Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Vol. 6. Aubenas Joseph-Adolphe
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СКАЧАТЬ ne demeura point pour la recevoir. On vient lui demander des charités pour les églises et pour les pauvres; elle donne partout beaucoup d'argent et de fort bonne grâce. Elle a tous les jours du monde un courrier de l'armée; elle est présentement à Bourbon. La princesse de Tarente, qui doit y être dans deux jours, me mandera le reste, et je vous l'écrirai124.» Pour la femme d'un gouverneur de province, une beauté de Paris transplantée à l'autre bout de la France, tous ces détails de la favorite, ce bulletin des amours royales, étaient un chapitre important que madame de Grignan recommandait fort à sa mère: dans sa cour d'Aix, ou dans son château de Grignan, il fallait qu'elle fût à même de dire ou de taire ce qui devait être dit ou gardé pour soi.

      Deux jours après, madame de Sévigné arriva à Moulins, où elle se proposait de prendre quelque repos. Il ne paraît pas qu'elle fût déjà venue dans cette ville. Moulins avait cependant un titre tout particulier à ses yeux. C'était là, dans le couvent de la Visitation fondé par ses soins que la bienheureuse de Chantal, sa grand'mère, avait terminé sa sainte vie. Les divers monastères des Filles de Sainte-Marie de la Visitation étaient les stations favorites de madame de Sévigné dans le cours de ses voyages. Elle ne pouvait donc oublier la maison consacrée, trente-cinq ans auparavant, par la mort de son aïeule. Elle y fut reçue comme elle l'était toujours par des religieuses qui, en souvenir de la sainteté de leur fondatrice, se plaisaient à l'appeler une relique vivante125. Elle voulut aller se renfermer dans la cellule où la sainte avait rendu le dernier soupir, et sa lettre à sa fille est ainsi datée: De la Visitation, dans la chambre où ma grand'mère est morte; dimanche, après vêpres, 17 mai 1676126. Là, recueillie dans sa foi de chrétienne et son culte de famille, elle put faire un retour sur ce passé récent encore, qu'elle avait connu; elle dut évoquer ce prodige de charité, d'abnégation et d'humilité, qu'il lui avait été donné à elle-même d'admirer, car elle était déjà dans sa seizième année, lorsque sainte Chantal, à son dernier voyage, qui précéda sa mort seulement de quelques mois, vint revoir à Paris ce qui restait de sa famille.

      L'œuvre de M. le baron Walckenaer ne contient pas, sur la baronne de Chantal, un chapitre qui nous paraît indispensable dans de tels mémoires et à cause du souvenir pieux conservé par madame de Sévigné de son aïeule, et à cause du relief fort grand de tout temps, mais plus fortement prisé encore à cette époque, que donnait à une famille l'honneur d'avoir un de ses membres aussi proche sanctifié par les plus populaires vertus. Qu'on nous permette donc une courte biographie de madame de Chantal; elle ne saurait, il nous semble, être mieux placée qu'en cet endroit: le lecteur croira assister à cette évocation des souvenirs de famille qui vinrent assaillir madame de Sévigné ainsi renfermée dans la cellule illustrée par la mort de son aïeule.

      M. Walckenaer127 a fait connaître la naissance à Dijon de Jeanne-Françoise Frémiot, de l'un des présidents les plus vertueux du parlement de cette ville, son mariage avec le baron de Chantal, aîné de la maison de Rabutin, et la mort de celui-ci par suite d'une blessure reçue à la chasse de la main de l'un de ses amis, mort qui laissa sa femme veuve à l'âge de vingt-huit ans. Madame de Chantal aimait tendrement son époux; cette fin tragique la remplit de la plus amère douleur. Elle se promit de ne jamais se remarier, et conçut dès lors le vague projet de renoncer tout à fait au monde. Les idées religieuses qui avaient élevé sa jeunesse s'emparèrent d'elle tout entière. Elle pardonna au meurtrier de son mari, et servit même de marraine à l'un de ses enfants. Elle distribua tous ses riches habits aux pauvres, et fit le vœu de ne plus porter que de la laine: elle congédia le plus grand nombre de ses domestiques, «et se composa un petit train honnête et modeste pour elle et quatre enfants qu'elle avoit, un fils et trois filles128

      La jeune veuve se retira avec ses enfants chez le baron de Chantal, son beau-père, au château de Montholon, dans le voisinage d'Autun, que celui-ci avait acquis de la famille du garde des sceaux de ce nom129. Le baron de Chantal, âgé de soixante-quinze ans, semblait avoir retenu toute la brusquerie, l'emportement du sang des Rabutin; de graves infirmités aigrissaient encore son caractère, et la domination absolue d'une servante maîtresse, qui avait des vues sur la fortune de son maître, faisait de cet intérieur un enfer où la jeune veuve, pendant près de huit années, put exercer cette patience angélique dont Dieu l'avait douée. Les historiens de sa vie sont pleins des détails de ses souffrances, humiliations quotidiennes qui semblaient faites pour lui indiquer la voie de renoncement et d'abnégation où elle devait entrer. Cette servante arrogante avait introduit ses cinq enfants au château de Montholon, et ils y marchaient de pair avec ceux de la baronne de Chantal, laquelle n'avait la disposition de rien, au point que les autres domestiques n'eussent osé lui donner un verre d'eau sans y être autorisés130. Avec sa douceur, les biographes de madame de Chantal célèbrent sa piété, une piété sévère, mais pour elle seule; sa charité infinie, la rectitude et la maturité de son esprit, qui la faisaient rechercher pour arbitre et pour conseil dans tout le voisinage, quand sa légitime influence lui était refusée avec injure sous le toit de son beau-père. La jeune veuve se renferma dans le soin de l'éducation de ses enfants, dans la prière, le travail des mains destiné au soulagement des pauvres, et la visite assidue des malades, où elle prenait un plaisir, indice et prélude de sa vocation. A cet effet elle installa au château de Montholon une pharmacie complète, et elle allait panser elle-même au loin tous ceux qui avaient besoin de secours131.

      En 1604, les membres du parlement de Dijon supplièrent le saint évêque de Genève, François de Sales, dont la réputation commençait à rayonner en France, de venir leur prêcher le carême132. L'évêque étant arrivé, le président Frémiot s'empressa d'en prévenir sa fille, qui obtint, non sans peine, de son beau-père, de se rendre à Dijon, où elle trouva son frère, André Frémiot, devenu fort jeune archevêque de Bourges, et avide aussi d'entendre la parole du grand prélat133.

      Voici en quels termes les biographes de madame de Chantal racontent cette première entrevue: «Elle fut au sermon, dès le lendemain, où elle vit pour la première fois le saint prélat. Elle reconnut sur-le-champ que c'étoit là cet homme chéri du ciel que Dieu lui avoit montré quelque temps auparavant dans une vision, et qui devoit être son guide dans la vie spirituelle. Le serviteur de Dieu, de son côté, la remarqua, et se souvint d'une vision qu'il avoit eue lui-même au château de Sales, et qui la lui fit reconnoître. Madame de Chantal eut avec lui quelques entretiens, dont elle profita merveilleusement pour son avancement dans la perfection134

      Le doux attrait qui faisait la puissance de saint François de Sales s'exerça sur cette âme si bien préparée, avec toute sa force et tout son charme. «Elle sortit d'avec lui si consolée dans toutes ses peines, qu'il lui sembloit, disoit-elle, que ce n'étoit pas un homme, mais un ange qui lui avoit parlé135.» Et lui, ravi de tant d'ardeur, de foi, d'amour de Dieu, de charité et de soumission, «ne pouvoit assez admirer les opérations de la grâce dans l'âme de la sainte veuve, et sa fidélité à y répondre136

      Madame de Chantal voulut lui faire une confession de toute sa vie, et forma en elle-même le vœu de lui obéir en tout ce qu'il lui ordonnerait. Saint François de Sales ne jugea pas à propos de s'expliquer sur l'ardent désir qu'elle lui témoignait de se consacrer à la vie religieuse, et il partit, lui ayant remis seulement, à titre d'essai, une règle de conduite qu'elle lui avait demandée, conforme à son besoin des pratiques chrétiennes et à sa passion de l'humilité et du dévouement. Cette existence, digne d'une carmélite, excita, pendant les six années d'épreuve que son directeur lui avait imposées, СКАЧАТЬ



<p>124</p>

SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 296.

<p>125</p>

SÉVIGNÉ (lettre du 24 juin 1676), t. IV, p. 319.

<p>126</p>

SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p 298.

<p>127</p>

Mémoires touchant la vie et les écrits de madame de Sévigné, etc., t. Ier, chap. Ier, p. 3.

<p>128</p>

Vie de sainte Chantal, par la marquise de COLIGNY, en tête des Lettres de madame de CHANTAL. Paris, 1823. Ed. de Blaise.

Cette vie abrégée résume heureusement les principaux faits de la biographie de la baronne de Chantal. Elle est l'œuvre de la fille de Bussy-Rabutin, petite fille, par sa mère, de la sainte. Elle a surtout été composée avec le secours des Mémoires contemporains de la mère de Chaugy, du même ordre, sur la vie de madame de Chantal. Madame de Chaugy était fille de la sœur du comte de Toulongeon, qui épousa mademoiselle de Chantal, l'une des tantes de madame de Sévigné (Lettres de madame de Chantal; Paris, 1860, t. 1er, p. 522; note). Ces remarquables et très-curieux Mémoires ont été publiés en 1842 par M. l'abbé Boulangé. Ils furent connus et consultés par les deux principaux biographes de la mère de Chantal, le père Fichet, jésuite, qui fit paraître sur la fondatrice de l'ordre de la Visitation une Histoire in-4o, deux ans seulement après sa mort, et M. Henri de Maupas du Tour, évêque du Puy, plus tard d'Évreux, auteur également d'une vie très-détaillée. Il n'y a aucune estime à faire de la Vie de madame de Chantal par Marsollier, que le dernier et heureux historien de saint François de Sales, M. Hamon, appelle avec raison «le plus infidèle des biographes.» Une abondante source d'informations, pour l'histoire de l'aïeule de madame de Sévigné, et que nous n'avons point négligée, se trouve dans la collection de ses lettres, publiée depuis peu d'une manière très-complète par M. de Barthélemy, à laquelle il faut joindre aussi la précieuse correspondance de l'évêque de Genève.

<p>129</p>

Détails historiques sur les ancêtres, le lieu de naissance, les possessions et les descendants de madame de Sévigné par M. Girault, en tête des Lettres inédites de madame de Sévigné; Paris, 1814, chez Klostermann. Introduction, p. XXV.

<p>130</p>

Vie de la vénérable mère Jeanne-Françoise Frémiot de Chantal, première mère et religieuse de la Visitation de Sainte-Marie, par Henri de Maupas du Tour, évêque et comte du Puy; 2e édition, Paris, 1658, p. 72. – V. Aussi l'Histoire des ordres monastiques, religieux et militaires, par le père Hélyot, t. IV, p. 318.

<p>131</p>

Vie de la sainte mère de Chantal, par le P. Alexandre Fichet, jésuite; Paris, 1643, p. 161.

<p>132</p>

Vie de saint François de Sales, d'après les manuscrits et les auteurs contemporains, par M. Hamon, curé de Saint-Sulpice; Paris, 1858, 3e édition, t. Ier, p. 480.

<p>133</p>

Vie de la mère de Chantal, par Alexandre Fichet, p. 132.

<p>134</p>

Abrégé de la vie de la B. de Chantal; Paris, 1752, chez Claude Herissant, p. 10. – Cet excellent abrégé, en grande partie emprunté à la Vie de madame de Coligny, est l'œuvre d'une religieuse de la Visitation. Il mérite d'être cité.

<p>135</p>

Vie de la vénérable mère Jeanne Françoise Frémiot, etc., par Henri de Maupas, p. 84.

<p>136</p>

Abrégé de la vie de la B. de Chantal, etc., p. 13.