estimée la plus belle. De sorte que, comme autrefois, pour soutenir la beauté d'une maîtresse, la preuve cavallière estoit de se présenter la lance à la main en un tournoy contre tous venans, de même la preuve bourgeoise estoit en ces derniers temps de faire presenter sa maîtresse la tasse à la main en une queste, contre tous les galans.

      Certainement la questeuse estoit belle, et si elle eust esté née hors la bourgeoisie, je veux dire si elle eust esté élevée parmi le beau monde, elle pouvoit donner beaucoup d'amour à un honneste homme. N'attendez pas pourtant que je vous la décrive icy, comme on a coustume de faire en ces occasions; car, quand je vous aurois dit qu'elle estoit de la riche taille, qu'elle avoit les yeux bleus et bien fendus, les cheveux blonds et bien frisez, et plusieurs autres particularitez de sa personne, vous ne la reconnoistriez pas pour cela, et ce ne seroit pas à dire qu'elle fût entierement belle; car elle pourroit avoir des taches de rousseurs, ou des marques de petite vérole. Témoin plusieurs héros et héroïnes, qui sont beaux et blancs en papier et sous le masque de roman, qui sont bien laids et bien basanez en chair et en os et à découvert. J'aurois bien plutost fait de vous la faire peindre au devant du livre, si le libraire en vouloit faire la dépense. Cela seroit bien aussi nécessaire que tant de figures, tant de combats, de temples et de navires, qui ne servent de rien qu'à faire acheter plus cher les livres17. Ce n'est pas que je veuille blasmer les images, car on diroit que je voudrois reprendre les plus beaux endroits de nos ouvrages modernes.

      Je reviens à ma belle questeuse, et pour l'amour d'elle je veux passer sous silence (du moins jusqu'à une autre fois) toutes les autres avantures qui arriverent cette journée-là dans cette grande assemblée de gens enroollez sous les étendars de la galanterie. Cette fille estoit pour lors dans son lustre, s'estant parée de tout son possible, et ayant esté coiffée par une demoiselle suivante du voisinage, qui avoit appris immediatement de la Prime. Elle ne s'estoit pas contentée d'emprunter des diamants, elle avoit aussi un laquais d'emprunt qui lui portoit la queue, afin de paroistre davantage. Or, quoy que cela ne fût pas de sa condition, neantmoins elle fut bien aise de ménager cette occasion de contenter sa vanité; car on ne doit point trouver à redire à tout ce qui se fait pour le service et l'avantage de l'Eglise. Quant à son meneur, c'estoit le maistre clerc du logis, qu'elle avoit pris par nécessité autant que par ostentation; car le moyen sans cela de traverser l'Eglise sur des chaises, sur lesquelles on entendoit le sermon, à moins que d'avoir une asseurance de danceur de corde? Avec ces avantages, elle fit fort bien le profit de la sacristie; mais avant que je la quitte, je suis encore obligé de vous dire qu'elle estoit fort jeune, car cela est necessaire à l'Histoire, comme aussi que son esprit avoit alors beaucoup d'innocence, d'ingenuité ou de sottise. Je n'ose dire asseurément laquelle elle avoit de ces trois belles qualitez; vous en jugerez vous-mesme par la suite.

      A cette solemnité se trouva un homme amphibie, qui estoit le matin advocat et le soir courtisan; il portoit le matin la robe au Palais pour plaider ou pour écouter, et le soir il portoit les grands canons, et les galands d'or, pour aller cajoler les dames. C'estoit un de ces jeunes bourgeois qui, malgré leur naissance et leur éducation, veulent passer pour des gens du bel air, et qui croyent, quand ils sont vestus à la mode et qu'ils méprisent ou raillent leur parenté, qu'ils ont acquis un grand degré d'élevation au dessus de leurs semblables. Cettuy-cy n'estoit pas reconnoissable quand il avoit changé d'habit. Ses cheveux, assez courts, qu'on luy voyoit le matin au Palais, estoient couverts le soir d'une belle perruque blonde, tres-frequemment visitée par un peigne qu'il avoit plus souvent à la main que dans sa poche. Son chapeau avoit pour elle un si grand respect, qu'il n'osoit presque jamais luy toucher. Son collet de manteau estoit bien poudré, sa garniture fort enflée, son linge orné de dentelle; et ce qui le paroit le plus estoit que, par bon-heur, il avoit un porreau au bas de la joue, qui luy donnoit un honneste prétexte d'y mettre une mouche. Enfin il estoit ajusté de manière qu'un provincial n'auroit jamais manqué de le prendre pour modelle pour se bien mettre. Mais j'ay eu tort de СКАЧАТЬ



<p>14</p>

Terme de jeu de paume: «On dit qu'une balle a passé à fleur de corde, ou qu'elle a frisé la corde, pour dire que peu s'en est fallu qu'elle n'ait été dehors.» (Dictionn. de Furetière.)

<p>15</p>

C'est certainement de l'abbé Cotin ou de l'abbé Cassaigne qu'il est question. On sait, en effet, que Furetière partageoit la belle haine de Boileau contre ces prédicateurs à la mode; il paroît même, par une note de Brossette sur le vers 60 de la 3e satire, que c'est lui qui les avoit recommandés au satirique: «Ce fut l'abbé Furetière qui indiqua à notre auteur les deux mauvais prédicateurs qui sont ici nommés, l'abbé Cassaigne et l'abbé Cotin, tous deux de l'Académie françoise.»

<p>16</p>

La quête aux grands jours, dans une belle église, en brillante toilette, étoit une mode bourgeoise que Furetière ne devoit pas oublier. Il ne fait qu'en indiquer le ridicule, d'autres en ont relevé l'inconvenance; ainsi le P. Sanlecque, en deux vers célèbres de sa satire contre une mère coquette, etc., et l'auteur anonyme d'une satire contre l'Indécence des questeuses, que nous trouvons dans un petit volume assez rare, Poésies chrestiennes, etc., par le sieur D… Paris, 1710, in-8.

<p>17</p>

Cela est un trait contre La Serre, qui avoit la manie des illustrations pour ses livres: «Il tenoit pour maxime, dit Tallement (édit, in-8., t. 5, p. 24), qu'il ne falloit qu'un beau titre et une belle taille douce; aussi madame Margonne l'appeloit-elle le tailleur des muses, parcequ'il les habilloit assez bien.»