Le chemin qui descend. Ardel Henri
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Название: Le chemin qui descend

Автор: Ardel Henri

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ chère bonne mademoiselle. Injuste?.. Non sûrement! Pour vous faire plaisir, je vous accorde, dans la phalange que vous défendez, une créature compétente en matière d'art, sur… Voyons… sur?.. mettons trente… Les autres?.. la nullité, l'ignorance même. Pour quelques-uns, les amateurs instinctifs, des lueurs plus ou moins vagues… Et pour tous, pour presque tous… des prétentions… risibles! Vous savez, mademoiselle, voilà deux ans que mon violon et moi, nous fréquentons les «thés» dans de somptueux salons, remplis de belles madames et de messieurs aux cravates impeccables. Deux ans que j'y regarde autour de moi. Ah! bonne mademoiselle Cécile, les pauvres que tous ces gens très chics!

      – Claude, vous êtes une petite anarchiste!

      La jeune fille se prit à rire. A côté de Mlle de Villebon, elle s'était mise à marcher, à travers la prairie où le vent de mer balayait des feuilles desséchées.

      – Une anarchiste?.. Oh! pas du tout… Je ne prétends rien bouleverser… Seulement j'enrage d'être contrainte de chercher – et de subir – les applaudissements de ces gens-là, parce qu'il le faut pour ma carrière… Car ils ont une qualité… Voyez, je reconnais la vérité… Quand ils agréent une artiste, ils lui sont un excellent tremplin. Et je veux, oh! oui, je veux le succès… comme je veux tant d'autres choses encore!.. Même des choses impossibles à atteindre, semble-t-il… que j'aurai pourtant!

      Mlle de Villebon avait coulé vers elle un regard un peu effaré. Très rarement, Claude Suzore livrait sa pensée. Mais Mlle de Villebon ne comptait guère pour elle; à peu près autant que les gamines de la colonie de vacances. Aussi, en sa présence, il lui arrivait de songer tout haut; et quelquefois déjà, elle avait eu des boutades qui désorientaient la compagne à qui l'avait confiée Élisabeth Ronal, pour le séjour à Landemer. Très candide, Mlle de Villebon était incapable de démêler si Claude parlait ou non sérieusement; mais elle était consciente de sa sincérité d'accent. Qu'y avait-il au fond de cette âme fermée où, par instants, semblaient résonner des grondements d'orage!..

      Elles firent quelques pas en silence. Claude s'absorbait en elle-même, soudain oublieuse d'une présence étrangère près d'elle; et à peine, elle s'aperçut que Mlle de Villebon la quittait pour remettre la paix entre deux petites, hérissées l'une contre l'autre pour un coup de croquet incertain. Le calme rétabli, elle revint, d'ailleurs, vers la jeune fille, adossée à un arbre, avec de larges prunelles qui regardaient dans l'invisible monde de son âme. Et une exclamation résuma sa confuse impression:

      – Quelle drôle de petite fille vous êtes, Claude.

      La jeune fille eut un imperceptible tressaillement de créature ramenée de loin, et l'énigmatique sourire souleva un peu ses lèvres, fermes et souples:

      – Ah! mademoiselle, chère mademoiselle à la belle âme, j'ai bien peur de n'être plus du tout une petite fille! Le Conservatoire et la vie se sont réunis pour faire de moi, tout au moins, une grande fille! Ne bondissez pas, mademoiselle Cécile, mais je crains bien que, de nous deux, je sois peut-être la plus vieille, quoique mes dix-huit ans viennent de sonner.

      – Ah! que ce serait malheureux! Claude.

      – Malheureux?.. Pourquoi?.. Au contraire… Puisque la destinée m'oblige à me débrouiller, dès maintenant, dans le monde, il est bienfaisant que j'aie appris… sans le chercher!.. à voir un peu, déjà, ce qu'il est, pour de vrai! Vous, mademoiselle Cécile, vous vivez en compagnie de votre idéal, de vos patronages, de vos pauvres… Vous ignorez… vous pouvez ignorer un tas de menues et de grandes choses vilaines, mesquines, décevantes ou même trop… tentantes, pour les pauvres étudiantes et artistes dépourvues de fortune; par suite, obligées de connaître tous les moyens de gagner leur vie!..

      – Mais, Claude, je vous assure que je sais très bien le prix de l'argent, dit Mlle de Villebon, du ton contrit dont elle se fût excusée d'un défaut.

      Presque âprement, Claude, tout de suite, riposta:

      – Mais non, vous ne savez pas, mademoiselle Cécile; vous ne pouvez pas savoir! Toujours vous avez eu la fortune. Et puis, vous êtes une personne très sage… Vous n'avez pas de désirs égoïstes… Vous ne pensez qu'à donner, au lieu d'avoir l'impérieuse envie d'acquérir, de posséder comme les heureux qui n'ont jamais à se préoccuper de l'odieux souci d'argent… qui peuvent s'offrir tout ce qu'ils veulent, faire ce qui leur plaît… ne dépendre que d'eux-mêmes… Ah! mademoiselle Cécile, vous ne connaissez pas votre bonheur!

      Presque humble, Mlle de Villebon baissait la tête:

      – Je crois, en effet, Claude, que le ciel a été très généreux à mon égard; et c'est pourquoi, je tâche de le reconnaître en donnant, autant que je puis, à ceux qui n'ont pas… Mais il me semble que, sous une autre forme, vous aussi, avez été gâtée par Dieu!

      – Gâtée!.. En quoi?.. Oh! mademoiselle, montrez-le-moi vite… Que je connaisse un bonheur que j'ignore!

      – Vous avez reçu l'intelligence, le talent… Un talent merveilleux qui vous rend déjà presque célèbre…

      – Oh! oui, presque, souligna Claude railleuse… J'ai du talent, soit. Un talent qui, en effet, serait pour moi un trésor… sans prix! si je n'étais obligée d'en faire un gagne-pain… Ce qui me le gâche!

      Saisie, Mlle de Villebon regardait sa jeune compagne dont la voix un peu grave, aux notes de contralto, sonnait brève, avec un accent presque violent.

      – Mais, Claude, qu'avez-vous donc, aujourd'hui, à tant médire de votre destinée? A Paris, je ne vous ai jamais entendue rien articuler de pareil! Vous paraissiez ravie de vos études, violon et autres. Vous sembliez accepter de très bonne grâce votre vie simple, studieuse… et méritante, auprès du docteur Ronal… Vous vous intéressiez à ses malades, à ses pauvres… Vous aidiez au dispensaire, où vous êtes une des meilleures infirmières… Alors, qu'y a-t-il de changé?..

      Claude écoutait, toujours appuyée au tronc rugueux de l'arbre, son ongle déchiquetant l'écorce; et, encore une fois, son regard avait fui vers l'horizon de la mer où, dans le ciel gris d'automne, le vent précipitait la course éperdue des nuées.

      Quand Mlle de Villebon se tut, il y eut un léger silence. Toutes deux songeaient… Puis la voix, un peu lente, ainsi que l'on pense tout haut, Claude prononça, avec le même accent d'ironie:

      – Vous avez raison, mademoiselle Cécile, j'étais ainsi, il y a deux mois, et peut-être… sans doute, je redeviendrai la même à Paris, parce que, je commence à le craindre, je ne suis qu'un reflet… Quand brûle près de moi la belle flamme d'Élisabeth, j'en subis le rayonnement. Alors je trouve, en effet, très simple, très honorable, même très glorieux, de tracer moi-même mon chemin, sans souci de ma peine, de me prêter à ceux qui ont besoin de moi… Je suis persuadée que je dois m'efforcer de valoir, – on me l'enseigne depuis ma jeunesse!.. Je m'applique docilement à me diriger dans le sens qu'Élisabeth m'indique… Je la vois, à toute heure, forte, dévouée, réalisant ce prodige de trouver son bonheur à ne vivre que pour les autres… Alors je suis entraînée par son exemple… Et, moi aussi, dans ma petite sphère, je parais une personne… pleine de vertus…

      Elle s'arrêta une seconde; son ironie devenait plus mordante encore, imprégnée d'amertume:

      – …Seulement, depuis six grandes semaines, je suis loin de la flamme, livrée à moi-même… Et cette moi-là, qui est sans doute la vraie, ne ressemble plus guère à celle qu'Élisabeth a créée…

      – Comme vous vous calomniez! Claude, protesta de nouveau Mlle de Villebon, qui СКАЧАТЬ